Qui aime qui ? Tour d’Europe des affinités spontanées entre les peuples<!-- --> | Atlantico.fr
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Les mariages franco-allemands donneraient un taux de divortialité relativement élevé.
Les mariages franco-allemands donneraient un taux de divortialité relativement élevé.
©Reuters

Copain !

Chaque 9 mai, la journée de l'Europe commémore la Déclaration Schuman, considérée comme le texte fondateur de la construction européenne. L'occasion de passer en revue les peuples qui entretiennent entre eux les liens les plus forts.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : En cette journée de l'Europe, et à l'approche des élections européennes, il est de bon ton de mettre la question  de l'entente entre les peuples au premier plan. Spontanément, quelles populations suscitent de la sympathie chez les Français ? Quelle est l’explication historique à cela ?

Gérard-François Dumont : Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la France a la particularité d’être le seul pays européen d’immigration afin de compenser son insuffisance de main-d’œuvre, conséquence d’une sous-fécondité sans équivalent en Europe. Qui sont ces étrangers qui ont été globalement assez bien accueillis, puis  facilement naturalisés ? Des Belges, des Italiens, puis des Polonais, des Espagnols et des Portugais.A contrario, on constate dans cette liste l’absence de la venue d’immigrants allemands ou anglais. Puisque le parcours d’intégration de ces populations s’est correctement déroulé, en dépit parfois d’inévitables tensions, il faut en conclure une certaine proximité entre les Français et ces peuples européens. Dans le même temps, l’influence française a été forte dans les pays d’origine, comme en témoigne le rôle des Portugais de France dans la démocratisation du Portugal en 1974 pour l’empêcher de devenir une "démocratie populaire".

Outre la marque des terribles conflits guerriers, un exemple est assez révélateur de certaines difficultés d’entente entre les peuples allemands et français : d’après les données dont on dispose, les mariages franco-allemands donneraient un taux de divortialité relativement élevé. Faut-il en conclure que la rationalité prussienne et la rigidité juridique d’outre-Rhin s’accordent difficilement avec le caractère français ? D’ailleurs, les décisions de la Cour constitutionnelle de l’Allemagne, qui siège à Karlsruhe, sur les questions concernant l’Union européenne, ont été souvent fort différentes de celles du Conseil constitutionnel en France. Le mode d’annonce des décisions est également différent.

D’autres éléments  témoignent d’une spécificité française. Ainsi la France est le seul pays d’Europe où l’année 2000 s’est accompagnée d’une hausse des naissances et des mariages, parce que les couples français ont été très sensibles à la symbolique du chiffre du passage de millénaire. Cela laisse penser que les Français sont de grands sentimentaux, ce que sont moins leurs voisins.

Les Français ont donc un problème avec la rationalité plus forte de leurs voisins, germaniques notamment ?

On le voit dans les règlementations et dans leur usage. Le droit allemand est extrêmement rigoriste, et donne lieu à une application stricte. Les Français, eux, possèdent beaucoup de lois, qu’ils passent leur temps à interpréter ou à contourner… C’est d’ailleurs souvent l’État lui-même qui contourne des lois qu’il a demandé au Parlement de voter.

Quels peuples européens ont des affinités particulières qui mériteraient d'être mentionnées ?

Nombre d’affinités particulières sont liées à l’histoire. Le traité de Trianon du 4 juin 1920, qui a fait disparaître l’empire Austro-hongrois, a laissé à la Hongrie un territoire extrêmement petit, mais, en réalité, le fait qu’un certain nombre de peuples aient vécu ensemble leur donne un héritage culturel commun, d’où des affinités transfrontalières entre les hongrois de Hongrie et les personnes de culture hongroise de Slovaquie, d’Ukraine, de Roumanie ou de Serbie. De même, on peut dire que, schématiquement, trois Pologne existent : l’Ouest, germanisé en partie au cours de l’histoire, le Sud, longtemps sous influence austro-hongroise, et l’Est, qui a subi l’influence russe. L’histoire qui marque les peuples est explicative de la nature des relations qu’ils entretiennent entre eux.

Mais proximité ne veut pas toujours dire bonne entente. Les Portugais, qui ont certes été à une période de leur histoire sous domination espagnole, n’ont cessé de vouloir s’affirmer face à leur grand voisin. Le Portugal n’est pas tourné vers l’Espagne, mais adossé à celle-ci, comme en témoigne son peuplement qui est essentiellement littoral. Limité dans ses éventuelles ambitions d’échanges avec l’Europe continentale par l’Espagne, le Portugal s’est tourné très tôt vers le grand large, d’où son rôle considérable dans les Découvertes des autres mondes, tout particulièrement au XVe siècle. La maigre affinité entre l’Espagne et le Portugal se constate encore aujourd’hui dans les transports intereuropéens : il est extrêmement fréquent que les camions en partance du Portugal n’effectuent leur premier arrêt qu’en France, du côté de Bayonne…

