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Quand la géographie explique pourquoi la Russie a des vues sur l'Ukraine
©Reuters

Bonnes feuilles

En novembre 2013, l'Ukraine renonce à signer un accord d'association avec l'Union européenne et "relance un dialogue actif avec Moscou". Depuis les événements ont laissé place à une véritable crise internationale avec notamment le rattachement de la Crimée à la Russie. Mais comme l'explique Robert Kaplan dans son livre "La revanche de la géographie" ces faits procèdent d'une logique géographique.

Vladimir Poutine n’a pas renoncé à la dimension européenne de la géographie russe, bien au contraire. Son ingérence en Ukraine participe d'un effort à plus grande échelle pour recréer une sphère occidentale qui permettrait à la Russie de compter en Europe, tout en faisant l'économie de réformes démocratiques. L'Ukraine est un État stratégique, dont le contrôle est fondamental pour les Russes d'un point de vue géographique. Bordée par la mer Noire au sud et par les ex-satellites à l'ouest, une Ukraine indépendante constitue un obstacle majeur aux avancées russes en Europe. L'Ukraine actuelle est le théâtre de tensions entre sa partie occidentale, où les catholiques et les orthodoxes grecs sont partisans d'un nationalisme, et sa partie orientale, où les orthodoxes russes sont favorables à un resserrement des liens avec Moscou.

Cette dichotomie illustre bien la position ambiguë de ce pays, zone frontière entre l'Europe centrale et l'Europe orientale. Pour Zbigniew Brzezinski, sans l’Ukraine, la Russie ne sera jamais autre chose qu'un « empire à prédominance asiatique », au sein duquel les conflits entre les États du Caucase et de l'Asie centrale iront croissant, tandis qu'en annexant (officiellement ou non) l'Ukraine, la Russie gagnerait 46 millions d'habitants dans sa partie occidentale, qui est déjà de loin la plus peuplée, ce qui lui permettrait de faire contrepoids à l'Europe, et peut-être, à terme, d'y être intégrée.

Dans ce dernier cas, selon Brzezinski, la Pologne, également convoitée par la Russie, deviendrait le « pivot géographique » déterminant pour l'avenir de l'Europe centrale et orientale, et par conséquent, de l'Union européenne. La lutte entre la Russie et l'Europe (en particulier avec l'Allemagne et la France) entamée avec les guerres napoléoniennes, se poursuit, mettant en suspens la destinée de pays comme la Pologne ou la Roumanie. Le communisme s'est effondré, mais les Européens ont toujours besoin du gaz naturel russe, dont 80 % transite par l'Ukraine. La fin de la guerre froide a changé beaucoup de choses, mais elle n'a pas modifié la géographie. Pour Paul Dibb, analyste dans les services secrets australiens, la Russie renaissante pourrait tout à fait « user de stratégies de déstabilisation pour se recréer un espace stratégique ». Comme l’a montré l’invasion de la Géorgie en 2008, la Russie de Poutine ne s'en tiendra pas au statu quo.

L’Ukraine, tenue sous forte pression russe, a donné son accord pour prolonger le bail de la flotte russe en mer Noire, en échange de prix réduits sur le gaz naturel, tandis que le Kremlin essaie de prendre le contrôle du réseau de gazoducs ukrainien, et qu'une grande partie du commerce extérieur de l'Ukraine a lieu avec la Russie. La Russie est cependant loin de posséder le monopole sur les réseaux d'approvisionnement énergétique en Eurasie. Certains pipelines transportent les hydrocarbures d'Asie centrale en Chine, d'autres acheminent le pétrole azéri depuis la mer Caspienne jusqu'à la mer Noire, en passant par la Géorgie, puis vers la Méditerranée en passant par la Turquie, ce qui leur permet de contourner la Russie. Il existe aussi un projet de gazoduc allant de la mer Caspienne à l'Europe centrale qui passerait par le Caucase du Sud, la Turquie et les Balkans, permettant de contourner la Russie.

Dans le même temps, la Russie prévoit un projet de gazoducs sous-marins en mer Noire, qui rejoindrait la Turquie au sud, et la Bulgarie à l'ouest. Quant au Turkmenistan, situé sur la rive orientale de la mer Caspienne, il exporte son gaz naturel en passant par la Russie. Ainsi, même en diversifiant ses fournisseurs, l'approvisionnement énergétique européen — notamment en Europe orientale et dans les Balkans — dépendra toujours de la Russie. L'avenir de l'Europe est donc toujours lié, comme par le passé, aux événements qui se déroulent à l'est.

Extraits de "La revanche de la géographie. Ce que les cartes nous disent des conflits à venir" de Robert D.Kaplan aux Editions du Toucan. Pour l'acheter, cliquez ici

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