Réforme territoriale, la mesure nécessaire qui risque de se réduire à une arme de diversion massive <!-- --> | Atlantico.fr
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Le redécoupage des régions a longuement été abordé lors des différentes interventions médiatiques menées ce mardi par François Hollande.
Le redécoupage des régions a longuement été abordé lors des différentes interventions médiatiques menées ce mardi par François Hollande.
©Reuters

A la tronçonneuse

Le redécoupage des régions a longuement été abordé lors des différentes interventions médiatiques menées mardi 6 mai 2014 par François Hollande. Le projet est pourtant loin de se trouver parmi les priorités de Français en attente de réponses concrètes sur le front économique et social.

Atlantico : Le chef de l'Etat a déclaré mardi 6 mai 2014 qu'il souhaitait "accélérer" la réforme territoriale promise par Manuel Valls. L'objectif serait ainsi d'obtenir "11 ou 12" régions d'ici 2015 en lieu et place des 22 qui existent actuellement. Au-delà des effets d'annonce, quelle peut-être l'efficacité réelle d'une telle réforme ?

Gérard-François Dumont : Pour étudier l’efficacité d’un tel projet de réforme, il faut s’interroger sur ses justifications qui, à ce jour, sont lacunaires. L’impression est une sorte de fuite en avant par rapport aux annonces précédentes sans réunir d’abord les éléments permettant de réfléchir à une telle réforme. Premièrement, il faudrait évaluer les réformes antérieures. Cela conduirait à mettre en évidence que la fonction publique de l’État aurait dû diminuer ses effectifs puisque l’État a transféré des compétences par exemple aux régions comme les lycées ou les transports ferroviaires régionaux. Or l’État n’ayant pas parallèlement transféré de fonctionnaires, les régions et les départements ont dû embaucher.

En second lieu, la régionalisation en France se trouve en difficulté dans la mesure où les réformes financières de 1999-2001 ont considérablement réduit l’autonomie fiscale des collectivités territoriales en faisant de l’État le premier contribuable de celles-ci. Et, après le rapport Mauroy de 2000 demandant le retour à la libre administration des collectivités territoriales resté lettre morte, d’autres décisions de recentralisation ont été prises.

En troisième lieu, un diagnostic comparatif est nécessaire : est-il vrai que les autres États européens ont systématiquement des régions plus grandes et plus peuplées que celles de la France ? La réponse est négative. Dans tous les pays, les régions, issues de l’histoire et de la géographie, sont de tailles variables[1]. De nombreuses régions des autres pays européens sont ou plus petites ou moins peuplées que la moins vaste ou la moins peuplée de la France sans que cela les empêche d’obtenir de bons résultats. En Espagne, les régions à plus faible taux de chômage sont les trois régions à la moindre superficie ; en Italie, les deux régions à plus faible taux de chômage sont également petites et faiblement peuplées. Dès aujourd’hui, la superficie moyenne des 22 régions de France métropolitaine est supérieure à celle de 16 Länder allemands. Aucun de nos principaux partenaires européens n’envisage de réduire ses régions car ils savent qu’il n’existe pas un optimum régional déclenchant automatiquement une amélioration de l’emploi.

Au total, une telle réforme imposée d’en haut serait inefficace pour une simple raison : le temps consacré à mettre en œuvre des fusions imposées par l’État sera un temps perdu pour l’essentiel : parfaire une véritable décentralisation pour développer une meilleure gouvernance des territoires[2] afin d’améliorer leur attractivité et leur emploi. 

Sait-on ce qu'un tel projet pourrait nous permettre d'économiser au niveau budgétaire ?

Gérard-François Dumont : Certains chiffres sont parfois avancés pour justifier une réforme qui permettrait de faire des économies. En réalité, si le passage de 22 à 12 régions s’effectue par le haut, cette réforme aura un coût direct et indirect. Un coût direct par les frais de fusion de services, de comptabilités, de procédures, de doublons cette fois-ci à l’intérieur des régions, des frais supplémentaires de déplacements, d’agrandissement d’hémicycles… Le coût indirect, ce que l’on désigne en sciences économiques les externalités négatives, viendrait du risque d’un jacobinisme régional et d’une moindre implication des citoyens dans de vastes régions auxquelles ils auraient du mal à s’identifier. Imposer un optimum régional, cela revint à discuter du sexe des anges car la pertinence d’un territoire ne se mesure pas au nombre de kilomètres carrés. 

