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La droite face au dilemme du plan de stabilité de Manuel Valls
©Reuters

Oui, mais c'mon programme !

Le plan de stabilité voté mardi 29 avril à l'Assemblée Nationale a de quoi déranger la droite : il aurait pu être voté par François Fillon. La droite se retrouve donc nécessairement dans une position inconfortable qui ne le lui laisse que peu d'alternatives : accepter les idées qui étaient les siennes, ou s'opposer à son propre programme.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Manuel Valls a fait voter, ce mardi 29 avril à l'Assemblée Nationale, un plan de stabilité que la droite n'aurait pas renié, mais qui a néanmoins voté contre. Concrètement, comment ce plan impacte-t-il l'opposition ?

Jean Petaux : Je ne pense pas que le plan présenté par le Premier ministre impacte considérablement l’opposition actuelle. Ceci pour une raison primordiale : il me semble que l’on peut distinguer deux manières de s’opposer dans l’histoire politique de la Vème République. La première est programmatique, la seconde est pragmatique.

Dans la première catégorie je rangerais « le Programme commun d’Union de la Gauche » qui, de 1972 à sa désagrégation en septembre 1977, fut certainement la forme la plus aboutie d’un « contre-projet » de gouvernement complet et détaillé depuis 1958 dans la vie politique française qui abordait tous les registres du gouvernement : l’économique (les nationalisations), les institutions (la décentralisation), les questions sanitaires et sociales, la culture, l’éducation et la justice (l’abolition de la peine de mort, la suppression des tribunaux militaires, etc.), l’environnement et l’agriculture et même les loisirs.... Les 110 propositions de François Mitterrand, en 1981, entrent dans cette première catégorie. Tout comme le programme de Nicolas Sarkozy en 2007 qui, bien que n’étant pas du tout dans l’opposition entre 2002 et 2007 n’a cessé de proposer la « rupture » avec tout un catalogue de mesures qui devaient se traduire dans la loi très vite (loi LRU, loi TEPA, « bouclier fiscal »). On pourrait aussi y mettre, dans une proximité assez forte, le programme de « Giscard à la barre » en avril 1974 proposant de moderniser la France en jouant sur la carte de la jeunesse (abaissement du seuil de la majorité légale, réforme du divorce, loi sur l’IVG). Dans tous ces cas on a eu des oppositions soit « officielles » (un peu comme « L’Opposition de sa Majesté » au Royaume-Uni, le « Shadow cabinet » en moins), soit « officieuses » (de l’intérieur en fait) : « les cactus » de Poniatowski contre les gaullo-pompidoliens de l’UDR entre 1971 et 1974 (la dénonciation des « barons du gaullisme » et des « copains et des coquins ») ; les « faignants » (i.e. : les chiraquiens) dénoncés par Sarkozy entre 2002 et 2007 sans parler du « combat des chefs » décrits par Bruno Le Maire dans « Des hommes d’Etat » qui opposa violemment Villepin et Sarkozy dans la même période.