Un autre exemple de proximité qui ne veut pas dire bonne entente se constate entre l’Allemagne et le Danemark. En raison du poids des différends historiques entre ces deux pays, le 2 juin 1992, le Danemark dit "non" par référendum au traité de Maastricht par 50,7 % des votants car les électeurs refusent notamment la participation de leur pays à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC devenue, depuis le traité de Nice, la politique de sécurité et défense commune -PSDC) instaurée par ce traité. Effectivement, l’intégration politique européenne a toujours constitué un sujet de controverse au Danemark compte tenu des relations passées de ce pays avec l’Allemagne. Contraints de traduire ce vote négatif par des actes, le gouvernement danois pro-Maastricht et le parlement formulèrent quatre dérogations au traité concernant la monnaie commune, la politique de défense, les affaires intérieures et de justice et la citoyenneté européenne. Ces dérogations ont permis l’approbation du traité par un nouveau référendum organisé au Danemark en 1993.

La géographie pèse aussi pour comprendre des affinités limitées. Par exemple, la situation d’insularité donne nécessairement au Royaume-Uni une vision du monde différente de celle des pays de l’Europe continentale. Mais la question des affinités se pose également à l’échelle infranationale. Le Royaume-Uni se caractérise certes par une proximité entre ses différents peuples, et parvient à tenir grâce à sa royauté, symbole de l’unité. Mais la question de l’indépendance de l’Écosse reste posée et doit donner lieu à un référendum le 18 septembre 2014. Car la proximité géographique entre les Anglais et les Écossais n’a jamais eu d’effets fusionnels. D’ailleurs l’Eglise anglicane, créée au XVIe siècle par Henri VIII, est celle de l’Angleterre, alors que l’Ecosse relève pour l’essentiel du presbytérianisme.

Quels sont les principaux ensembles de populations qui, culturellement, se comprennent le mieux ?

L’une des différences entre les peuples européens est linguistique. Nombre de langues ont des racines communes issues du latin, mais d’autres langues sont fondamentalement différentes. Ainsi l’origine de la langue basque reste incertaine, tandis que les particularités du hongrois proviennent de l’héritage migratoire spécifique de la vaste plaine hongroise où se sont installées au IXe siècle des tribus venant sans doute du nord de l’Oural. La langue estonienne, finno-ougrienne, liée à la langue finnoise, est fondamentalement différente de la langue des deux autres pays Baltes. En effet, dans le pays limitrophe de l’Estonie, la Lettonie, la langue lettonne appartient au groupe Baltique de la famille des langues indo-européennes puisqu’elle n’est ni une langue slave, ni une langue germanique, ce dont témoigne son système de prononciation et sa grammaire.

Toutefois, il existe une culture commune, dans la mesure où l’identité européenne est antérieure à la plupart des nations qui composent aujourd’hui l’UE. Ce qui n’empêche pas les spécificités d’exister, que ce soit dans le domaine culinaire ou la manière de célébrer Noël par exemple.

La Réforme n’a-t-elle pas donné naissance à deux blocs européens aux cultures tout de même contrastées, avec pour effet une complication des relations entre les populations ?

Au temps du Moyen-Âge, dans cette région que l’on n’appelait pas Europe mais Chrétienté, le catholicisme était dominant. Le facteur unificateur n’était pas seulement religieux, les universités et les foires (de Champagne notamment) étaient pour beaucoup dans la rencontre entre les cultures. A ceci près que le Schisme est intervenu en 1054, donnant naissance à l’Eglise orthodoxe plutôt sur les confins. Puis la Réforme luthérienne entamée au XVIe siècle a, il est vrai, introduit des différences importantes. L’évolution de la géographie religieuse a conduit à distinguer trois types de territoires : les catholiques et les protestants, qui suivent la religion de leur prince, selon la maxime latine Cujus regio, ejus religio ("tel prince, telle religion"). En France, où le choix ne s’est pas fait, nous avons eu les guerres de religion, puis l’émigration des huguenots, surtout après la révocation de l’édit de Nantes en 1685.

Une partie de l’Europe continue donc de se reconnaître dans une spiritualité dont l’autorité suprême est le pape, et une autre ne s’y reconnaît pas. Il en résulte encore aujourd’hui de fortes différences. Ainsi le recensement allemand de 2011 a confirmé une certaine coupure du pays entre l’Ouest, avec l’Allemagne rhénane, déclarant une appartenance religieuse majoritairement catholique, et l’Est protestant, mais avec une proportion d’agnostiques souvent supérieure à celle des protestants, comme en Saxe-Anhalt, Mecklembourg-Poméranie, Brandebourg ou Saxe.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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