On évoque la nécessité de mettre fin au "mille-feuille territorial" pour favoriser le développement économique de collectivités entravées par la lourdeur administrative. Cet argument est-il pertinent ?

Gérard-François Dumont : Il convient d’abord de se demander s’il y a un "mille-feuille territorial" qui existerait en France et serait inconnu à l’étranger. En réalité, dans de très nombreux pays, la gestion des territoires impose des échelles géographiques variées pour apporter des réponses adaptées aux différents niveaux. En Europe, le "mille-feuille territorial" le plus complexe est même celui du Land de Bavière, ce qui ne nuit nullement à la qualité de sa gouvernance : ainsi, la Bavière est le Land le plus attractif d’Allemagne ; son taux de chômage actuel est de 3,1%, inférieur à la moyenne de l’Allemagne (5,3%).

Les collectivités territoriales françaises sont effectivement entravées par la lourdeur administrative pour trois raisons. D’abord, la complexité de nos réglementations que le Parlement devrait se consacrer à simplifier. Deuxièmement parce que l’État a souvent mis en œuvre ce que j’appelle une "régionalisation centralisée", c’est-à-dire a transféré certaines compétences mais en imposant leur mise en œuvre selon des règles très rigides et complexes. Troisièmement, le maintien de doublons dans la fonction publique d’État alourdit les démarches des régions. Il faut donc d’abord supprimer les doublons, entreprendre une réforme de la fiscalité pour que les citoyens en connaissent le coût direct ; clarifier les compétences et donner des marges de liberté d’administration pour permettre aux collectivités territoriales d’améliorer la gestion publique.

Peut-on parler d'une mauvaise conception dès le départ de ce que doit-être un organe de gestion territorial ?

Gérard-François Dumont : La mauvaise conception n’est pas dans la loi de régionalisation 1982, mais dans une lutte entre les Girondins, favorables à la décentralisation, et les Jacobins centralisateurs. Pour battre en 1982 les jacobins, Gaston Deferre avait d’ailleurs mené son action "à la hussarde". Depuis, plusieurs décisions de re-centralisation ont été prisées et d’ailleurs, derrière les discours politiques actuels, on peut se demander s’il n’y a pas une volonté de plus forte re-centralisation.  

Comment expliquer une telle mise en avant de la majorité actuelle sur le sujet ?

Benoît de Valicourt : Finalement la question de la réforme territoriale n’est pas une nouveauté, ni à gauche, ni à droite. Nicolas Sarkozy avait lui-même impulsé un débat sur la nécessité de réformer les collectivités territoriales en prônant la création d’un conseiller territorial en lieu et place du conseiller général et du conseiller régional, ce qui lui avait valu de perdre la majorité au Sénat, les grands électeurs de droite ayant voté pour des sénateurs socialistes espérant ralentir la réforme par la Chambre Haute. Aujourd’hui le président de la République poursuit cette réflexion sur la réforme "nécessaire" du millefeuille administratif français sans pour autant cibler le vrai découpage de nos territoires, à savoir les communes. Sans doute est-il plus facile de s’attaquer à la réduction de moitié des 22 régions que des 36 000 communes.

Reporter les élections régionales à 2016 après avoir réformé la carte territoriale part d’un bon sentiment, mais est-ce que cela peut être compris des Français ? Malheureusement, une majorité pense qu’il ne faut pas réduire le nombre de régions pour trois raisons principales : la 1ère est que 7 français sur 10 ne quittent pas leur région d’origine au cours de leur vie, c’est dire leur attachement à leur territoire. La 2ème est que nos régions sont l’héritage de nos provinces royales déjà largement amputées par la Révolution. La 3ème raison est que les Français pensent, sans doute à tort, qu’une diminution des régions conduiraient à une réduction des services publics de proximité. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les Français sont davantage favorables à la réduction du nombre de députés (élus nationaux) qu’au nombre de départements et de régions !

