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La situation en matière de droit d'asile en France est alarmante selon les conclusions du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques
La situation en matière de droit d'asile en France est alarmante selon les conclusions du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques
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Droit de savoir

La situation en matière de droit d'asile en France est alarmante selon les conclusions du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC). En matière d'asile tous les coûts prévisionnels ont été dépassés, notamment en "hébergement d'urgence" avec une facture qui atteint 90 millions d'euros pour ce seul poste. On peut dès lors estimer le coût total de l'asile en 2014 à un montant de 666 millions d'euros", révèle le rapport, "sans anticiper" sur d'autres dépenses.

Atlantico : Le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques vient de rendre un rapport alarmiste soulignant que les dépenses liées au droit d’asile s'élèveraient à 666 millions d'euros pour 2014 selon estimations. Comment expliquer tout d'abord une telle dérive de coûts ?

Jacques Bichot : Le coût de 576 millions prévus par la loi de finances pour 2014 constitue une évaluation administrative qui ne reflète pas totalement la réalité. Comme le dit le rapport d'information, le calcul de ce que coûte à la France l'accueil des demandeurs d'asile est difficile.

>>> Pour ce qui concerne uniquement les demandeurs d'asile en attente de décision, les postes budgétaires principaux sont (pour 2014) l'hébergement (329 millions) et l'allocation temporaire d'attente (135 millions) <<<


Jacques Bichot : Les dépenses de fonctionnement de l'administration se limiteraient à 94 millions et le reste (aide juridictionnelle et intégration des réfugiés) à 18 millions. À cela s'ajoutent d'importants dépassements probables, que les rapporteurs estiment à 90 millions, pour arriver aux 666 millions.

Mais il ne s'agit là que de la partie émergée de l'iceberg, car beaucoup des malheureux dont la demande est en attente de traitement, et de ceux qui ont subi un refus mais restent néanmoins sur le territoire français. Plus de la moitié des demandeurs) cherchent un complément de ressources au mieux dans le travail au noir, au pire dans le chapardage, voire une délinquance plus forte, et entre les deux dans la recherche de diverses allocations et dans la mendicité. Des centaines de milliers de clandestins sont des demandeurs d'asile déboutés ; ils vivent comme ils peuvent, d'une façon qui est la cause de divers inconvénients pour une partie des Français et des autres résidents en situation régulière. Des réactions d'agacement, trop vite cataloguées de racisme, sont ainsi la conséquence inéluctable de l'incapacité des services de l'immigration à faire correctement leur travail.

Gérard-François Dumont :Il faut rappeler que la France fait partie des principaux pays en termes de demandes de droit d’asile, la première place se partageant selon les années avec les Etats-Unis et l’Allemagne. Or ces demandeurs, une fois que leur dossier est déposé, génèrent des coûts à différents niveaux : traduction, allocations d’entretien (puisqu’ils n’ont pas le droit de travailler jusqu’à ce que leur demande soit traitée), hébergement. Ces requêtes mettant plusieurs mois à être traitées, les frais administratifs et de subsistance à l’attention des demandeurs finissent rapidement par se faire sentir sur le plan budgétaire.

Par ailleurs, lorsqu’arrive la réponse à cette demande d’asile, ce sont généralement 4/5e des requêtes qui sont déboutées, la plupart des intéressés n’apportant pas la preuve, comme le demande la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, qu’ils étaient persécutés dans leurs pays d’origine au titre de leur appartenance ethnique, confessionnelle ou culturelle. Cela tient à ce que de nombreuses personnes souhaitent devenir immigrants en France et utilise dans ce dessein la procédure de demande d’asile, faute d’entrer dans le cadre du regroupement familial ou d’un contrat de travail.

A partir du moment où la demande d’asile est refusée, la personne ayant initié la requête peut faire appel (ce qui arrive dans la quasi-totalité des cas), engageant par là de nouveaux frais administratifs pour l’Etat, et bien sûr de nouveaux frais d’entretien de la personne. Compte tenu de la lourdeur de ces procédures, il n’est pas étonnant de voir les coûts liés aux demandes d’asile prendre des dimensions de plus en plus importantes au fil des ans.La fameuse affaire Leonarda était révélatrice de cette problématique, puisque sa famille avait réussi à se maintenir près de cinq ans sur le territoire français en faisant jouer au maximum toutes les procédures possibles.

