Les secrets de la renaissance de l’industrie américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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Aux Etats-Unis, l'industrie repart d'une façon surprenante.
Aux Etats-Unis, l'industrie repart d'une façon surprenante.
©Reuters

Second souffle

L'industrie américaine connait un sursaut tel qu'il pourrait bien relancer la croissance économique de toute la nation et donc influencer l'économie mondiale. Le chômage baisse de concert avec le coût du travail, de telle sorte que le pays gagne en compétitivité.

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul

Gilles Saint-Paul est économiste et professeur à l'université Toulouse I.

Il est l'auteur du rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) intitulé Immigration, qualifications et marché du travail sur l'impact économique de l'immigration en 2009.

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Atlantico : L'industrie américaine affiche une croissance presque insolente, en comparaison de celles qu'on connait outre-Atlantique. L'implantation d'une nouvelle usine dans l'Arizona plutôt qu'en Chine en est la preuve certaine. Comment expliquer ces facilités dont disposent aujourd'hui les Etats-Unis ?

Gilles Saint-Paul :Il s’agit avant tout d’un phénomène de reprise habituel à l’économie américaine. Cette économie au marché du travail relativement flexible connaît une montée rapide du chômage en période de récession, mais une baisse non moins rapide pendant les reprises. Beaucoup de pays européens, au contraire, connaissent des cycles moins violents. Si les récessions sont amorties, les reprises sont en revanche lentes et poussives. C’est notamment le cas de la France. Il reste à voir jusqu’où l’économie américaine sera capable de se rétablir. La hausse du salaire minimum et de la durée d’indemnisation du chômage dans ce pays laissent penser que le taux de chômage risque de ne pas retrouver son niveau antérieur à la crise. On peut également craindre que la reprise ne soit soutenue par de nouvelles bulles sur l’immobilier et les marchés d’action,  et qu’elle ne porte en germe la prochaine crise.

Quels sont les secteurs qui bénéficient de cette ré-industrialisation Américaine ? S'agit-il d'un phénomène durable ?

Il n’y a pour le moment aucune raison de parler de réindustrialisation de l’économie américaine. En 2004, la part de l’industrie dans l’emploi total n’était déjà plus que de 10,9 %. Au sortir de la crise, elle est tombée à 8,8 % et continue à baisser. Cela signifie que bien que l’emploi industriel se rétablisse, il continue à croître moins vite que l’emploi total. Cependant, un certain nombre de facteurs sont favorables au rétablissement de l’économie américaine et de son industrie. D’une part, la relative faiblesse du dollar qui favorise la compétitivité de l’économie américaine. L’Euro vaut maintenant 1,38 dollars alors qu’il était tombé à 1,22 dollars en 2012. De même, depuis 2009, le yuan s’est apprécié d’environ 10 % par rapport au dollar. Et la compétitivité-prix de l’économie américaine s’est améliorée de 15 % depuis 2004. D’autre part, la hausse des salaires en Chine, phénomène parfaitement sain et naturel du fait de la convergence de ce pays vers des niveaux de vie et de productivité occidentaux, rend moins pénalisante la localisation des industries dans les pays développés. Enfin, la baisse des prix de l’énergie aux Etats-Unis due à l’exploitation du gaz de schiste. Le prix du gaz naturel a environ été divisé par 2 depuis 2007. Tous ces facteurs impliquent qu’on devrait s’attendre à un rebond de l’activité manufacturière aux Etats-Unis. Cependant, comme on l’a vu, le rebond actuel est purement conjoncturel et on n’a pas encore observé de retournement dans la tendance séculaire de déclin de l’industrie relativement aux autres secteurs.

Quelles devraient être les conséquences d'un redémarrage de l'industrie américaine sur l'économie des Etats-Unis ? Et sur l'économie mondiale ?

La reprise américaine a généralement des effets positifs sur le reste du monde, à travers la hausse de la demande d’importation aux Etats-Unis. Mais ces effets ne se font généralement sentir qu’au bout de dix-huit mois. De plus, il existe également des effets négatifs, comme par exemple le fait que la reprise américaine, en augmentant la demande de crédits Outre-Atlantique, entraîne une hausse des taux d’intérêts mondiaux. Cette hausse a des effets complexes. En effet, elle tend à réduire l’investissement, mais par ailleurs elle joue à la baisse sur l’Euro, ce qui est favorable aux exportations. Une hausse des taux risquerait également de poser des problèmes pour la dette souveraine d’un certain nombre de pays.

Comment la Chine pourra-t-elle s'adapter à ce nouveau départ américain ? Sa position de leader économique mondial sera-t-elle remise en jeu ? Qu'en est-il de l'Europe ?

L’évolution future de la Chine sera comparable à celle du Japon : elle va continuer à croître plus vite que les Etats-Unis; les salaires et le niveau de vie continueront à augmenter au fur et à mesure qu’elle investit et comble l’écart avec les pays occidentaux. Les industries bas de gamme seront délocalisées vers des pays à coûts salariaux plus faibles tels que les Philippines, le Vietnam ou l’Afrique. La gamme de produits exportés par la Chine sera plus restreinte et plus sophistiquée. Les gains de l’échange entre la Chine et l’Occident ne reposeront plus sur l’abondance de la main d’œuvre bon marché dans ce pays, mais sur un certain nombre de savoir-faire spécifiques, comme c’est le cas avec le Japon. En ce qui concerne l’Europe, elle souffre d’un certain nombre de handicaps qui lui sont propres. Le fait d’avoir une monnaie commune entre des pays très différents en est un. Les rigidités institutionnelles des marchés, notamment du travail, en sont un autre. Certaines industries, notamment en France pour qui le niveau de l’Euro est trop élevé, souffrent de l’amélioration de la compétitivité américaine. Mais l’Europe devrait bénéficier de la reprise américaine à travers la hausse de la demande pour les produits européens. De plus, l’exploitation du gaz de schiste devrait peser à la baisse sur les prix mondiaux de l’énergie, ce qui est aussi un facteur favorable.

La France et les Etats-Unis n'ont pas nécessairement les mêmes structures de marché. Dans quelle mesure est-ce applicable chez nous ?

Comme je l’ai dit plus haut, du fait de ses rigidités, l’économie française est moins réactive aux chocs et fluctue au voisinage d’un taux de chômage structurel qui est  nettement plus élevé qu’aux Etats-Unis. De plus le climat de la politique économique n’est pas favorable à l’emploi et à l’investissement. Les promesses de réduction de charges du gouvernement sont en elles-mêmes une bonne nouvelle. Mais elles ne sont pas tenables à long terme si celui-ci ne parvient pas à mettre en œuvre les réductions correspondantes de dépenses. Or, les élections de 2017 approchent et grande sera la tentation de renoncer à ces économies pour satisfaire des intérêts catégoriels. Plus fondamentalement, les gouvernements des deux bords n’ont jamais été ontologiquement en faveur d’une réduction des dépenses.  Ce sont les difficultés économiques (endettement, chômage, tensions sur les taux de la dette publique…) qui les incitent, contraints et forcés, à faire des économies. Mais les entreprises savent bien que l’on sera tenté de dépenser à nouveau lorsque la conjoncture s’améliorera. Un exemple typique de ce phénomène est la discussion sur la meilleure façon de dépenser la « cagnotte fiscale » pendant les années Jospin ; dans cette période économiquement favorable, le désendettement n’était plus du tout à l’ordre du jour. Pour conclure, ce qui compte ce ne sont pas les mesures ponctuelles, mais un  vrai changement de « régime de politique économique » qui convaincrait les entreprises que les méthodes et la philosophie de nos gouvernants ont effectivement changé. 

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