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Tennis féminin : l'image des joueuses prime sur leur jeu
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Roland Garros

Le tournoi de Roland Garros l'occasion idéale d'aborder les rapports entre le tennis masculin et le tennis féminin, sa dialectique et ses imaginaires... Et force est de constater que le jeu des joueuse s'apprécie aussi en fonction de leur image.

Emilie Coutant

Emilie Coutant

Emilie Coutant est sociologue, consultante en mode, médias, tendances, risques et addictions.
Docteur de l’Université Paris V, elle a soutenu une thèse intitulée “Le mâle du siècle : mutation et renaissance des masculinités. Archétypes, stéréotypes, et néotypes masculins dans les iconographies médiatiques” (2011). Fondatrice et dirigeante de la société d’études qualitatives et prospectives Tendance Sociale, elle réalise études et enquêtes sociologiques pour le compte d’entreprises ou d’institutions. Enseignante dans diverses universités et écoles de mode, elle est également Présidente du Groupe d’Etude sur la Mode (GEMode), rédactrice éditoriale des Cahiers Européens de l’Imaginaire et secrétaire du Longeville Surf Club.
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Le célèbre tournoi de Roland Garros a démarré. Aux aficionados de la raquette et de la terre battue, la simple évocation de cette grande messe annuelle du tennis français produit la même émotion qu’aux passionnés de cyclisme à la veille du Tour de France. Pour les non-aficionados ou les moins passionnés aussi... Bien que faisant partie de la deuxième catégorie, je dois reconnaître que ce rendez-vous hautement médiatique nous fournit une bien belle matière de réflexion s’agissant du jeu des genres, de la construction des identités sexuées, et de l’esthétique symbolique des corps en mouvements dans ce sport à forte charge onirique et érotique.       

Discipline très bourgeoise, presque noble, le tennis fait partie de ces sports où l’on doit faire preuve à la fois d’agilité, de souplesse et d’aisance dans le mouvement, que de performance, de robustesse et de technicité. Il fait partie de ces domaines où l’art de la mise en scène importe autant que la force. A la fois lieu d’affrontement et d’échange, le tennis apparaît animé en profondeur par une dialectique de la douceur et de la force, subtil mélange de mouvements gracieux et aériens et de gestes techniques, précis et puissants. Le tennis semble se caractériser par cette dimension double,  quasi androgyne, à travers laquelle le sublime de la symbolique ascensionnelle (dans le service par exemple) se conjugue pleinement avec la vigueur quasi bestiale (des rebonds et des revers). Dans cette perspective, l’imaginaire du tennis semble dynamisé par le schème de la duplicité, cette dialectique des genres, cette image de la complémentarité et son pendant unisexe. Sport catégorisé pourtant comme masculin car davantage pratiqué et suivi par les hommes, et nécessitant un effort physique important, le tennis s’est ouvert aux femmes de façon très progressive depuis plus d’un siècle. Dès ses débuts, le tennis féminin et ses championnes, à l’instar de l’historique Suzanne Lenglen, hissée aux rangs de héros national dans les années 1920, ont participé à libérer les femmes du contrôle des corps tout en contribuant à imposer un idéal féminin athlétique quelque peu androgyne.

Le diktat de la jupette

Si à cette époque, hommes et femmes jouaient respectivement en pantalon/chemise et robe longue, ils ont peu à peu délaissé ces tenues strictes et son lot d’accessoires contraignants (tels que les portes jarretelles !) pour adopter des shorts, pour les premiers, et des robes de plus en plus courtes pour les secondes. En privilégiant le confort et le mouvement, tout en conservant élégance et coquetterie, le tennis (notamment féminin) s’est développé en faisant siennes ces considérations esthétiques et corporelles. Si l’on peut souligner l’aspect positif de la libération physique du corps en mouvement par l’adoption de nouveaux textiles et le dénudement de certaines parties du corps, on regrettera que ce dévoilement progressif se soit accompagné d’une forte coercition de l’apparence du corps. Souvent comparées à leurs homologues masculins en ce qui concerne leurs performances, les joueuses de tennis font néanmoins partie de ces sportives qui, comme dans toutes les disciplines fortement médiatisées, ne sont pas prises pour ce qu’elles sont, des pratiquantes d’un sport, mais sont majoritairement décrites sous un angle d’objectivation sexuelle où l’on met en évidence leurs caractéristiques physiques ou vestimentaires. Parmi elles, il suffit d’évoquer les exemples d’Anna Kournikova, de Maria Sherapova ou d’Ana Ivanovic qui, en dépit d’un palmarès mince, sont très médiatisées. Qu’il s’agisse des commentaires ou des photographies qui illustrent le tournoi, la femme est rapportée voire soumise à ce qui se voit d’elle, aux normes de beauté plastique, dans une sorte d’érotisation esthétique permanente de son enveloppe corporelle. Aussi élégant et coquet soit-il, le tennis féminin se résume souvent dans les médias à quelques jupettes bien soulevées, à quelques cris incongrus bien mesurés, voire à quelque « Top 10 des joueuses de tennis les plus sexy » (sic !). La joueuse se doit d’être féminine, attrayante et.... hétérosexuelle : malheur à celles qui ne portent pas la jupette et aux lesbiennes décidément trop masculines !

Ces dimensions esthétiques, frivoles et érotiques entourant les joueuses, qui paraissent tout à fait réductrices voire machistes, illustrent pourtant fort bien la duplicité qui caractérise l’imaginaire du tennis en ce moment de transformation sociétale que nous connaissons : si l’objectif premier et rationnel du tennis est bien de parvenir à la performance au moyen d’un geste technique précis, la mise en spectacle de ces gestes, de ces efforts, de ces tournois s’accompagnent nécessairement de grâce, d’esthétique, de beauté et de mise en valeur des virtuoses du corps. A coté d’une Vénus Williams, très féminine et décrite comme « bling bling », on a aussi une Serena très musclée et virile ; toutes deux repoussent les limites du genre et semblent réinventer une corporéité androgyne qui participe de cette Erotique du tennis dont parle Franck Evrard (Ed. Hermann, 2011), à la fois étrange et fascinante,profondément archaïque et désormais hybride.

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