Omar m'a tuer : un film qui rate sa cible<!-- --> | Atlantico.fr
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Sami Bouajila dans le rôle d’Omar Raddad.
Sami Bouajila dans le rôle d’Omar Raddad.
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Ciné réalité

Le film "Omar m'a tuer" de Roschdy Zem sort en salles le mercredi 22 juin. Selon le journaliste Guy Hugnet, il n'est guère conforme à la véracité des faits de la fameuse affaire. Tromperie sur la marchandise, en somme...

Guy  Hugnet

Guy Hugnet

Guy Hugnet est un journaliste indépendante spécialisé dans les enquêtes scientifiques et les faits divers. Auteur d'enquêtes documentaires sur Omar Raddad et Guy Georges pour la série "Affaires criminelles" diffusée sur NT1, il publie Affaire Raddad : le vrai coupable (L'Archipel, 15 juin 2011).

 

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Remarquablement interprété – en particulier par Sami Bouajila dans le rôle d’Omar Raddad –, jouant à fond la corde sensible de l’émotion, le film de Roschdy Zem trouvera peut-être un accueil favorable auprès du grand public. Pourtant, il est peu probable qu’il atteigne son objectif avoué : convaincre la justice française de ré-examiner le dossier.

Rappelons qu’en 1994, Omar Raddad a été condamné à 18 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de Ghislaine Marchal, son employeur. Quatre ans plus tard, sur l’initiative personnelle d’Hassan II, roi du Maroc, il bénéficiait d’une grâce présidentielle accordée par Jacques Chirac. Depuis, le jardinier marocain ne cesse de crier son innocence et de réclamer un nouveau procès.

En réalité, le film ne sert pas sa cause. Pour au moins deux raisons. La première : il accumule les contrevérités. La seconde : il élude les questions qui fâchent, celles qui lui ont valu d’être suspecté puis inculpé. Or, à l’inverse du grand public - qui dans sa grande majorité ne connaît pas le fond du dossier -  les juges, eux, ont accès à toutes les pièces. Il leur est donc facile de comparer les affirmations du scénario et celle de l’enquête. Et de pointer du doigt les défaillances. Quelques exemples.

Selon le film, Madame Marchal aurait été tuée le lundi 24 juin, ce qui disculpe Omar Raddad qui se trouvait à Toulon ce jour-là. Mais la conclusion des trois experts - parmi lesquels le professeur Dominique Lecomte, directeur de l’Institut médico-légale de Paris - mandatés par la commission de révision est tout autre et sans équivoque : Madame Marchal est morte entre 11h45 et 14h le dimanche 23 juin et non le 24. Or, ce jour-là, Omar Raddad se trouvait à proximité du lieu du crime.[1]

Autre contrevérité, celle de l’inscription sanglante désignant Omar. Impossible, dit le film, de l’écrire dans le noir. Il existe en réalité deux inscriptions. La première « OMAR M’A TUER », très nette, bien lisible, légèrement penchée. L’enquête a montré qu’elle a été rédigée alors que la lumière du couloir était allumée. L’interrupteur porte les traces du sang de la victime. La seconde inscription « OMAR M’A T », non achevée, est quasiment illisible. Gribouillée dans le noir, elle témoigne de l’affaiblissement de Madame Marchal qui se vide de son sang et meurt quelques minutes plus tard. En faisant l’amalgame entre les deux inscriptions, le film tord le cou à la réalité des faits.

Omar Raddad parlait-il et comprenait-il correctement la langue française au moment des faits ? Tout au long du film, on le voit en proie à des difficultés pour s’exprimer dans notre langue. Les gendarmes, eux, affirment n’avoir eu aucun problème de compréhension lors de l'interrogatoire. Ils ne sont pas les seuls. Selon sa femme, on parlait français et arabe à la maison. De leur côté, le docteur Roure, psychiatre, et le docteur Courbet, psychologue, n’ont pas éprouvé non plus de difficultés pour l’interroger en français. Omar Raddad, ont-ils précisé, comprenait et s’expliquait très correctement en français. Ce n’est que plus tard, lorsque ses avocats sont entrés en piste, qu’il a demandé l’aide d’un interprète. Stratégie de victimisation?

Face à cette litanie de contrevérités - soi disant disparition de photos, pas de sang dans la cave, Omar n’y allait jamais, pseudos révélations attendues de l’ADN, etc -  les juges vont sans doute rester pantois. 

Autre point névralgique à leurs yeux : le film esquive les éléments essentiels - indices, charges - qui ont valu au jardinier marocain d’être inculpé puis condamné. À aucun moment, on ne voit le fil rouge de l’enquête. La thèse de l'accusation passe à la trappe au profit de l’erreur judiciaire martelée comme une évidence. Nul doute pourtant que le scénario aurait été beaucoup plus convaincant s’il avait confronté les points de vue. Ainsi, l’absence d’alibi de l’accusé n’est pas traitée. Le jour et à l’heure du crime, Omar Raddad qui se trouve à 400 mètres des lieux, prétend être descendu déjeuner chez lui. Dans ce cas, six à sept personnes auraient dû l’apercevoir. Or, aucune ne l’a vu. Autres sujets éludés, les graves problèmes d’argent du jardinier, son addiction au jeu, le fait que nul n’était au courant qu’il se trouvait à proximité ce jour-là (personne ne pouvait donc lui faire porter le chapeau, thèse de la défense). Et surtout, point crucial, démonstration a été faîte que seule la victime a pu mettre en place le dispositif de blocage de la porte. C’est donc elle qui a désigné son meurtrier.

En jouant uniquement la carte de l’émotion sans se confronter vraiment à son sujet, Roschdy Zem ne prend pas seulement le risque de contrarier les juges. Il s’expose également à un revirement de l’opinion. Celle-ci, s’apercevant qu’on lui a menti, pourrait bien se détourner de l’affaire ou pire prendre parti contre Omar Raddad. Quant à Madame Marchal, massacrée au fond de sa cave par un beau dimanche de printemps, à la vue de ce spectacle, elle doit se retourner dans sa tombe. 


[1] http://www.courdecassation.fr/hautes_juridictions_commissions_juridictionnelles_3/commission_revision_condamnations_penales_624/decisions_625/2001_3633/012_eacute_8536.html

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