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Énorme chute des ventes d’automobiles européennes sur 5 ans et surcapacités de production : effet de la crise ou changement profond ?
©Reuters

Vroum vroum ; keuf keuf

Alan Mulally est directeur du groupe Ford, et d'après lui l'industrie automobile européenne est loin de se porter aussi bien que les derniers chiffres de vente, une progression de 7.1% depuis janvier 2014, semblent prétendre. Le secteur produit trop de véhicules, ce qui ne peut qu'entraîner de graves problèmes de compétitivité à termes.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Allan Mulally, directeur du groupe Ford, a récemment fait plusieurs constats sur l'industrie automobile européenne. Elle est, d'après lui, en surcapacité  et cela pose un problème de compétitivité. Cette surcapacité est-elle un des effets de la crise ?

Jean-Pierre Corniou : Le monde automobile a profondément changé pendant ces années de crise, et cette transformation est structurelle. Née en Europe à la fin du XIXe siècle, l’industrie automobile a connu son apogée aux Etats-Unis à partir des années cinquante avant que le Japon n’apparaisse dans les années soixante comme un redoutable outsider. Désormais ce jeu à trois s’arbitre en Asie. 

Le centre de gravité de l’industrie s’est déplacé vers l’Est. La Chine est désormais le premier marché mondial avec 22 millions de véhicules vendus en 2013 et le premier centre de production mondial. Tous les plans d’investissement des constructeurs chinois avec ou sans leurs alliés nippons et occidentaux tendant à construire un gigantesque complexe industriel qui pourrait dépasser en 2020 une capacité de production de 35 millions de véhicules. Compte tenu du taux de motorisation actuel de la Chine, cette situation de premier pays constructeur mondial est définitivement acquise, ce qui n’exclut nullement des risques de surcapacité si la demande intérieure se ralentit. C’est donc en Chine que les constructeurs mondiaux s’affrontent et jouent leur avenir. Ils y sont tous. Mais la Chine peut aussi devenir, comme le Japon et la Corée avant elle, un redoutable concurrent en exportant ses produits qui progressent en qualité et en attractivité.

Symétriquement, l’Europe et les Etats-Unis ont fermé un grand nombre de sites, et la capacité de production reste excédentaire en Europe. 

Les Etats-Unis ont terminé l’année 2013 avec un niveau de ventes de 15,6 millions de véhicules, qui marque une progression de 7,7 % par rapport à 2012 et 47% par rapport à 2009. Mais surtout les Etats-Unis ont considérablement revu pendant la crise la structure de leurs implantations industrielles. La crise a permis de rationaliser, brutalement, l’appareil de production et l’approche commerciale des constructeurs. Plus de 100000 emplois ont été supprimés. GM a fermé 12 de ses 20 usines américaines. Des milliers de concessionnaires ont disparu, dont 2400 pour GM seulement. Plusieurs marques ont ainsi été sacrifiées pour une meilleure rentabilité et une simplification de l’offre : Pontiac, Hummer, Saturn, en 2010 après Oldsmobile en 2004. GM se concentre désormais sur  sa marque historique Chevrolet... et sur le marché chinois où il réussit très bien. Chrysler est désormais ancré dans le monde Fiat après le rachat en janvier 2009 de 35% du capital, portée à 51% en 2011. Ford qui a su sans aide publique traverser la crise en assumant de sévères pertes est également sorti renforcé de cette nouvelle remise en cause violente de l’automobile américaine.

L’industrie automobile, américaine comme constructeurs étrangers, continue sa migration vers le Sud Est où les rémunérations et avantages sociaux sont beaucoup plus bas. On y embauche à 14$ de l’heure contre 28 $  dans le nord. 

