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Le shadow banking chinois s'est financé auprès des banques et des grandes entreprises publiques.
Le shadow banking chinois s'est financé auprès des banques et des grandes entreprises publiques.
©Reuters

Menace fantôme

Le shadow banking chinois s'est financé auprès des banques et des grandes entreprises publiques, créant ainsi le risque d'une forte contagion systémique en raison de l'insolvabilité de nombreux créditeurs, collectivités locales en tête.

François  Leclerc

François Leclerc

François Leclerc est chroniqueur de "L'actualité de demain" sur le blog de Paul Jorion ainsi que dans La Tribune.

Il est également l'auteur de "Fukushima, la fatalité nucléaire", aux éditions "Osez la République sociale!".

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Atlantico : Mark Carney, dirigeant de la Banque d'Angleterre, a récemment fait part de ses inquiétudes sur la popularisation du shadow banking dans les pays émergents, cette tendance représentant d'après lui l'un des principaux risques financiers à l'heure actuelle. Peut-on définir tout d'abord concrètement ce que représente cette pratique ?

François Leclerc : Comment décrire simplement le shadow banking ? Ce n’est pas facile car on y enfourne tout ce qui ne relève pas du secteur bancaire régulé, comme dans une sorte de fourre-tout. Le fait que l’on a du mal à le définir reflète combien le monde financier s’est complexifié. Car il y a foule : le Conseil de stabilité financière (FSB) y regroupe les fonds d'investissements, les fonds monétaires, les sociétés de financement et entités spécialisées dans les titres qui fournissent des crédits ou des garanties de crédits, et encore les entreprises d'assurance ou de réassurance qui émettent ou garantissent des produits de crédit.

A sa grande diversité correspondent autant d'interrogations sur sa régulation, dont la mission a été confiée au FSB (qui la poursuit lentement). Celui-ci mène ses réflexions dans cinq grands domaines : l'interaction des banques avec le système bancaire parallèle, les fonds monétaires, les autres entités qui ont des activités bancaires dans un environnement non régulé, la titrisation, ainsi que le prêt de titres et le refinancement. Mais avancer dans la régulation du shadow banking est un véritable travail de fourmi dont on doit se demander ce qu’en sera le débouché. Il faudrait non pas s'en tenir aux structures, comme cela a déjà été décidé à tort pour le système bancaire, ou même aux marchés, mais aux instruments financiers eux-mêmes, car là se trouve la clé de toute régulation effective. Et l'on en est pas là. Quoiqu’il en soit, la lenteur avec laquelle il est procédé, ainsi que les obstacles qui sont rencontrés, augurent mal de la suite. Si l'on en veut une confirmation dès à présent, il suffit de se référer à la débâcle qu'a connue la réforme des fonds monétaires engagée par la Securities and Exchange Commission (SEC) américaine.

L’expression "shadow banking" traduit un mystère mais induit deux idées fausses. La première est que par opposition à ce qui serait dans l’ombre, le secteur bancaire serait dans la lumière, alors que son opacité est tout aussi avérée ; la seconde, que ces deux secteurs d’activité financière seraient distincts, alors qu’ils sont en réalité étroitement interconnectés.

Les pays dits "en développement" sont particulièrement friands du shadow banking à l'heure actuelle. Comment l'expliquer ? Quel intérêt un pays comme la Chine, pour prendre cet exemple, y trouve-t-il ?

Faut-il considérer que le shadow banking qui s’est développé en Chine est plus particulièrement préoccupant, comme craint par Mark Carney ? Cette distinction entre systèmes des pays émergents et de ceux qui ne le sont pas ne me semble pas avoir plus de pertinence que celle que l’on opère entre les banques régulées et le shadow banking. Le monde financier est globalisé et cela ne se manifeste pas seulement par son ignorance des frontières, mais aussi par la profonde interconnexion de toutes ses composantes. Il est devenu systémique par nature et endiguer ce danger-là est une gageure. Ben Bernanke, du temps où il était président de la Fed, avait reconnu que l'on ne savait pas le conjurer. En conséquence, ce ne sont pas les structures qu’il faut réglementer, mais les instruments financiers qui doivent être proscrits, quand ils ne contribuent pas effectivement au financement de l’économie. Quand ils sont "socialement inutiles", comme l’avait observé à la grande surprise de tous Adair Turner, du temps où il était président de l’autorité régulatrice britannique.

