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Tour d’Europe des campagnes pour les Européennes : direction les pays baltes
©REUTERS/Ints Kalnins

Et chez vous, comment ça va ?

Sixième étape de notre tour d'Europe des campagnes pour les élections européennes : les pays baltes. Là-bas ce ne ne sont pas l'euro où la compétitivité qui font débat, mais l'insécurité créée par leur proximité avec la Russie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Atlantico : A l'approche des élections européennes, quels sont les principaux thèmes qui occupent les débats dans les pays baltes ? Par quels partis sont-ils portés, et sont-ils focalisés sur l'Europe en elle-même, ou bien les préoccupations d'ordre national prévalent-elles ?

Michael Lambert : Les trois Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) ont des préoccupations différentes en ce qui concerne la sécurité et l’économie. L’Estonie est un Etat membre de la zone euro depuis 2011 avec plus de 24% de sa population qui est russophone et une frontière commune avec la Fédération de Russie. Cette spécificité l’amène à concentrer son attention sur les questions relatives à la sécurité et au renforcement de la Zone euro. Il semble important de préciser que l’Estonie est un pays europhile et libéral. Les élections européennes seront donc  l’occasion de montrer cette tendance pro-européenne et ce souhait de libéralisme.

On pourrait dire que la  situation est similaire en Lettonie. Cependant, la population russophone y est encore plus importante et l’adhésion à la Zone euro fut plus tardive (janvier 2014). La Lettonie concentre son attention sur les questions de sécurité et d’économie mais s’inquiète encore davantage des répercussions de la crise en Ukraine qui pourrait engendrer des tensions encore plus importantes qu’en Estonie. Les élections européennes seront donc un moment clé avec, d’un côté, la population lettone qui souhaite un renforcement de la coopération européenne et de la présence de l’OTAN et, d’un autre côté, une population lettone russophone qui pour sa part est plus eurosceptique.

La Lituanie se détache de ses deux voisins baltes car la population russophone y est moins présente, elle n’est pas non plus encore membre de la Zone euro (adhésion probable pour janvier 2015). Cependant, elle partage une frontière commune avec la Biélorussie et la Russie avec l’enclave de Kaliningrad. Ce sont donc les thèmes relatifs à la libéralisation des visas, au contrôle des trafics et à l’écologie en mer baltique qui sont primordiaux.

En conséquence, les principaux partis en Estonie sont le "Parti du Centre" et le "Parti de la Réforme" que l’on peut affilier à l’ALDE (Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe) qui combine à la fois cette conception libérale de l’économie et le souhait de renforcement de la coopération militaire en Europe comme l’a mentionné son représentant lors du débat européen du 28 avril 2014, et "l’Union Pro Patria et Res Publica" qui s’affilie au PPE avec le candidat Jean Claude Junker au franc parler qui est également pour un renforcement de la coopération européenne et qui semble s’accorder davantage avec la vision estonienne du libéralisme.

La Lettonie semble plus favorable au parti de "l’Union Civique", affiliée au PPE et "Centre de l’Harmonie" qui est affiliée aux Sociaux-Démocrates. On note une vision moins libérale  par rapport à l’Estonie, des avis plus partagés sur la poursuite d’une intégration européenne et une tendance plus conservatrice et moins axée sur le libéralisme économique.

La Lituanie est assez proche de la Lettonie sur ce point et soutient "l’Union patriotique Chrétiens Démocrates Lituaniens" affiliée au PPE et conservatrice, ainsi que le "Parti Social-Démocrate" affilié aux Sociaux-Démocrates européens.

Pour résumer, on assiste clairement à un détachement entre, d’un côté, l’Estonie qui est plus européenne et souhaite une intégration accrue et la Lettonie et Lituanie qui souhaitent une intégration, mais moins axée sur le libéralisme et avec plus de modération.

Globalement, les préoccupations sont autant européennes que nationales, car de la situation en Union européenne dépendent les politiques nationales. Ces trois Etats sont de trop petite taille pour viser une autonomie aussi prononcée que la Pologne, la Roumanie ou les grands pays plus à l’Ouest. Qui plus est, la proximité avec la Russie, les effectifs militaires réduits et la dépendance aux énergies fossiles russes ne permet pas d’envisager d’être moins intégré dans l’Union.

En quoi les relations avec la Russie et la crise en Ukraine représentent-elles un enjeu dans la course au Parlement européen ?

