Des économies à n’importe quel prix ? Le meilleur et le pire des dépenses dans lesquelles le gouvernement a taillé pour tenter de redresser les comptes publics <!-- --> | Atlantico.fr
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Les réductions d'investissement sur l'armement vont à terme mettre à mal la capacité de l'armée française.
Les réductions d'investissement sur l'armement vont à terme mettre à mal la capacité de l'armée française.
©Reuters

Best of / Worst of

En plus des 50 milliards d'économies à l'horizon 2017, le gouvernement a prévu d'en réaliser 15 milliards rien qu'en 2014. Pourtant, en deux ans de présidence Hollande, le gouvernement s'est contenté de ralentir la progression des dépenses publiques et d'augmenter les impôts pour cacher la misère.

Atlantico : Le gouvernement a confirmé l'objectif de réduction des dépenses publiques de 50 milliards d'euros à l'horizon 2017. Mais quelles ont été les économies réalisées depuis l'arrivée de François Hollande ? Sur quels postes ont-elles porté ?

Philippe Crevel : Les économies ou plutôt la moindre progression des dépenses publiques de François Hollande. Des foyers d'investissement ont été réduits, principalement à travers l'étalement dans le temps des dépenses militaires. Comme par exemple sur les rafales, les frégates ou autres navires de surface. Il s'agit d'un moyen simple et efficace fréquemment utilisé par les gouvernements.  

Le fait d'avoir étalé l'objectif d'embauche de 60 000 professeurs dans le temps est une façon de faire des économies même si in fine, il faudra payer les 60 000 postes en question. Des réductions d'effectifs ont eu lieu à la direction générale des impôts et à la direction de la concurrence. L'autre aspect, est le gel de l'indice du traitement des fonctionnaires. Si on ne réactualise pas l'indice des deux millions de fonctionnaires français, nous réalisons des économies substantielles qui se chiffrent en milliards d'euros.  

Sur l'assurance maladie, mais cela dépasse le champ du budget de l'Etat, l'objectif des dépenses a été assez contraint ces dernières années. Les économies là aussi ont été faites sur les investissements dans les hôpitaux et ont été accompagnées d'une politique de déremboursement ou de réductions des médicaments.  

Eric Verhaeghe : Quelle étrange question ! Qui a le mérite d'obliger à préciser la notion "d'économies réalisées". Contrairement aux apparences, réaliser des économies pour un Etat est une notion complexe, car il faut savoir par rapport à quoi on mesure la réalisation. Par exemple, si c'est en volume, on se rappellera juste que, en 2012, l'Etat avait dépensé pour les deux premiers mois de l'année 63,6 milliards d'euros. En 2013, la dépense était de 64,4, et en 2014 elle s'est élevée à près de 64,8 milliards d'euros. Autrement, en deux ans, le seul Etat a augmenté ses dépenses de 600 millions d'euros par mois (soit l'équivalent de 600.000 SMIC créés en deux ans... ce n'est tout de même pas rien!). Dans le même temps, les recettes ont augmenté de près d'1,4 milliards. On voit bien par ces seuls chiffres que le gouvernement n'a guère réalisé d'économies sur le budget de l'Etat. Il s'est contenté de ralentir l'augmentation des dépenses et d'augmenter les impôts pour cacher la misère. D'ailleurs, la part des dépenses publiques dans le PIB atteint maintenant des sommets historiques avec plus de 57% du PIB qui sont mutualisés par les services publics. C'est aberrant.

Le lundi 28 avril, François Hollande annonçait sa volonté d'ouvrir des sessions d'apprentissage pour les chômeurs de longue durée. Or, on sait aujourd'hui que l'apprentissage a fait les frais des coupes budgétaires. Parmi les postes d'économies privilégiés par le gouvernement, lesquels ont constitué des choix hasardeux, incohérents ou qui mettent en péril l'avenir ? Quels en sont les effets concrets ?

Philippe Crevel : Sur l'apprentissage il y a effectivement eu des réductions d'un commun accord avec le patronat. Les mesures qui peuvent avoir des conséquences, sont d'abord les mesures qui concernent la question des allocations familiales et la Prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), qui peut avoir un impact sur la natalité.