Si le marché européen a été vivement touché par la crise. Il peine à en sortir avec une baisse de 8,2 % en 2012 et 1,8 % en 2013. C’est le continent où l’automobile individuelle a été le plus remise en cause et où les volumes ont durablement baissé. Même si en Grande-Bretagne on recommence à beaucoup aimer les voitures (+ 10% en 2013), l’Europe du Sud et la France ont connu des reculs historiques de leurs marchés et de leur industrie. La France a  connu de nouveau une baisse de 5,7% en 2013. L’Allemagne est dans une situation intermédiaire. Le marché intérieur a baissé, même récemment avec -3% en 2012 et -4,2% en 2013 mais les constructeurs allemands qui affichent une réussite mondiale sans égal sur le haut de gamme ont pu continuer à développer leur production européenne et faire croître leur empreinte mondiale autour de leurs marques premium Audi, BMW et Mercedes.

Pourtant, les ventes d'automobiles ont progressé de 7.1 % depuis ce début d'année. Comment expliquer les différents problèmes évoqués par monsieur Mulally ? Faut-il en déduire que les problèmes auxquels l'industrie européenne fait face sont d'ordre structurels ?

L’industrie automobile mondiale sort de la plus longue crise de son histoire en période de paix. Bousculée par la crise pétrolière de 2008 qui avait porté le prix du baril de pétrole à 145 $ en juillet 2008, assommée par la crise financière de l’automne 2088, l’industrie a connu sa pire année en 2009. Les chiffres de 2013 ont rassuré et 2014 devrait confirmer un niveau de production revenu à un niveau élevé. Cette renaissance du marché mondial va-t-elle laisser l’industrie européenne sur la touche ? 

Par ailleurs, on sait également qu'une usine automobile n'est plus rentable lorsqu'elle exploite moins de 70% de ses capacités. Qu'est-ce que cela implique ? Quelles en sont, concrètement, les conséquences ? Pour l'industrie automobile, mais aussi pour tous les emplois qui y sont liés ? Aujourd'hui, comment se dessine l'avenir du secteur automobile européen ? Les grands industriels vont-ils être dans l'obligation de revoir leur modèle ?

Pour l’Europe, il faut rappeler que l’industrie automobile revêt une importance vitale. Elle représente 12 millions d’emplois directs et indirects, un excédent commercial de 90 milliards € et un budget de recherche et développement de près de 30 milliards €. L’Union européenne a donc lancé un programme, Cars 2020, pour consolider cette industrie. Or dans ce marché mature, les augmentations de volume seront très faibles alors même que la place de la voiture dans les villes, et de façon générale l’image de la voiture individuelle dans les aspirations individuelles, est en régression. Les volumes seront donc au mieux stables alors que la concurrence des constructeurs extra-européens ne diminuera pas.

Le choc de l’industrie européenne sera donc lié à la restructuration inévitable de ce secteur historique. Le processus a été engagé par Renault avec la fermeture en Belgique de son site de Vilvorde en 1997. On estime aujourd’hui que sur les 43 usines de carrosserie-montage que comporte l’Europe, 10 sont menacées de fermeture, impliquant 80000 emplois. De très nombreux rapports comme les déclarations des constructeurs estiment à plus de trois millions, en hypothèse basse, la capacité de production durablement excédentaire en Europe. Carlos Tavares, alors chez Renault,  estimait, début 2012, la surcapacité européenne entre 3 et 12 millions de véhicules.

La déconstruction de l’industrie automobile britannique, qui n’a plus de constructeur national, s’est faite avec une forte réduction du nombre d’usines historiques et d’emplois : Ford Dagenham (2002), Jaguar Coventry (2004) GM Luton (2002), PSA Ryton (2007), MG Rover Longbridge (2005). Mais les marques survivantes se portent bien, comme Land Rover et Jaguar, devenus indiens, ou Rolls Royce et Mini, bavaroises. La meilleure usine automobile européenne est Sunderland qui appartient à Nissan et atteint une excellente productivité de plus de 500 véhicules construits par an et par personne.

En Suède l’usine Saab à Trollhättan s’est arrêtée  en juin 2011. La même année, le groupe automobile Fiat a fermé, pour des raisons de coûts, son usine de Termini Imerese en Sicile avec1 600 personnes.

Les constructeurs européens ont tous conduits pour des raisons de prix de revient à produire leurs véhicules d’entrée de gamme dans les pays à faible coût de main-d’œuvre. De fait, depuis 1997, leur production a baissé en France de 33%. 

