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Quand l’aimable visage occidental de la lutte contre les discriminations se transforme en grimace qui braque le reste du monde
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Universalisme mal placé

Au-delà des polémiques internes à la société française, c'est la crédibilité de l'Occident en général qui est mise à mal par des initiatives comme "ce que soulève la jupe", journée au cours de laquelle des lycéens nantais se sont rendus en cours vêtus d'une jupe pour lutter contre les préjugés sexistes.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une initiative lycéenne dans l'académie de Nantes appelle tous les élèves à venir vêtus d'une jupe pour lutter contre les préjugés sexistes. Avec ce genre d'initiative, la lutte contre les préjugés n'est elle pas en train de tourner à l'absurde ?

Chantal Delsol : Oui, à l’absurde ! Mais surtout je dirais que c’est une véritable idéologie qui se met en place, sûre de son bon droit et écrasant tout sur son passage. Il faut voir le dossier du Ministère au sujet de cette journée de la jupe : on énumère les bons lycées qui ont joué le jeu, le nombre de bons lycéens  qui se sont engagés, et par dessus tout, ce lycéen, un vrai zélateur, qui séjournant actuellement aux USA, a convaincu les autorités de son lycée américain de provoquer eux aussi une journée de la jupe – un héros ! bref, on se croirait en Union soviétique ! Je suis certaine personnellement qu’il faut cesser de considérer les femmes comme des êtres immatures par nature ( !), mais je ne pense pas qu’on peut procéder de la sorte, en imposant par la dérision une égalité factice. Ce dont les femmes ont besoin, ce n’est pas de voir les hommes porter des jupes, c’est simplement d’être considérées comme des adultes, et ce n’est pas acquis partout. Voilà des gens qui n’ont pas d’arguments, et ne sont portés que par la haine de la revanche : cela ne peut pas marcher, cela provoque les haines dans l’autre sens.

Bertrand Vergely : Ce mouvement semble absurde. Je ne pense pas qu’il l’est. Dans quinze jours il y a les élections européennes. La Gauche qui a subi une défaite cinglante aux Municipales ne sait pas quoi faire pour remobiliser ses troupes et notamment les jeunes qui n’ont pas voté pour elle. Utiliser la lutte contre l’homophobie est un moyen d’aller à la pêche aux voix en  invitant les jeunes à se positionner sur ce débat ô combien passionnant et vital pour notre avenir : la jupe pour tous.

En Occident, les problématiques de discrimination sont malgré tout largement prises en compte. Dans quels pays ou zones, cette vision d'une "gentille" modernité occidentale ne passe-t-elle pas ? Pour quelles raisons ?

Chantal Delsol : Depuis le début du XXI° siècle en effet nous nous rendons compte que la démocratie occidentale n’est pas cet ouragan qui va tout emporter dans son sillage. Les oppositions se multiplient, et pas des moindres. Les pays musulmans fondamentalistes récusent ouvertement les droits de l’homme tels que nous les décrivons. Et dans les pays musulmans en voie de démocratisation, il y a de sérieuses oppositions. La Chine nous éclate de rire au nez et nous demande de nous mêler de ce qui nous regarde, lorsque nous voulons la "civiliser". L’orthodoxie russe a une idée de la dignité humaine tout à fait sui generis, il suffit de lire la Déclaration des droits de l’homme du patriarche Kyril. Il faut comprendre que ces cultures ont une histoire et une anthropologie culturelle différentes de la nôtre. Pour les musulmans, Dieu préfère l’homme à la femme, ce qui est écrit en toutes lettres dans le Coran, et on ne voit pas bien comment nos droits de l’homme pourraient s’en accommoder. La Chine n’a jamais cultivé une idée de la dignité spécifique de l’humain, et fait passer l’ordre avant la liberté personnelle, si l’on peut se permettre ces simplifications beaucoup trop rapides. Quand à l’orthodoxie russe, elle a une idée communautaire de l’être humain, qui ne tient pas compte par exemple de la liberté de conscience. Il faut ajouter que ces cultures, comme la nôtre, changent dans l’histoire et reçoivent des influences. Depuis le début du XX° siècle la Chine s’est largement occidentalisée, et c’est le cas des pays musulmans. Mais cela demande du temps, et le pire est de brutaliser. Il faut convaincre. Cela signifie que les droits de l’homme ne sont pas une idéologie, se prenant pour une science, et prompte à s’imposer partout, mais une ouverture, une promesse, une offre, dont il faut persuader par le témoignage. Nous en sommes bien loin. Nous nous comportons comme des nervis exaltés et haineux.