Les réductions d'investissement sur l'armement vont à terme mettre à mal la capacité de l'armée française, en matière de réactivité et de disponibilité. La France aura de moins en moins les moyens d'aller seule sur les terrains extérieurs.

En ce qui concerne la sécurité intérieure, les forces de police se plaignent d'un matériel usé, qui date d'une dizaine d'années.  Egalement, on voit que la surpopulation carcérale redevient inquiétante. La menace est réelle et si l'on ne décide pas de libérer des prisonniers, soit il faudra construire de nouvelles prisons ce qui sous-entend de nouvelles dépenses. Ce qui est vrai pour les prisons, est valable pour les hôpitaux. Et cela posera à un moment donné des problèmes logistiques. Nous avons bridé l'accès sur les IRM et sur les équipements sanitaires. Alors soit, on accepte de dégrader le niveau de notre système de santé, soit il faudra investir à nouveau pour se remettre à niveau. Sachant qu'on ne s'est pas attaqué au problème de la carte sanitaire et de la fermeture d'hôpitaux. Même si Manuel Valls a évoqué le sujet au moment de sa prise de fonction.

On a coupé dans les dépenses d'investissement, on a reporté une partie des charges sur les collectivités locales, à travers les transferts de compétences ou les transferts de charges avec des dotations qui permettaient en partie de les financer. Aujourd'hui les collectivités territoriales vont se retrouver avec des dotations en baisse, c'est le fameux plan de 11 milliards. Et les collectivités territoriales vont également se retrouver dans l'obligation, soit de diminuer les dépenses, soit d'augmenter les impôts. Le risque est de se retrouver en situation de danger structurel sur ces équipements. A défaut d'avoir changé le périmètre, il va falloir rouvrir les vannes.

Jean-Luc Boeuf : La question de l’apprentissage est particulièrement complexe et son analyse est biaisée. Sauf à être politiquement incorrect, qui peut critiquer le fait d’ouvrir des sessions d’apprentissage pour les adultes ? Mais qui est dupe sur la volonté de traitement des statistiques du chômage ? Etant en "formation", les chômeurs de longue durée ne seront plus comptabilisés ainsi. Mais, une fois encore et sauf à manier la langue de bois, qui est dupe sur les chances très faibles de voir ces formations déboucher sur de l’emploi ? La machine de la formation professionnelle et de l’apprentissage s’apparente à un train dont la vitesse augmente et auquel on accroche d’année en année un nouveau wagon. Le coût de ce système se chiffre en dizaines de milliards d’euros par an et y contribuent les entreprises, l’Etat, les régions. Chaque mesure de décentralisation fait porter un peu plus l’effort sur les régions. Mais attention, il s’agit de dépenses de "redistribution" et non de production ! Lorsqu’une entreprise contribue à l’effort de formation professionnelle et d’apprentissage, elle le fait à partir de ce qu’elle a produit. Mais quand il s’agit de l’Etat ou des collectivités locales, il s’agit de redistribution, c’est-à-dire qu’il s’agit d’argent ponctionné et réaffecté. Donc cessons de croire à la maitrise des actions de formation et d’apprentissage ! Les "chères"  régions de l’Etat financent des heures. Voilà tout. Quant à la maîtrise de l’appareil de formation et d’apprentissage, c’est une autre chanson. Car il faudrait pour cela être en capacité, lors de l’élaboration des programmes de formation dire "non" et renoncer au financement de certaines formations, qui sont assurées par des organismes dont c’est la raison de vivre…

Eric Verhaeghe : En fait, la politique du gouvernement est une politique de myriade au sens grec du terme : elle est constituée d'une multitude de facettes morcelées et souvent contradictoires. Il est difficile de leur donner un sens. Prenez l'exemple de la santé, qui est emblématique car au cœur de l'attente des Français. D'un côté le gouvernement a généralisé les complémentaires d'entreprise, ce qui est positif. De l'autre, il a fiscalisé la part patronale de ces contrats. Autrement dit, dans les entreprises où les employeurs versent l'équivalent de 40 euros par mois à leurs salariés pour couvrir leur reste à charge en santé, ces 40 euros seront désormais déclarés comme revenus pour les salariés, alors qu'ils étaient exonérés jusqu'ici. Cette disposition, qui fera sentir ses effets en juin, devrait rapporter un milliard à l'Etat. Dans le même temps, le gouvernement annonce son intention de limiter fortement les remboursements de lunettes et de soins dentaires par les complémentaires santé pour des raisons idéologiques. Tout cela, en bout de course, coûtera cher aux Français, pour des raisons discutables.