Pour la 208, les modèles d'entrée de gamme sont produits à Trnava, en Slovaquie, tandis que les modèles les plus haut de gamme sont produits à Poissy (Yvelines) et Mulhouse (Haut-Rhin). Selon PSA, "la différence de coût de la main-d'œuvre est de 1 à 3 entre la France et la Slovaquie". Une 208 slovaque coûte 500 à 1 000 euros de moins qu'une française. La décision de transférer la production de la C3 en Slovaquie confirme ce mouvement.

Chez Renault, selon les calculs de Carlos Tavares,  "l'écart de coût de production d'une Clio de Flins, en France, et de Bursa, en Turquie, est de 1 300 euros". Renault ne produit plus en France que le quart ses volumes et veut concentrer, à terme, ses usines hexagonales sur le haut de gamme, domaine sur lequel il est le moins robuste. 

Un premier mouvement a consisté à réimplanter les nouvelles usines en Europe de l’Est. Les constructeurs allemands assemblent en Allemagne des composants issus de leurs usines dans les pays d’Europe centrale, mais aussi y produisent de plus en plus pour faire face à la hausse de la demande des véhicules complets. C’est le cas d’Audi en Hongrie à Györ, usine  de moteurs depuis 1992 mais désormais dotée d’une capacité de 125 000 véhicules par an. Volkswagen produit 420 000 véhicules en Slovaquie à Bratislava, dont des véhicules haut de gamme comme la Porsche Cayenne ou l’Audi Q7, et emploie près de 10 000 personnes. Volkswagen produit  également des moteurs en Pologne depuis 1999. 40 % de la production slovaque de VW est exportée en Allemagne. Ainsi Volkswagen produit en Europe de l’Est un million de véhicules, soit 11% de sa production mondiale.

Renault est présent en Slovénie, en Turquie et en Roumanie avec Dacia, Fiat en Pologne, PSA en Slovaquie. Le mouvement d’externalisation des usines d’Europe de l’ouest se poursuit également hors Europe en Afrique du Nord où l’usine de Tanger de Renault, inaugurée en 2012, va voir sa capacité doubler… En 2013 100 000 véhicules y ont été assemblés, dont 93 000 pour l’exportation et 20 000 pour la France.

Quelles sont les possibles solutions à une telle situation ? Concrètement, qu'est-ce que l'Europe peut apporter à l'industrie automobile qui lui permettrait de se démarquer ?

L’industrie européenne ne pourra survivre qu’en développant une vision mondiale et en produisant des modèles distinctifs et innovants. La crise a été accompagnée par une vague de transformations techniques sans précédent qui ont porté tant sur les motorisations que sur le développement de l’électronique embarquée. Ces percées sont restées longtemps l’apanage du haut de gamme avant de se démocratiser lentement. L’abaissement du coût de l’électronique en revanche  permet une rapide diffusion sur l’ensemble des gammes, les voitures d’entrée de gamme et moyennes ayant toutes désormais un équipement sophistiqué tant pour le support aux fonctions de conduite que pour les distractions à bord. Le grand rêve d’une automobile entièrement autonome a fait l’objet en 2013 d’annonces multiples certainement autant pour contrer les appétits dans l’automobile de Google que pour proposer des modèles réellement opérationnels à court terme.

  • Innovations dans les motorisations

L’évolution des modes de propulsion a aussi connu une transformation, mais l’inertie du marché et de la fiscalité automobile, les habitudes des clients interdisent toute rupture brutale. En cinq ans, le véhicule électrique totalement anecdotique en 2007 est devenu la vedette des salons automobiles mais n’a pas encore trouvé toute sa place dans les rues.  Les ventes, en progression forte, restent marginales au regard de la production mondiale même si elles représentent désormais une réalité commerciale. L’intérêt pour le véhicule électrique se confirme pour les flottes captives, la logistique urbaine, les solutions d’auto-partage. Le marché n’est plus sceptique, mais pour compenser la fin inéluctable de l’aide publique partout dans le monde, des progrès réels en matière de coût et d’autonomie doivent être accomplis pour séduire l’acheteur individuel. BMW souhaite suivre la voie du produit haut de gamme ouverte aux USA par Tesla cette voie avec son modèle i3. L’Alliance Renault Nissan n’atteint certes pas les volumes prophétiques annoncés par son président (1,5 millions en 2016) mais offre une gamme significative dont Nissan Leaf (26000 modèles vendus aux USA en 2013) et Renault Zoe (5500 en France en 2013) sont les emblèmes. Au total 8700 voitures et 5500 utilitaires légers électriques ont été vendus en France en 2013. 