Ainsi, à quelques semaines près, il aurait été impossible d’expulser Léonarda si elle avait dépassé la "barre" des cinq années de résidence sur le territoire. On voit donc bien la générosité de notre système, mais l’on peut à certains égards se demander s’il ne relève pas d’un certain laxisme.

Toujours selon le même rapport, les expulsions du territoire représentent un coût de plus en plus important. Sur l'ensemble des 89 000 OQTF prononcées, 15 200 éloignements ont été effectivement réalisés, soit un taux "de l'ordre de 17 %". Ne pourrait-on pas revoir le système pour éviter une telle gabegie ?

Jacques Bichot : Il serait possible de réformer en profondeur les modalités de traitement des demandes d'asile, mais deux phénomènes constituent des obstacles jusqu'à présent non surmontés. Le premier est le manque de compétence, car non seulement l'administration ne sait globalement pas faire ce qu'il y aurait à faire (traiter les dossiers beaucoup plus rapidement, expulser sans tarder toutes les personnes ne correspondant pas aux critères de l'asile, et s'occuper sérieusement de l'insertion de ceux qui sont admis), mais de plus il est probable que les fonctionnaires qui ont du savoir-faire et des idées innovantes sont neutralisés par une hiérarchie et des pouvoirs publics passablement sclérosés. Le second obstacle est européen : la reglementation européenne en la matière combine le principe "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" avec celui selon lequel les États membres sont par définition capables de mettre en pratique ses textes dégoulinants de bonnes intentions. Sachant que "qui fait l'ange fait la bête", l'angélisme européen est pour beaucoup dans le sort trop souvent misérable des demandeurs d'asile et des sans-papiers que deviennent la majorité d'entre eux.

Gérard-François Dumont : Là encore on remarque que le système français est extrêmement respectueux des libertés puisqu’un nombre important de conditions sont à remplir pour pouvoir expulser une personne irrégulière vers son pays d’origine. Tout d’abord un juge doit valider la légalité de la démarche d’éloignement déposée par l’administration en fonction de l’individu. Dans le même temps, la procédure, qui doit être très courte, ne doit aucunement être sujette à la moindre atteinte aux libertés individuelles de l’intéressé.

 >>>Supposons ainsi qu’un irrégulier soit arrêté en Mayenne et transféré au centre de rétention du Mesnil-Amelot, près de Roissy, il pourra faire casser la procédure s’il réussit à démontrer qu’on ne lui a pas prêté de téléphone portable pendant le trajet, invoquant par là un manquement aux libertés fondamentales <<<


Voilà notamment l’une des raisons du si faible taux de reconduite effective à la frontière.

Autre élément, l’éloignement d’un irrégulier nécessite l’accord du pays d’origine (appelé aussi "laissez-passer consulaire"), et les demandes ne sont ici pas toujours systématiquement formulées auprès des ambassades. C’est sans prendre par ailleurs en compte les ambassades qui ne répondent pas aux demandes, ce refus étant parfois systématique pour certains pays. Si rien n’est confirmé dans les 45 jours, la personne en question est donc libérée du centre de rétention où elle était placée. Il faudrait donc une application plus pragmatique des juges des libertés ainsi qu’un meilleur dialogue avec les pays concernés pour tenter d’améliorer le taux "d’échec" de 83% dans le cadre des reconduites à la frontière. Le Gouvernement Sarkozy s’y était employé dans le cadre d’accords avec certains pays d’origine, mais la nouvelle présidence n’a plus suivi cette démarche. 

Un rapport parlementaire daté de novembre 2013 prévoyait de mettre fin à la gabegie sur le droit d'asile notamment en réduisant le délai d'examen des demandes à neuf mois, le tout pour alléger un budget estimé à 1.5 milliards d'euros. Ces recommandations ont-elles une chance d'être prises en compte ? 