En quoi le shadow banking chinois serait-il donc plus particulièrement préoccupant ? Parce qu’il est apparu plus vite et est en prise directe avec le financement de l’économie ? Le danger ne proviendrait-il pas plutôt de l’énorme bulle d’endettement qui résulte de l’injection massive de liquidités par la banque centrale, afin d’amortir dans l’urgence le choc de la crise occidentale ? Encore un problème de dette et de solvabilité, décidément ils s'accumulent ! Car les autorités chinoises ont récolté ce qu'elles ont semé : une mauvaise allocation du crédit. Les liquidités n’ont pas alimenté comme souhaité l'économie mais ont été captées par les banques et les grandes entreprises publiques. Et l’essor du shadow banking chinois a répondu aux besoins de financement des activités économiques qui n’ont pas accès au secteur bancaire public. Mais ses entités ayant pignon sur rue se sont financées auprès des banques et des grandes entreprises publiques, créant ainsi le risque d'une forte contagion systémique en raison de l'insolvabilité de nombreux créditeurs, collectivités locales en tête. Le système financier chinois est lui aussi systémique, et le risque provient de l’éclatement non maitrisé de la bulle du crédit. La dette, toujours la dette...

La tentative de contourner les (timides) régulations bancaires qui se mettent en place un peu partout peut-elle expliquer la prolifération de services bancaires "parallèles" ?

A l’origine de cette prolifération qui ne fait que débuter, on assiste à un retour de "l’appétit au risque" qui se manifeste de multiples façons. Notamment par une embellie boursière aux Etats-Unis, ou par cette ruée inattendue vers la dette souveraine en Europe (y compris pour la dette grecque, qui va devoir être restructurée). Certes, la Fed lève le pied aux Etats-Unis et diminue progressivement son programme d’achats de titres face à cette frénésie financière qui l’inquiète, mais les banques centrales continuent de mettre à disposition du système bancaire des liquidités à très bas prix et à l’alimenter. Les investisseurs croulent sous les liquidités à placer.

Les banquiers avaient alerté que si on réglementait trop la profession, les activités à risque allaient rejoindre le shadow banking où elles ne sont plus contrôlables. Leur mise en garde n’était pas sans intentions, mais elle n’en était pas moins pertinente.

L’exemple des compagnies d’assurance, exempts de tous les pêchés, est instructif des dangers que cette prolifération va générer. Par nature, leur activité d’assureur n’est pas porteuse des risques que prennent les banques, mais qu’en est-il lorsque l’on considère la vente de produits à revenus garantis (comme l’assurance-vie) dont ils ont développé l'activité (qui s’inscrivent dans le shadow banking) ? Ces produits imposent aux assureurs de dégager sur leurs actifs une rentabilité supérieure aux revenus qu'ils garantissent, faute de quoi ils subissent une perte, raison pour laquelle ils doivent réglementairement détenir des réserves. Mais la contrainte a été savamment contournée aux États-Unis, avec la complicité de réassureurs qui sont leurs propres filiales et ne sont pas assujettis aux mêmes contraintes. De manière significative, l’agence gouvernementale chargée de la régulation du secteur - le New York State Department of Financial Services - n’est pas parvenu à ce jour à faire stopper ce contournement de la réglementation qui affecte un secteur du shadow banking réputé sage, mais qui développe des pratiques qui le sont moins; d’après le régulateur lui-même, elles rappellent celles qui ont préludé au déclenchement de la crise. Il est à craindre qu’en matière de régulation financière, il en soit comme en matière de dopage dans le sport : les autorités auront toujours un train de retard. Mauvais signe quand le shadow banking a le vent en poupe.

Si la méthode représente effectivement un risque, peut-elle devenir une opportunité si elle est utilisée intelligemment ?

L’époque est à la désintermédiation bancaire. L'Europe en fournit l’exemple, où les entreprises sont financièrement plus dépendantes des banques qu’aux États-Unis, et où la distribution du crédit bancaire est en régression : une relance de la titrisation - une activité du shadow banking dont on connait le rôle dans le déclenchement de la crise, pour avoir été débridée - y est donc activement recherchée. L’objectif est de créer les conditions propres à rassurer les investisseurs et de faire appel ainsi au marché via les banques, sans alourdir leur bilan. Mais sera-t-il longtemps tenable, une fois le marché relancé, de ne pas céder à la tentation ?

La globalisation financière a été résumée sous la formule des 3D - Décloisonnement, Déréglementation et Désintermédiation - avec comme intention de "libérer" la finance de ses entraves. Après avoir observé les effets des deux premiers épisodes, nous entrons dans le troisième. Si l’on cherche quel est le plus grand péril, il ne faut pas aller chercher plus loin ! Plus les canaux financier sont diversifiés et leurs acteurs éloignés des périmètres surveillés, plus le danger existe que le naturel reparte au galop et que le rendement soit privilégié en sous-estimant le risque correspondant. L’intelligence fait rarement bon ménage avec l’optimisation du rendement !

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