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Elections en Algérie : comment sortir de l’ornière d’un pays riche à la population pauvre ?
©REUTERS/Louafi Larbi

Situation paradoxale

En Algérie, le PIB est de 215 milliards de dollars en 2013 et Alger affiche 200 milliards de réserves de change. Ces données laissent penser que le pays est riche. Pourtant le PIB par habitant est d'environ 5 500 dollars par habitant, soit un peu moins du double du Maroc. La richesse est donc toute relative.

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar

Mehdi Lazar est géographe, spécialiste des questions de géopolitique et d’éducation. Il est docteur de l’Université Panthéon-Sorbonne, diplômé du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques et de l’Institut Français de Géopolitique.  

Il a publié récemment l’ouvrage Qatar, une Education City (l’Harmattan, 2012) et dirige la commission Éducation, Programmes FLAM et Francophonie du laboratoire d'idées GenerationExpat.

Il vient de publier, également, L'Algérie Aujourd'hui, aux éditions Michalon (Avril 2014)

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Atlantico : L'Algérie accuse un paradoxe surprenant : le pays est riche, parmi les plus puissants d'Afrique, mais pourtant sa population connait la misère. Elle est jeune, et souffre de chômage, sans pouvoir voir la couleur des richesses dues aux hydrocarbures. Que faire pour remédier à cette situation ?

Mehdi Lazar :Tout d'abord, effectivement le pays est relativement riche: le PIB par habitant y est d'environ 5 500 dollars par habitant, soit un peu moins du double du Maroc, tandis que le PIB est de 215 milliards de dollars en 2013 et Alger affiche 200 milliards de réserves de change. Ces données laissent penser que l'Algérie est riche, et il s'agit certainement de la principale puissance économique du Maghreb. En revanche, le PIB par habitant y est toujours 8 fois moins élevé que le français, cette richesse est donc toute relative.

Cependant, bien que les indicateurs macroéconomiques se soient améliorés, les conditions de vie de nombreux Algériens se détériorent. Les inégalités augmentent en raison de l'inflation, notamment l'augmentation du prix des matières premières, tandis que le marché de l'emploi n'est pas assez dynamique pour intégrer les jeunes sortant du système éducatif. Ce dernier n'étant par ailleurs pas assez performant pour stimuler la création de richesses.

Ainsi, si le taux de chômage est officiellement d'environ 10%, il est en réalité probablement autour de 20% et touche notamment certaines régions et catégories de la population. Plus précisément, la jeunesse qui représente environ 70% du pays souffre de conditions de vie difficiles et d'un chômage estimé à 30%.

Remédier à cette situation et offrir un avenir à cette jeunesse qui se désole est donc essentiel. Pour cela, il faudrait notamment investir l’argent de la rente des hydrocarbures - qui représente 97% des recettes du pays - dans l'éducation et la recherche afin de créer les conditions d'une diversification de l'économie. D'autant que la dépendance d'Alger à la conjoncture internationale est grande et met le pays en péril en cas de retournement de la conjoncture énergétique, comme en 1986.

Une telle réorientation de la rente nécessiterait une cohérence de la politique énergétique doublée d'une allocation des flux monétaires vers l'économie productive et non plus vers le traitement social du mal développement. Pour cela, lutter contre la corruption qui est assez répandue est essentiel. Par ailleurs, les échanges régionaux sont très peu développés - de l'ordre de 3% du commerce mondial - ce qui laisse une marge de manœuvre appréciable en termes de développement économique. Mieux utiliser les atouts de la diaspora algérienne à l'étranger permettrait également de dynamiser la sphère productive, grâce à des flux financiers qui peuvent être considérables, mais aussi à l’énergie des Algériens de l'étranger qui souhaitent contribuer au développement de leur pays.

Enfin, moderniser l’État et assainir le système judiciaire permettrait aux Algériens mais aussi aux étrangers d'investir en toute confiance dans le pays. Au final, les atouts de l'Algérie sont donc nombreux. En particulier, les ressources humaines et naturelles du pays sont ses meilleur atouts pour réussir. A condition de les mettre en valeur correctement.