Au contraire, quels choix se sont montrés judicieux ? Avec quelles conséquences ?

Philippe Crevel : Pour le moment, l'Etat a procédé à peu de mesures structurantes. Les grandes sources d'économies porteraient sur les collectivités territoriales, mais la carte n'a pas encore été redessinée, nous n'avons pas non plus réellement remis à plat la carte des hôpitaux.

Du côté de l'Education nationale, la question des rythmes scolaires qui a été abordée jusqu'alors par le gouvernement est plutôt une source de surcoût pour les collectivités locales qu'une source d'économies. Des choix budgétaires courageux structurants et permettant sur le long terme de réaliser des économies, n'ont pas été faits. 

Je pense qu'il serait judicieux d'identifier les doublons administratifs avec de nombreuses agences, en particulier dans le domaine de la santé comme par exemple l'Institut de la veille sanitaire, l'Agence de surveillance du médicament. Ces agences sanitaires font bien souvent doublon avec des services de ministères. Il y a là des sources de simplifications et des économies à réaliser. Je pense qu'un jour ou l'autre, il faudra également se poser la question du maintien des services de l'Etat sur les territoires. Les sous-préfectures sont-elles encore nécessaires ? Un certain nombre de services peuvent-ils être confiés aux collectivités territoriales ?  

L'Education nationale est un autre poste sur lequel l'Etat pourrait faire des économies. Nous sommes le pays européens dans lequel le nombre de professeurs par élèves est le plus important. Pourtant cela ne nous empêche pas d'avoir des classes surchargées. La gestion des effectifs pourrait donc être revue.  

Le logement est un autre grand poste budgétaire sur lequel il serait possible de faire des économies. La dépense de logement en France est parmi les plus élevés d'Europe, tout comme la pénurie ! L'efficacité de la dépense publique est à remettre en question. On mobilise des sommes importantes pour un résultat relativement médiocre. On arrive même à l'objectif inverse en faisant renchérir le prix de l'immobilier.

Sur l'assurance maladie et les systèmes de retraites. Structurellement elles sont amenées à augmenter. Comment rationaliser ? En prenant des mesures sur la carte sanitaire, harmoniser les régimes de retraites, diminuer les coûts de gestion. Car les coûts de gestion des retraites sont 2,5 fois plus élevés que la moyenne européenne essentiellement en raison de la trentaine de régimes de bas, de la centaine de régimes complémentaires.

Et sur les sujets qui fâchent, le domaine culturel est tabou. Pourra-t-on un jour envisager qu'un musée qui n'a pas de visiteur devrait fermer ?  Parfois, fermer pourrait-être une source d'économie et de redéploiement. Cette question a été soulevée au Royaume-Uni dans le cadre du plan de David Cameron.

Eric Verhaeghe : Vous faites sans doute allusion au CICE, mais je ne partage pas le point de vue de la majorité des Français sur ce point. Je considère que le CICE est une mesure discutable, pour deux raisons. Premièrement, je pense qu'il faut arrêter une bonne fois pour toutes les exonérations fiscales. L'impôt doit être le même pour tout le monde. Créer un impôt, et dans la foulée faire la liste des exonérations n'a pas de sens. Deuxièmement, le CICE bénéficie surtout aux entreprises de main-d’œuvre et ce sont paradoxalement celles qui sont le moins soumises à la concurrence internationale. Rappelons par exemple que Renault ou Peugeot ne consacrent que 15 ou 20% de leur chiffre d'affaires aux salaires. Baisser la contribution fiscale des entreprises de 6% à concurrence des salaires qu'elles versent n'aura donc qu'un effet très marginal sur le prix de vente des voitures à l'étranger. En réalité, les Français ont aujourd'hui besoin d'une grande réforme fiscale qui rende l'impôt universel et lisible. Je crains fort que les mesures récentes n'aient eu l'effet inverse : celui de le morceler encore plus et de le rendre (encore plus) compliqué.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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