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On se lève tous pour “Happy” de Pharrell Williams : le signe que les Français et les Américains ont une énorme envie de passer à autre chose après 6 ans de crise ?
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Because I'm happyyyyyy !

Plus de 230 millions de vues sur youtube, excusez du peu ! Avec son tube planétaire "Happy", l'incontournable Pharrell Williams a mis tout le monde d'accord.

Michel  Bampély

Michel Bampély

Michel Bampély est docteur en sociologie de la culture à l'EHESS. Ses recherches portent sur les pratiques artistiques et les industries culturelles. Après avoir collaboré avec des maisons de disques comme Universal, Sony ou EMI, il dirige actuellement le label Urban Music Tour.
Sa thèse en sociologie, sous la direction de Jean-Louis Fabiani est intitulée "Sociologie des cultures urbaines : de la prise en charge des cultures urbaines par les industries créatives et les pouvoirs publics à leur transmission pédagogique dans l'enseignement supérieur".

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Atlantico : Alors que la confiance des ménages français quant à leur avenir à encore baissé au mois d'avril 2014 relativement au mois précédent (chiffres de l'Insee), le titre "Happy" de Pharell Williams connait un succès considérable dans l'Hexagone. Faut-il y voir le signe que les Français ont envie de laisser la crise derrière eux ?

Michel Bampély : Le succès que connaît le titre "Happy" de Pharell Williams en France n'est pas à priori lié au désir de la population de sortir de la crise. Il s'agit plutôt d'un tube planétaire comme son précédent titre "Get Lucky" en collaboration avec le duo des Daft Punk. Le marketing viral et l'ensemble des actions élaborées par l'artiste et sa maison de disque Sony Music Entertainment, ont tout simplement rencontré leur public à travers le monde. Le vidéo clip  interactif, réalisé par deux français du collectif "We are from L.A." est conçu comme un spot publicitaire destiné à être propagé sur les réseaux sociaux. L'utilisation de stars telles que Magic Johnson, Steve Carrell ou Jamie Foxx comme porte-paroles de la chanson relève du "celibrity marketing" dont l'objectif est de véhiculer des valeurs de bien-être et de prospérité.

Le phénomène n'est pas nouveau. L'an dernier le Coréen Psy a connu un succès similaire sur Youtube avec son hit "Gangnam style" et le "Harlem Shake", cette danse joyeuse et loufoque a conquis la planète. En revanche, ce qui a changé, c'est la réappropriation d'une chanson à succès à des fins non commerciales mais qui pourrait se rapprocher dans la démarche du marketing social. Ainsi en France, la chanson Happy est reprise par les internautes pour représenter leur région, leur ville, leur quartier ou pour répondre à des besoins d'appartenance identitaire. Les français mettent en scène une sortie de crise, une sorte d'apaisement des tensions sociales et l'envie de vivre ensemble dans une société multiculturelle, à l'image du clip original.

Une série de remakes du clip vidéo de Pharrell Williams, intitulée "We are happy" a été réalisée dans des villes du monde entier par les habitants. Que révèle l'appropriation de ce titre ?

La méthode de marketing relationnel mise en place par les réalisateurs du clip de Pharell Williams consistait à interagir de façon continue avec le public, ce qu'on appelle une itéraction. L'engouement qu'a suscité le clip Happy sur la toile à conduit le couple nantais à créer le site internet interactif wearehappyfrom.com chargé de recueillir les vidéos envoyées par des villes du monde entier. Dans une interview donnée à la Tribune de Genève, Loïc Fontaine, le développeur web apporte quelques précisions : "On a lancé le site le 20 janvier, après avoir constaté la réaction en chaîne des hommages aux clips sur le web. Au début, on allait chercher les vidéos sur les plateformes de partage, les blogs. Mais très vite, on nous les a envoyées."

Ce que révèle l'appropriation de ce titre est la mise en lumière d'un engagement citoyen de la part des populations. La chanson dans certains pays sert d'instrument de contestation face aux pouvoirs en place comme aux Philippines où les habitants ont fait savoir leur mécontentement à l'Etat suite aux ravages laissés par le typhon Haiyan. En Ukraine le bonheur exprimé dans le clip Happy prend une tournure symbolique de lutte contre le régime autoritaire. A Porto Alegre, au Brésil, en dansant ironiquement sur Happy les protagonistes protestent contre la lenteur de la construction des stades de la Coupe du Monde. Cet hymne de la jeunesse exprime une quête de liberté, un désir d'émancipation comme en Iran, où le développement d'internet et des réseaux sociaux facilite la revendication de vivre à l'occidentale dans une République islamique. 

Ce phénomène touche-t-il toutes les générations ou les jeunes sont-ils les seuls concernés ? Faut-il y voir un optimisme particulier des jeunes générations relativement à leurs aînés ? 

Le phénomène touche dans sa majorité un public jeune. La raison principale s'explique par les sonorités pop soul du titre, auxquelles la jeunesse peut facilement s'identifier. De plus, Pharell Williams est une star habituée des charts qui touche plus particulièrement les 15-25 ans. Il faut garder à l'esprit que la chanson Happy est un titre de la BO du film "Moi moche et méchant 2" mais également le single promotionnel de son album "Girl".

La France est l'un des pays qui a produit le plus de vidéos selon les nantais Julie Fersing et Loïc Fontaine à l'initiative du clip Happy et du site qui lui est dédié.  Les enquêtes menées par les sociologues Cécile Van de Velde et Camille Peugny nous livrent un autoportrait de la jeunesse française alarmant. Dans un article du monde.fr , "interrogés sur leur devenir personnel, les jeunes répondants sont près des deux tiers à se déclarerplutôt ou très optimistes. En revanche, le regard qu'ils portent sur le destin de leur génération est extrêmement sombre. Vingt ans n'est pas le plus bel âge de la vie, pensent-ils majoritairement (à 51 %). Les mots-clés librement choisis pour définir leur génération sont édifiants : "sacrifiée", "perdue". Et encore (après "Y", "Internet", "connectée"), "désabusée", "désenchantée", "galère"

La génération "Happy"  en France affiche un optimisme modéré qui masque la réalité d'une peur d'un avenir assombri par la crise économique, sociale et culturelle puis d'une montée des populismes que n'ont pas connu leurs aînés.

Le phénomène est-il le même aux Etat-Unis ? 

Le mouvement s'est quelque peu tarit en Europe mais d'autres parties du globe comme les Etats-Unis, pays d'origine de la chanson, ont pris le relais. Toutefois le phénomène est moins significatif outre-atlantique qu'en Chine ou dans les pays du Maghreb.

En période de crise, la culture populaire peut-elle jouer un rôle d’exutoire ? 

La culture populaire se nourrit de la crise. Elle apparaît désormais dans les industries culturelles et créatives comme la musique, le cinéma, la littérature, les séries télévisées ainsi que dans les films d'animation pour enfants. Pour reprendre les propos de David Niyonzima, expert au sein du Trauma Healing and Reconciliation Services (THARS),

"Quand les gens chantent, livrent des contes… ils extériorisent leur vécu. C’est une façon de dire la vérité sans blesser personne. Et cela permet de connaître la vérité sur le passé. Si c’est bien organisé, tout ce qui est culturel joue un rôle important dans la réconciliation."

La culture populaire, en plus de jouer son rôle d'exutoire, propose des solutions alternatives à la crise économique,  en adressant par ses oeuvres un message aux politiques qu'elle juge responsables du sort des citoyens.

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