Bertrand Vergely : Cette lutte contre la discrimination ne passe pas dans d'autres pays tout simplement parce qu'elle n’est pas porteuse d’un projet profond et crédible. Aujourd’hui, quand l’Occident lutte contre les discriminations c’est pour avancer le projet d’un monde basé sur l’individualisme et la consommation. Derrière ce projet apparemment émancipateur se profile une domination sans précédent du modèle occidental. C’est la raison pur laquelle notre modèle libéral ne convainc pas le reste du monde. Il faut se poser cette question. Sommes-nous désirables ? Et avec des jupes pour tous allons-nous le devenir ?

Comment sont envisagées les initiatives telles que celle de la jupe dans ces pays ? Finissent-elles par les braquer ?

Chantal Delsol : Tantôt elles les révoltent et tantôt elles les font rire. En tout cas elles nous font apparaître comme des gens grotesques, ce que nous sommes en effet. Nous leur donnons tous les bâtons pour nous battre. C’est contre-productif. Nous les éloignons de nous : si se rapprocher de nous c’est tomber dans ces excès, il est sûr qu’ils préfèrent ne pas y penser.

Bertrand Vergely : Les pays hors d’Europe respectent l’Occident quand celui-ci est porteur d’avancées sociales et humaines authentiques. En ce sens, le féminisme qui défend les femmes face à l’oppression fait l’unanimité dans la communauté morale et spirituelle de l’humanité. Cette communauté va-t-elle se braquer contre les lycéens nantais en jupe ? Je pense qu’ayant des problèmes sérieux à résoudre, celle-ci  n’a pas de temps à perdre.

La façon dont l'Occident défend sa vision du progrès finit-elle par être contre-productive ? Avec quelles conséquences concrètes ?

Bertrand Vergely : Quand l’Occident défend la notion de progrès cela a une certaine allure ainsi qu’une certaine consistance intellectuelle. Quand on se met à faire du mariage pour tous ou de la Jupe le critère du progrès le monde nous regarde avec stupeur en se disant : "Les pauvres. Comment osent-ils ?"

Comment l'Occident pourrait-il mieux s'y prendre ?

Chantal Delsol : Par un témoignage intelligent d’abord. Par la persuasion. En tenant compte du facteur temps, donc en cessant d’être impatient. Mais pour tout cela il faudrait avoir saisi le sens et la profondeur de ce processus de développement des consciences. Or nous ne l’avons pas du tout compris. Nous croyons, dans le cas précis, que les femmes doivent se venger des humiliations qu’on leur a fait subir dans l’histoire. Et nous ne savons pas du tout pourquoi les femmes devraient être considérées comme des adultes. Nous ignorons qu’il s’agit là d’une histoire culturelle appuyée sur des fondements religieux, et probablement universels, mais comme promesse et non pas comme fait acquis. Bref, nous nous précipitons dans une égalité mathématique, et stupide, parce que les humains ne sont pas des chiffres ; et dans une égalité haineuse, qui détruit tout sur son passage, y compris ce que nous étions censés protéger. Pour finir : vous avez vu les gros mollets du garçon qui dépassent de la courte jupe sur le dossier "ce que soulève la jupe" ? pour l’instant on convainc tous ces jeunes garçons que pour expier les fautes machistes, il faut qu’ils acceptent de se rendre ridicules – évidemment on n’accepte pas de penser que les jambes des filles sont plus gracieuses et conviennent, elles, à la jupe. Ne croyez-vous pas que ces garçons ridiculisés finiront par se révolter ? à leur place, c’est ce que je ferais. Et alors, ils en déduiront que pour respecter les filles, il faut qu’ils soient ridicules, donc ils n’accepteront plus de les respecter. On produira du fondamentalisme et sûrement pas de la tolérance.

Bertrand Vergely : Nous devons faire une révolution, culturelle afin de retrouver nos fondamentaux. Tels que nous sommes actuellement, nous n’allons pas dans le mur. Nous sommes dans le mur. La France qui est l’un des plus beaux pays du monde et qui a tout pour être heureux est l’un des pays les plus tristes qui soit au monde. et pour cause.  Soulever la jupe ? C’est avec ça que l’on va bâtir l’avenir ?

Ce mouvement se veut antisexiste. Le sexisme désignant l’humiliation des femmes, on devrait s’attendre à ce qu’il fasse quelque chose en faveur des femmes et de l’amélioration de leur condition.  Surprise, pas du tout. Loin de parler des femmes, il n’est question ici que de promouvoir l’abolition de la différence sexuée. La lutte pour le respect des femmes n’est donc qu’un prétexte pour parler d’autre chose. Plus que de lutte contre le sexisme, il semble que l’on ait affaire ici à une lutte pour le transsexualisme. 

À l’évidence, on a affaire là à une opération politicienne. Suite à son échec lors des Municipales et face à un échec probable aux Européennes, la Gauche a besoin de reprendre la main.  En provoquant un "débat" parmi les jeunes, elle est sûre de ramener à elle un certain nombre d’entre eux qui n’ont pas voté aux élections précédentes. Pour cliver la société française et dresser les "progressistes" contre les "réacs", il n’y a pas mieux.

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