La déflation, ce scénario que la BCE avait oublié dans les stress tests des banques européennes<!-- --> | Atlantico.fr
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La déflation a été oubliée dans les stress tests des banques européennes.
La déflation a été oubliée dans les stress tests des banques européennes.
©Reuters

Sujet tabou

Adopté au milieu du mois d'avril, le texte sur l'Union bancaire a été salué par de nombreux décideurs européens qui y ont vu une avancée majeure. Les test de fiabilité (stress tests) des banques européennes pourront ainsi commencer dans les prochaines semaines afin de "déminer" la plupart des créances toxiques du Vieux continent.

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Atlantico :  Que penser du potentiel de succès d'une telle opération, alors que la BCE continue de contester le risque de déflation dans la zone euro ?

Jean-Michel Rocchi : Dans votre question il y a deux questions (et même deux et demi) qui même si elles sont liées demeurent indépendantes : la questions des stress-test (elle-même liée à la question de l'évaluation des actifs ou AQR) et la question de l'Union bancaire.

Tout d'abord il y a deux types de stress-test qui couvrent deux zones distinctes :

- La European Banking Authority (EBA) dont le siège est à Londres et dont le président est Andrea Enria a été établie le 1er janvier 2011 (en fait elle remplace le régulateur précédent qui était le Committee of European Banking Supervisors - CEBS). On a fait en quelque sorte du neuf avec du vieux car l'autorité bancaire européenne est plus performante, ayant à sa disposition plus de moyens. Les stress-tests sont menés en liaison avec l'autorité bancaire compétente localement qui est, dans le cas de la zone euro, la BCE. La compétence de l'EBA porte encore pour l'instant sur l'ensemble de l'Union européenne.  

-  La Banque Centrale Européenne a la responsabilité pour la zone euro des stress-tests et notamment des scénarios macroéconomiques de choc. Elle a vocation à reprendre la supervision de la zone euro. On peut anticiper et dire, que nous sommes de facto dans un système à deux vitesses : zone euro et hors zone euro. C'est Mario Draghi qui est aux commandes en tant que président de la BCE mais aussi du European Systemic Risk Board - ESRB en charge de la prévention du risque systémique. C'est un hasard mais ce sont donc deux italiens qui ont la responsabilité ultime de la supervision bancaire en Europe.
Une fois n'est pas coutume il faut souligner la très grande transparence du processus.

J'ai parlé de deux questions et demi, car dans la zone euro il y a une revue de la qualité des actifs (procédure dite Asset Quality Review - AQR) qui porte sur 130 grandes banques européennes. Les bilans des banques sont étudiés par la BCE et soumis à des tests de résistance, la procédure est assez ouverte puisque la BCE s'est entourée de firmes de conseil privées comme Oliver Wyman pour réaliser ce travail. En fait l'AQR est une procédure à trois volets : l'évaluation prudentielle des risques, la qualité des actifs, les tests de résistance. On le perçoit, les trois volets ne sont pas indépendants mais interfèrent entre eux. L'AQR porte sur le bilan au 31 décembre 2013 des 130 banques et sera effectué par tests sur les partie à risque des bilans (30 à 50% pour faire simple) : système de sondage par grands types de crédit en portefeuille (crédit à la consommation, crédit immobilier aux particuliers, crédit immobilier corporate, prêts aux PME, prêts aux GE ...). Une des difficultés provient aussi du fait que nous sommes en réalité dans une phase de pré-Union bancaire car il n'y a pas encore de comptabilité bancaire homogène, dans le temps une convergence devra s'opérer pour renforcer l'efficacité du dispositif. Une autre difficulté pratique réside dans l'absence d'homogéneité des systèmes d'informations et donc des données qui pourront être extraites pour être transmises au régulateur. Si les données fournies sont insuffisantes l'exercice de modélisation des risques devient impossible ou très incertain. La BCE a aussi effectué un travail sur une définition unique des "crédits à risques" et des "crédits en retard de paiement" car selon les pays cela ne signifiait pas la même chose.

En même temps que s'effectuent les test on essaie donc de bâtir les fondations d'un référentiel commun. S'agissant du volet test de résistance ils seront toujours susceptibles de donner lieu à polémique, en effet si le scénario économique global s'impose (données macroéconomiques globales issues des travaux du FMI et de l'Union européenne), par contre les régulateurs locaux ont une flexibilité à travers certaines hypothèses comme le taux de chômage, le prix de l'immobilier... Ce n'est pas anodin, car de l'ensemble des hypothèses va découler le montant des pertes possibles et donc le besoin de recapitalisation requis. Est-ce que l'AQR va permettre d'exhumer tous les cadavres du placards ? c'est peu probable, car il y aura deux phénomènes qui vont converger : une relative complaisance à l'égard de l'Europe du Sud, et les difficultés intrinsèques réelles de l'exercice.

Mais revenons un instant sur les stress-tests, la question que l'on peut naturellement se poser est de savoir s'ils sont plus sévères que ceux réalisés en 2011. La réponse est clairement oui. A côté d'un scénario de base (baseline) il existe un scénario assez défavorable (adverse) de l'évolution d'indicateurs économiques et de la valeurs des actifs. ces stress-tests sévères s'expliquent par la volonté du régulateur de se construire une crédibilité auprès de la communauté des investisseurs.

Ces scénarios néanmoins ne sont pas exempts de certaines critiques et l'on pourra par exemple se référer à l'excellente étude de Natixis - Flash Report N°55 du 30 avril 2014 réalisée par Alan Lemangnen, Alex Koagne

Le Japon avait connu une crise bancaire de taille dans les années 1990 à la suite de fortes tendances déflationnistes. La situation actuelle est-elle comparable ?