Les élections algériennes se tiennent ce jeudi 17 avril, et le président sortant Bouteflika sera probablement réélu pour un quatrième mandat. Malgré ces trois mandats précédents, l'Algérie apparaît politiquement comme à bout de souffle. Comment faire changer ce problème ?

La question du système politique algérien est complexe et résulte d'une histoire nationale mouvementée qui a abouti à un jeu politique dans l'impasse. C'est notamment le cas en raison de l'équilibre précaire qui a été trouvé après l'annulation du processus électoral de 1992 et qui ne fonctionne plus.

Alors qu'historiquement l'armée a géré le pays en ayant l'ascendant sur le pouvoir politique, malgré la façade "civile" du régime, après 1988 la police politique algérienne - le DRS - est devenu plus puissant et a pu, notamment grâce au contrôle de la rente, intervenir de plus en plus dans le jeu politique. La nomination de présidents "de compromis", tels que Boudiaf, Zeroual ou Bouteflika, a cependant empêché pendant tout ce temps le système de se décomposer tout à fait.

Depuis le troisième mandat d'Abdelaziz Bouteflika on assiste néanmoins à une lutte de pouvoir de plus en plus importante entre l'armée, la présidence et le DRS, la première contestant l'importance pris par le troisième dans le jeu politique algérien tandis que le second tente de s'autonomiser et de réduire l'importance du troisième. Les scandales récents, tels que celui du financement de l'autoroute Est-Ouest, ont été d'ailleurs des moyens utilisés par les uns et les autres afin d'affaiblir les clans adverses. En revanche, la lutte entre les différentes factions a aussi abouti à un affaiblissement des capacités antiterroristes du pays dont l'illustration la plus flagrante a été l'attaque spectaculaire d'In Amenas par un groupe d'AQMI en janvier 2013.

Le problème du système politique algérien ne pourra être réglé sur le fond que par un large renouvellement des élites au pouvoir. Cette génération qui a connu la guerre d'indépendance, puis la guerre civile des années 1990 - le chef du DRS est par exemple en poste depuis 1990 -, doit laisser la main à une génération plus à même de composer avec les différentes sensibilités de la société et avec des partenaires internationaux plus nombreux. Sur le plan technique, la révision constitutionnelles de 2008 a été une erreur car en autorisant le 3e mandat du président Bouteflika, elle a empêché de rebrasser et de fluidifier - dans une faible mesure bien sûr - le jeu politique. L'annonce du 4e mandat du président, en particulier à cause de son état physique - semble pour le moment servir de "prise de conscience" quant à l’essoufflement du régime. Des personnalités de premier plan appellent à ce titre à un nouveau départ qui ne prenne pas forcément la forme d'élections, tant celles-ci semblent jouées d'avance.

A ce titre, il est envisagé de déclarer le président Bouteflika dans l'incapacité de gouverner après son élection et le vice-président, ou un président par intérim "de consensus" nommé par une haute autorité permettrait de démocratiser un peu plus le pays sans repasser par des élections en attente de l'étape suivante.

Autre solution envisagée, un "conseil de transition" regroupant diverses sensibilités politiques, sous la forme de la plate forme de Sant' Egidio de 1995, associé aux représentants des divers clans nommerait un organe chargé de trouver un nouveau candidat "de compromis". Cela ne serait également cependant probablement qu'un pansement sur des maux profonds permettant de gagner du temps. Le système politique algérien nécessite en effet de larges réformes avec une adhésion populaire. Cette dernière est essentielle afin de pouvoir assurer la transition du régime d’une légitimité historique vers une légitimité démocratique.

Certains organes de presse algériens parlent d'une peur de l'après 17 avril. Pourquoi ? Que faut-il craindre ?

Avec l'élection de Bouteflika le 17 avril, il existe des chances - aux vues de son incapacité à gouverner mais pas seulement - que le pourrissement d'une contestation populaire grandisse.