Mais la période a été surtout féconde pour le développement de moteurs thermiques plus petits, plus efficaces, agréables et sobres. Les moteurs à essence de petite cylindrée, turbocompressés, ont fait leur apparition et figurent désormais dans la plupart des gammes. Ces moteurs concilient dynamisme et faible consommation et préfigurent la cible des 2 litres aux 100. Les constructeurs français sont les bons élèves de l’Europe, avec les Italiens. Ce n’est pas tant par vertu que grâce à une structure de la demande qui privilégie les voitures de petite cylindrée. Le marché français se concentre sur les véhicules d’entrée de gamme et économique (53%) et de moyenne gamme inférieure (30%), contre respectivement 41% et 28 % pour la moyenne de 18 pays européens.  La puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW. Cette situation du marché conduit à des performances en émissions de CO2/km parmi les meilleures d’Europe avec 117,81 g/km contre 136 g/km en Allemagne. 

Dans une perspective de baisse mondiale de la consommation et des émissions ce n’est pas un handicap. Car en redoublant de créativité, la petite voiture française peut en effet se développer mondialement. Pour cela il faut continuer de tirer vers le bas les consommations d’énergie. Une consommation de 2 litres au 100 est accessible en travaillant sur le poids, principal facteur de consommation. Il faut aussi revoir l’architecture qui n’a pas changé depuis les années trente et l’adoption de la caisse acier soudée. L’industrie automobile souvent critiquée par sa passivité apparente reste largement leader en matière de brevets. Un brevet sur cinq déposé en France concerne l’automobile, et 35% d’entre eux la réduction des émissions de CO2.

Dans la recherche d’une baisse des consommations, la solution qui a généré un consensus sur le marché est l’hybridation. 41000 voitures hybrides ont été vendues en France en 2013, dont 26000 Toyota et 12000 PSA. 

  • Innovation dans les usages 

Si l’automobile reste le principal objet de désir des populations des pays émergents, il n’en est plus de même en Europe et au Japon. Les Etats-Unis qui ne disposent pas à grande échelle de système de transport public efficace  dans leur pays peu dense reste un cas particulier où l’automobile même moins désirée que par le passé, notamment auprès des jeunes, est indissociable d’un mode de vie et de structures territoriales  qui ne peuvent évoluer rapidement.

En Europe et au Japon, qui sont des marchés matures, la demande n’est qu’une demande de renouvellement. Or le coût de possession de l’automobile augmente avec la raréfaction des zones de stationnement, les freins à l’usage urbains. La demande y reste faible face à la disponibilité d’une offre de transports publics de qualité. Les solutions alternatives à la pleine possession de son véhicule se sont développées. Elles sont multiples et rencontrent un succès lié au couplage de l’information mobile avec l’usage d’un véhicule mutualisé. Ce découplage entre la propriété et l’usage est entré dans les pratiques courantes avec le développement des formes de consommation collaboratives. Le covoiturage rencontre un grand succès en France avec notamment blablacar.com et apparait comme une solution appropriée pour les parcours péri et interurbains qu’ils soient alternatifs réguliers ou plus aléatoires sur longues distances. L’auto-partage avec le succès d’AutoLib est entré dans le paysage urbain à Paris, Lyon ou Nice.

Il est indiscutable que la régression de l’emploi automobile en Europe occidentale est inscrite dans l’évolution des marchés. Mais les firmes européennes, outre les marchés premium, peuvent aspirer à jouer un rôle majeur en innovant tant dans les produits, plus créatifs, moins gourmands en énergie, que dans les logiques d’usage et développant "l’automobile servicielle".

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