Il y a bien pourtant une nécessité de réduire nos régions alors que nous n’avons de cesse de comparer nos territoires aux entités administratives de nos voisins. Par exemple Rhône-Alpes (6,2  millions d’habitants) fait partie avec la Catalogne (7,6 millions d’habitants), le Bade Wurtemberg (11 millions d’habitants) et la Lombardie (10 millions d’habitants) des 4 moteurs économiques européens et entretient à ce titre une coopération étroite avec ses trois "sœurs" aînées. Faudrait-il demander à Rhône-Alpes de fusionner avec l’Auvergne au risque de perdre de sa compétitivité dans un premier temps ? C’est un peu, à une autre échelle, comme la question de la réunification allemande dont le coût exorbitant de 2 000 milliards d’euros n’a pas été bien compris par les plus sceptiques des Allemands de l’Ouest alors qu’aujourd’hui si l’Allemagne occupe une place de leader c’est bien parce qu’elle est plus forte une et indivisible que deux et opposée.

Faut-il y voir un nouveau "dérivatif" après l'abandon par les socialistes des projets de loi sociétaux en début d'année ?

Benoît de Valicourt : Sans doute est-il plus facile d’occuper la scène médiatique avec des sujets qui peuvent paraître plus secondaires que les questions d’emploi ou de compétitivité. Cependant, on ne peut pas dissocier les questions sociétales des questions économiques, tout est étroitement lié parce que pour qu’une nation qui gagne il faut que sa population se sente aussi bien dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. D’un autre côté, les socialistes ont l’avantage par rapport à la droite d’être plus progressistes, davantage dans l’air du temps et de mieux apprécier l’évolution de la société. François Mitterrand en 1981 ne laisse pas passer l’occasion de mettre en œuvre l’abolition de la peine de mort, promesse électorale, tout comme François Hollande ne recule pas devant la Manif pour tous pour faire voter le mariage pour tous. Il en est de même en 1983 quand François Mitterrand amorce le tournant de la rigueur suite à l’échec économique du Programme commun trop ancré à gauche faisant fi des réalités économiques du monde capitaliste tout en observant que les difficultés des Français ont désigné un bouc-émissaire, l’immigré.

Aujourd’hui, l’"immigré maghrébin" est Français, le Rom est européen, la société est certes divisée sur la question de l’intégration mais la réponse n’est pas que nationale. En revanche, le nombre d’élus, le mille-feuille administratif sont des sujets purement nationaux largement comparés à la situation de nos voisins européens. Il est donc "politique" que les réformes économiques soient accompagnées d’un "pack" législatif répondant à l’air du temps, surfant parfois sur la vague de la démagogie.

Lorsque l'on interroge l'opinion sur les priorités en termes de réduction des dépenses publiques, les quatre domaines qui ressortent le plus sont la Défense (33%), les aides aux chômeurs (24%), l'Ecologie (20%) et la culture (19%) la plupart de ces domaines étant assez peu liée aux collectivités. A quel point la réduction du mille-feuille est un véritable enjeu (ou non) pour les Français aujourd'hui ?

Benoît de Valicourt : Les préoccupations majeures des Français sont l’emploi et le pouvoir d’achat. Cela a d’ailleurs été très net dans les questions posées au Président de la République hier matin. Réduire le mille-feuille est sans aucun doute important pour la nation mais a peu d’impact concret pour les citoyens qui d’ailleurs peuvent y voir une réduction des services de proximité. C’est aussi, a contrario, une inquiétude supplémentaire pour les Français qui voient en leurs collectivités territoriales un employeur potentiel. En même temps, nombreux sont les Français à dénoncer la gabegie de nos institutions ; c’est toute la dualité française !


[1] Gérard-François Dumont, « Régions françaises : petit dictionnaire des idées reçues », Population & Avenir, n° 718, mai-juin 2014 ; « Les régions d’Europe : une extrême diversité institutionnelle », Diploweb.com, 11 janvier 2014.

[2] Gérard-François Dumont, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin.

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