La comparaison de la situation au Japon et en Europe est une fausse bonne comparaison. Certains avancent des arguments réels mais pas assez convaincants : les deux situations se ressemblent.

- la baisse des marchés boursiers (mais ils ont nettement repris depuis les plus bas atteints);
- la baisse du marché de l'immobilier (qui est très variable selon les pays ; forte en Espagne, pas encore survenue en France);
- la politique monétaire trop expansionniste;
- l'inévitable éclatement des bulles financières sur les actifs et les faillites bancaires consécutives.

On sous-estime totalement le phénomène démographique, qui est très différent :

- ce qui caractérise l'Europe en matière de taux de natalité, c'est une situation très contrastée avec des pays à forte natalité avec plus de 11 naissances pour 1000 (le record est l'Irlande avec 15.18 en 2014, après avoir atteint 16.1 en 2011 !) et les pays à moins de 9 pour mille.

- Le taux de natalité au Japon semble avoir joué un grand rôle dans la déflation, c'est au cours des années 90 que l'archipel nippon est passé durablement sous la barre de 10 pour mille, et la situation n'a fait que se dégrader pour être aujourd'hui autour de 8 pour mille, comme pour l'Allemagne.

C'est en 2003 que la population de l'Allemagne était la plus élevée (82,5 millions) avant de revenir, en données estimées, à 81,9 en 2014. De manière assez similaire pour le Japon nous avons une population qui stagne entre 2003 et 2014 (selon les années, entre 127,7 et 127,8). Il n'en est pas du tout de même pour d'autres pays européens. En France, sur la même période, la population est passée de 62,2 millions à 66,3 millions, en l'Irlande elle s'est accrue de 3,9 millions à 4,7 millions, enfin celle du Royaume-Uni a augmenté en passant de 59,5 millions à 64,1

La restructurations des "mauvaises dettes" provoquera logiquement des pertes de capitaux pour les banques européennes. Cela peut-il être problématique alors que le circuit monétaire européen est à sec ?

On n'a pas assez souligné un changement fondamental en matière de responsabilisation des banques (en économie on appelle cela la lutte contre "l'aléa moral" ), ce sont elles qui devront à l'avenir recapitaliser un fonds de résolution, dans le cadre du mécanisme unique de résolution - MUR, qui devrait atteindre progressivement 55 milliards d'euros en 2025, dont 10 à 15 milliards provenant des seules banques françaises.

Un Conseil de Supervision (Supervisory Council) est en charge du mécanisme de supervision unique - MSU (single supervisory mechanism) dont la présidente est la française Danièle Nouy. La BCE héritera officiellement en novembre 2014 de la supervision bancaire en Europe, soit un an après la parution du règlement (UE) N° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 ayant trait "aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit".  Le conseil de résolution préparera les plans de démantèlement ou de sauvetage avant de les soumettre à la décision du Conseil des ministres et des Finances.  En vertu du principe de "bail in" (ou renflouement interne) ce sont d'abord les actionnaires et les créanciers (junior et senior) et les dépôts supérieurs à 100 000 euros qui doivent contribuer à apurer le passif dans la limite de 8%. Ensuite, doit intervenir le fonds de résolution, c'est-à-dire que l'on fera appel à l'argent privé (des grandes banques).

A la demande de l'Allemagne pour les gros renflouement l'intervention du fonds de résolution sera plafonnée. Si l'intervention du MUR est insuffisante alors les Etats vont intervenir en dernier ressort, selon le mécanisme dit du "backstop" qui est en quelque sorte un ultime filet de sécurité.  

On peut dire, et c'est une bonne chose, que le "moral hazard" qui pousse parfois les banques à prendre des risques devrait reculer car c'est d'abord au privé qu'il appartiendra de renflouer les sinistres privés. Cette idée n'est pas nouvelle, au XVIIIe siècle Adam Smith définissait l'aléa moral comme étant le cas de figure ou "la maximisation de l'intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables de la décision sur l'utilité collective".

Comment expliquer un tel aveuglement des décideurs de la zone euro alors que le FMI avertit sans détour sur le risque actuel au niveau des prix ?

Parler d'aveuglement est excessif car les choses sont complexes. Christine Lagarde a appelé la BCE a assouplir sa politique monétaire et a parlé (les mots sont importants) "d'inflation faible", et pas de "déflation", terme qui effraie et est tabou. Depuis le 16 décembre 2008 le taux de la Fed est de à 0,25% (25 bps), taux adopté à son tour par la BCE le 13 novembre 2013.  

Une nouvelle baisse n'est pas à exclure mais il était impensable que la BCE, qui est indépendante, donne l'impression d'adopter une politique plus accommodante sous la pression du FMI. Notons la remarque acerbe du président Draghi : "le FMI a été récemment extrêmement généreux dans ses suggestions sur ce que nous devrions faire ou ne pas faire" !

Est ce que faire passer le taux BCE de 25 bp à 0 suffirait à améliorer les choses? Le coût du crédit n'est pas la seule variable des investissements, loin s'en faut. Ce qui est vrai par contre, c'est qu'au lendemain de la crise financière de 2007-2008, la baisse des taux par la BCE a été beaucoup trop lente et graduelle par rapport à l'action énergique de la Fed (voir schéma ci-dessus), c'est une des raison pour lesquelles les Américains sont sortis plus vite de la crise. Les Européens sont attentistes, lents et ne pratiquent que les demi-mesures et les sorties de crise sont toujours langoureuses. Les Américains sont des adeptes des méthodes brutales mais sortent toujours plus vite que nous des récessions. Nous verrons bien ce que fera la BCE lors de la prochaine réunion. Une des difficultés, c'est que l'Europe est quant à elle une union douanière avec des pays à deux vitesses en termes de performances économiques, et qu'un remède unique n'est pas adapté à toutes les situations individuelles. 

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