La deuxième manière de s’opposer sous la Vème République est une « opposition pragmatique ». Elle consiste à ne rien faire, à énoncer des propositions minimalistes, à ne pas faire campagne pour ne pas inquiéter l’électorat et à attendre que le « camp au pouvoir » tombe comme un fruit mûr. Dans ce genre-là on peut considérer « le ninisme » de François Mitterrand exprimé dans sa « Lettre aux Français » en 1988 pour faire battre son challenger présidentiel, Premier ministre sortant, aux commandes gouvernementales depuis 1986, Jacques Chirac. Même chose en mars 1993 du côté cette fois du tandem « Chirac – Balladur » : le PS est dans un tel état de décomposition (il va le prouver avec la déroute aux législatives prélude à la fin tragique de Pierre Bérégovoy il y a tout juste 21 ans jour pour jour, le 1er mai 1993) qu’il n’y a rien à faire qu’à compter les jours qui séparent de l’élection, rien à proposer de particulièrement original. La victoire est acquise. En 1997 on est dans une situation quasi-comparable pour la « Gauche plurielle ». En dehors des « mythiques » « 35 heures », il n’y a rien de très élaboré dans le programme politique des formations qui vont se regrouper derrière le futur premier ministre Lionel Jospin. La campagne législative est très courte du fait de la dissolution. Dans les semaines qui précèdent celle-ci d’ailleurs tous les sondages donnent une très forte avance à la droite (RPR-UDF associés). C’est l’époque où les « Guignols de l’Info », bien plus forts qu’aujourd’hui en audience, montrent sans cesse un « Yoyo au pays des idées » où dans sa voiture jaune et rouge de « Oui-Oui » un Lionel Jospin, premier secrétaire du PS, méchamment ridiculisé, cherche vainement des idées pour le programme du PS. Et pourtant la Gauche plurielle (PS + PCF + Verts) l’emporte au soir du second tour des législatives ouvrant cinq ans de cohabitation (la plus longue des trois survenues depuis 1986). On le voit : une opposition sans programme, juste dans une posture oppositionnelle peut fort bien l’emporter. C’est exactement ce qui est advenu les 23 et 30 mars derniers avec la « vague bleue UMP » des municipales. Pas plus que le PS en 2010 pour les régionales (21 régions gagnées sur 22), l’opposition actuelle n’a proposé de contre-programme sociétal et politique national (contrairement à l’Union de la Gauche aux municipales de 1977 ou à l’alliance des Droites en 1983 aussi aux municipales), mais cela ne l’a pas empêché de l’emporter.

Donc, pour répondre à votre question : si l’opposition ne propose pas de « contre-plan Valls » dans les mois à venir j’aurais tendance à dire que ce n’est pas fondamentalement un handicap ni même que cela aura un impact décisif. Le « plan Valls » en tant que tel n’est pas un problème, ce sont ses effets à terme qui risquent de provoquer une difficulté pour l’opposition, s’ils se font sentir avant 2017. Or rien n’est moins sûr. Il n’est pas rare d’ailleurs en politique que les bénéfices d’une cure d’austérité soient réservés à l’équipe qui suit celle qui a du la mettre en œuvre et qui a été sanctionnée aux élections suivantes pour cela. Ainsi Gerhardt Schröder a-t-il « roulé » en quelque sorte pour Angela Merkel et, avant lui, Lionel Jospin a pu bénéficier, pour partie, des hausses d’impôts décrétées par Alain Juppé dès l’automne 1995 qui causèrent sa chute en avril 1997.

Aujourd'hui, Manuel Valls semble incarner l'austérité chère à la droite. Comment celle-ci peut-elle exister, en conséquent ?

Elle doit exister en surveillant ses deux « flancs » pour ne pas se retrouver coincée et écrasée entre deux poids-lourds : le « 38 tonnes » Manuel Valls sur son flanc gauche et le « 38 tonnes » Marine Le Pen sur sa droite. Elle peut aussi adopter trois types de postures :

  •  Dire que l’austérité « modèle François Hollande modifié Manuel Valls » c’est du discours, de la rhétorique, de la poudre aux yeux et des effets d’annonce et qu’il faut attendre les actes : « où, sur quoi, comment allez-vous vraiment et concrètement agir pour trouver les 50 milliards d’économies ? ». Cet argument est primaire mais il a le mérite d’exister quand on n’a rien à proposer de différent… On conviendra néanmoins qu’il est forcément dégradable dans le temps.
  • Chercher à contourner le premier ministre sur sa gauche du fait qu’il est très « avancé » à droite et jouer sur le volet « social » : « nous autres, à l’UMP ou à l’UDI, nous n’avons jamais osé nous attaquer aux petites gens, aux petites retraites, aux plus démunis » : c’est le discours de protection des fragiles et des classes moyennes en voie de paupérisation. Ça peut marcher très fort auprès d’une fraction de l’électorat qui traditionnellement est la plus civique et qui peut donc aisément marquer son désaveu dans les urnes.
  • Placer le premier ministre devant ses responsabilités et le mettre en demeure, puisqu’il prétend faire subir une cure d’austérité au pays, d’aller au bout de sa logique et remettre en cause tous « les acquis » doctrinaux du PS : les 39 heures, le statut des fonctionnaires, le service public de l’Education nationale, etc. C’est la tactique du « plus blanc que blanc » ou si l’on veut du « moins rose que rose ». Quand on regarde de près les différentes prises de position des responsables de la droite ces derniers jours, elles s’inscrivent dans ces trois catégories discursives. Pour l’heure aucune d’entre elles n’a pris le dessus sur les deux autres, mais, du strict point de vue du calendrier c’est la première de ces trois postures qui est la plus facile à développer en ce moment.