Les enjeux sont nombreux. Premièrement, la présence de russophones en Estonie et en Lettonie laisse craindre de possibles soulèvements populaires des russophones soutenus par Moscou (comme ce fut le cas en Crimée) et une possible perte de territoire, voire un retour au sein de la Russie. Cette situation effraie les Estoniens et les Lettons qui se souviennent de l’époque communiste et des déportations. S’ajoute à ce souvenir négatif celui de voir mis à mal tous les efforts faits pour se détacher de la Russie depuis la chute de l’URSS et intégrer la Zone euro. Il faut ajouter que l’Estonie se représente comme pays "nordique" plus que "baltique" et lutte activement contre la corruption. Une influence accrue de la Russie signifierait le retour de la corruption et la fin du projet d’affirmation identitaire comme Etat nordique.

La Lettonie, pour sa part, craint une remilitarisation, possiblement nucléaire de la Baltique et de devoir vivre dans une crainte de conflit ouvert entre l'Union européenne et la Russie, ou entre l'OTAN et la Russie.

Ces enjeux expliquent pourquoi les trois Etats militent pour une intégration militaire européenne et surtout pour un renforcement de l’Union européenne face à un voisin russe dont les ambitions territoriales inquiètent de plus en plus. Le Président Poutine décrit lui-même la fin de l’URSS comme "la plus grande catastrophe du XXème siècle". Les trois Etats baltes étant issus de l’ex-URSS, il semble évident qu’une reconquête territoriale passerait par eux.

Quelles sont les forces en présence, et à quels résultats s'attend-on ?

Il est difficile de savoir à quoi s’attendre. Les pays sortent à peine de la crise économique et les minorités regardent à l’Est à la fois avec méfiance et avec optimisme pour certains. On peut s’attendre à voir une Estonie libérale et un électorat qui concentrera toute son attention sur la sécurité (militaire). Parallèlement, la Lettonie devrait voter davantage pour des partis libéraux cette année mais la minorité russophone pourrait facilement faire pencher la balance entre PPE et SD. La minorité russophone en Lettonie étant plus importante que dans les autres Etats, il est possible d’assister à une mobilisation pour des programmes eurosceptiques.  

La Lituanie est encore plus indécise et la récente annonce du souhait de rejoindre la Zone euro pourrait jouer en faveur du parti Social-Démocrate, voire des partis plus nationalistes bien qu’europhiles.

A quel niveau de mobilisation s'attend-on ? Qu'est-ce qui incite (ou au contraire décourage) les électeurs baltes à se mobiliser ?

En 2009, les citoyens estoniens s’étaient mobilisés à 43.9%, un score faible lorsque l’on connaît les enjeux qui en découlent. Il est possible que les tensions avec la Russie mobilisent les électeurs à aller voter. Il s’ajoute une prise de conscience de l’importance de l’Union européenne, mais surtout de l’OTAN, qui va inciter les citoyens à se mobiliser. Une situation similaire devrait se produire en Lettonie (53% de mobilisation en 2009).

Pour ce qui est de la Lituanie, la situation reste très incertaine. En 2009, seuls 21% des électeurs s’étaient déplacés pour aller s’exprimer. La crise restera le principal motif de mobilisation mais dans un contexte très différent des deux autres Etats baltes.

La sécurité sera le principal facteur de mobilisation en Estonie alors que la Lettonie et la Lituanie concentreront leur attention en priorité sur l’économie.

Qu'en est-il des partis dits eurosceptiques ? Pourraient-ils, comme cela devrait-être le cas en France, effectuer une percée ?

Certains citoyens français perçoivent la crise en Ukraine et ses répercussions comme lointaines. L’euro, pour sa part, est vécu comme un obstacle à la dévaluation monétaire pour accroître les exportations. Il n’y a donc pas de connotation "sécuritaire" dans le fait d’être membre de la Zone euro. La percée des partis eurosceptiques en Europe de l’Ouest est due à l’éloignement avec la Russie, l’idée d’être assez important sur le plan démographique, compétitifs à l’international, mais aussi d’un manque de connaissance sur les apports de l’Union européenne dans la vie quotidienne.

Les Etats baltes, pour leur part, sont en contact direct avec la Russie et ont tous été membres de l’URSS. Ils gardent ce souvenir d’une identité menacée, d’un souhait d’effacement de leurs cultures, de leurs religions, de l’impossibilité de pouvoir librement s’exprimer. L’Union européenne et la Zone euro, du fait de leur faible démographie et superficie, sont les seules sécurités tangibles pour leur avenir économique, sécuritaire et culturel.

Aussi impensable que cela puisse paraître pour les pays en Europe de l’Ouest, de l’avenir de l’Union européenne dépendra l’existence et l’autonomie de ces trois Etats. Pour ces derniers, il n’est alors plus question de se permettre le "luxe" d’être eurosceptique. C’est la raison pour laquelle dans les Etats baltes, le vote pour les eurosceptiques est l’expression de la mobilisation des russophones (principalement en Lettonie) mais impensable pour les citoyens non-russophones vivants dans ces trois jeunes Républiques.

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