Bien qu'encore embryonnaire (avec le mouvement Barakat - ça suffit) ou géographiquement marquée (la Kabylie, le Mzab), la grogne sociale grandit de plus en plus dans le pays avec une population qui parait moins résignée qu'avant. Des manifestations de plus en plus larges et violentes pourraient alors être réprimées sévèrement par un DRS dont la culture stratégique n'incite pas à la négociation ni à la mesure. L'escalade pourrait dans ce cas être tragique.

L'armée est très présente dans la politique algérienne, tant et si bien qu'elle est parfois appelée à résoudre les crises qui traversent la politique – comme lors de l'hospitalisation du président Bouteflika. Dans quelle mesure sa mainmise contribue à appauvrir la population ?

C'est difficile à dire précisément puisque nous parlons par définition d'un phénomène difficile à quantifier. Cela dit, il est certain que l'influence de l'armée sur la vie politique est prépondérante - la majeure partie des anciens présidents sont issus de ses rangs - et que des activités de prédation ont lieu dans le pays, notamment venant de hauts gradés de l'institution militaire. Cela dit, cette institution n'est pas monolithique et de nombreux officiers sont honnêtes et servent sincèrement leur pays.

La difficulté réside bien dans la perméabilité entre les différentes sphères du pouvoir et la faible indépendance de la branche législative et les lacunes de la gouvernance empêchent d'enquêter et de faire la lumière sur les détournements des fonds publics. L’ampleur du phénomène fait que cet argent manque cruellement dans l'économie. De plus le système de gestion de la société par une redistribution de la rente sur des bases plus ou moins objective contribue paradoxalement à frustrer et à appauvrir la population par manque d'investissements destinés à dynamiser le pays.

Finalement, comment cet épuisement tant économique et social que politique, influe sur le rayonnement international de l'Algérie ?

L'Algérie détenait dans les années 1970 un prestige indéniable. Son leadership au sein des Non-Alignés était véritable et le pays recevait à Alger tout ce que la planète comptait de révolutionnaires. Ces années post-indépendance furent aussi celles de la formation de la culture stratégique algérienne, qui fut concomitante au rôle central de l’armée à la fois dans la construction de l’État et dans le FLN, le parti unique. Ces données, ainsi que la longue lutte contre le colonisateur européen, ont produit une politique étrangère algérienne intransigeante vis à vis de toute ingérence extérieure.

A la fin des années 1980, l’essoufflement du modèle économique algérien et du camp soviétique firent cependant que l'activité internationale d'Alger se réduisit largement. Ce fut cependant le basculement du pays dans la guerre civile durant les années 1990 qui acheva l'isolement d'Alger sur la scène internationale. Il est donc bien clair que la situation économique et sociale en Algérie a influé largement sur la politique étrangère du pays dans les cinquante dernières années.

Depuis, le pays a redécouvert son environnement régional et a repris un certain ascendant géopolitique profitant notamment de la rente sécuritaire offerte par le retournement géopolitique suite aux attentats du 11 septembre 2001. L'expertise sécuritaire d'Alger et son armée forte de 130 000 hommes devinrent alors incontournables dans la lutte contre le terrorisme en Afrique du nord, tandis que le djihadisme devait être combattu dans la cadre la "war on terror".

A partir de 2011, la situation s’est en outre considérablement détériorée dans la région. Pris en tenaille entre les printemps arabes et la déstabilisation du Sahel, Alger fait figure d'Etat-pivot en Afrique du nord. L’assassinat de l’ambassadeur américain Christopher Stevens en Libye, l’intervention française au Mali et l’attaque d’une branche d’AQMI sur le site gazier d’In Amenas ont en effet montré la fragilité de la zone, ce qui inquiète au plus haut point les Européens comme les Américains.

Cependant, Alger pourrait prendre le leadership d'une coopération anti-terroriste régionale, mais il semble que le pays traine des pieds dans ce domaine. Les résultats sont bien insuffisants - malgré des avancées certaines comme le CEMOC - face à des groupes djihadistes en pleine recomposition. La « guerre froide » avec le Maroc et la question du Sahara occidental sont des obstacles évidents à une telle coopération, mais le manque de volonté d'Alger qui préfère agir seule, voire dans le cadre de ses relations bilatérales avec les grandes puissances, est une donnée importante.

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