Doit-on s'attendre à une scission au sein même de la droite, entre ceux qui souhaiteront toujours s'opposer a Manuel Valls, quoiqu'il advienne et ceux qui sont peut être plus centristes ?

La Vème République est ainsi faite qu’elle ne permet pas aisément les transferts massifs, par blocs entiers, d’élus ou de dirigeants appartenant à tel ou tel groupe jusqu’alors opposé. On l’a bien vu avec les divers avatars de « la stratégie d’ouverture » qui se sont toujours achevés par de purs débauchages individuels et cela depuis la démarche de François Mitterrand après sa réélection en 1988 quand Soisson, Rausch, Stoléru, Stirn et quelques autres ont rejoint la majorité présidentielle sans entraîner avec eux des « poids lourds » de l’époque comme Simone Veil ou encore Pierre Méhaignerie. Le scénario va se répéter presque à l’identique après la présidentielle de 2007 où en dehors d’Eric Besson, de Jean-Marie Bockel, de Bernard Kouchner, de Martin Hirsch et de Jean-Pierre Jouyet, Nicolas Sarkozy n’attirera aucun groupe de gauche significatif qui se serait rallié derrière un leader socialiste de premier plan. Tous ceux que je viens de citer ne l’étant absolument pas. Donc la droite restera globalement groupée et si elle doit se diviser ce ne sera pas sur la question du soutien ou non à Manuel Valls mais bien plutôt sur la question des primaires à l’UMP, du retour effectif ou non de Sarkozy dans le jeu, du contrôle des finances de l’appareil, etc.

Finalement, si Valls incarne les mêmes positions que la droite sur les questions budgétaires, sur quoi la droite va-t-elle se démarquer ?

Essentiellement sur du symbolique. Mais aussi sur la question sociale ou sur la dimension de l’identité de la France dans la mondialisation ou dans son rapport à l’Europe. Mais on voit bien alors que tout va dépendre du leader qui aura le dessus sur ses rivaux à droite d’ici deux ans. Si Alain Juppé est appelé à jouer le rôle majeur que le destin lui a jusqu’alors empêché de jouer on peut imaginer que le type de gouvernance reposera beaucoup sur le « modèle bordelais » : cogestion politique, pas de conflits, pas de réformes clivantes, « sagesse et réconciliation ». Si Jean-François Copé tire les marrons du feu du combat interne on sera au contraire dans du « Sarkozy bis » avec une prédilection affichée pour les débats conflictuels, pour aborder la réalité de front et oser les grandes thématiques discriminantes entre droite et gauche. Si Nicolas Sarkozy revient dans le jeu politique il voudra je pense mettre l’accent sur la « grandeur retrouvée », sur un « chef d’Etat qui a manqué à la France depuis cinq ans » et sur le retour de la France dans le concert des grandes puissances en Europe bien sûr mais, bien évidemment, face aux Etats-Unis, à la Russie, à la Chine, etc.

Si François Fillon parvient à l’emporter sur tous les autres concurrents on aura une démarche sans doute plus euro-sceptique par exemple… C’est le propre justement d’une posture d’opposition pragmatique quand on ne parvient pas à se mettre d’accord sur un programme consensuel agrégeant toutes les composantes du principal parti d’opposition, que de laisser le « combat des chefs » accoucher du contenu politique. La droite a souvent fonctionné ainsi mais il serait totalement faux de penser que cette caractéristique lui est propre et réservée. Depuis près de 20 ans, le PS fonctionne aussi dans cette configuration. Quant aux autres formations politiques, les « partis tribunitiens » (FN, PCF, PG et même EELV), ils sont dans une toute autre situation : assurés de ne pas gagner et de ne pas gouverner, ils peuvent dire haut et fort à peu près n’importe quoi, tout et son contraire, et accumuler les « on rasera gratis » ou « on renversera les tables » puisqu’ils n’auront ni l’occasion de raser demain ni celle d’occuper les cabinets ministériels.

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