Jacques Bichot : "Yaka" réduire les délais : hélas, cela ne se fait pas par décret, même si diverses modifications législatives et réglementaires sont nécessaires pour améliorer la situation. Mais le problème est largement lié au management de la fonction publique.

>>> En 1989 le nombre de premières demandes d'asile a culminé à 61 400 ; 8 ans plus tard il était descendu à 17 400, avant de remonter à 52 200, de redescendre à 23 800 puis d'atteindre 46 000 en 2013 <<<


La gestion d'un flux aussi variable requiert une grande souplesse : les effectifs consacrés à l'examen des dossiers et au suivi des personnes doivent s'adapter à la demande. Cela n'est pas dans la culture de l'administration française. Réformer l'administration dans le sens d'une plus grande adaptabilité, "parce que les demandeurs d'asile le valent bien" : pourrait en faire la demande à l'Oréal, mais j'ai peur que la solution ne soit pas seulement cosmétique.

Jeanine Dubié et Arnaud Richard, les députés responsables du rapport d'information sur l'évaluation de la politique d'accueil des demandeurs d'asile qui vient d'être rendu public, font une vingtaine de propositions, souvent très concrètes. Par exemple, l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) devrait avoir une antenne dans chaque lieu d'accueil des demandeurs d'asile, et être convenablement présente à Roissy même pendant le week-end : le rapport met ainsi le doigt sur diverses carences précises et réclame les améliorations correspondantes. De même conseille-t-il de mettre au point un outil intégré de suivi de la situation des demandeurs d'asile (on frémit à l'idée que cet outil n'existe actuellement pas !). Nous ne manquons donc pas de pistes à suivre. La question est que les responsables de terrain et la chaîne hiérarchique, jusqu'au ministre, fassent le nécessaire.   

Gérard-François Dumont : Les parlementaires sont effectivement très soucieux des délais en matière de demande de droit d’asile, ce qui laisse émerger de temps à autres des débats, voire des discours ministériels, soulignant à quel point le système est à bout de souffle. Je suis personnellement quelque peu sceptique sur la possibilité, comme cela serait souhaitable, de réduire considérablement les délais d’examen des dossiers, puis d’examen des appels, car il s’agit avant tout d’un problème de moyens administratifs et de vitesse d’exécution alors que, par exemple, il faut missionner très souvent des interprètes dans les langues les plus variées. La droite s’est cassé les dents sur le sujet sous Sarkozy et la gauche s’y attelle désormais bien que le sujet soit d’envergure. Il faudrait déjà en tout cas faire en sorte que les possibilités d’appels pour les demandes déboutées ne puissent pas être multipliées afin d’éviter les abus. 

Dans un autre registre, un débat a émergé depuis peu sur les dérives de l'Aide Médicale d'État (AME) dont le coût s'approcherait d'un milliard d'euros par an. Est-il possible de corriger ce système sans le rendre punitif ?

Jacques Bichot : L'aide médicale d'État (AME) est une curiosité juridique : d'une part elle est réservée aux étrangers en situation irrégulière, et d'autre part elle ne doit être attribuée que si l'immigré a en France sa "résidence habituelle, qui doit avoir un caractère permanent", selon les termes de Service-public.fr. Autrement dit, elle constitue une prime à ceux qui ne devraient pas être en France, mais qui s'y incrustent. La situation est hautement ridicule :en bonne logique, ces personnes devraient soit être dotées de titres de séjour, soit être expulsées. L'inflation de l'AME tient à cette contradiction juridique, favorable à la multiplication des situations de sans-papiers. Une solution partielle serait peut-être de ne laisser un étranger entrer sur le territoire que s'il indique son pays d'origine – pays vers lequel il sera reconduit s'il n'obtient pas un titre de séjour. Mais il n'y a pas, à ma connaissance, de solution parfaite, et mieux vaut pécher par excès de générosité que par manque d'humanité.  

Gérard-François Dumont : Il faut déjà préciser que la plupart des pays européens n’ont pas de dispositifs comme l’AME en France. Nicolas Sarkozy avait déjà tenté de corriger le système en invoquant le fait qu’il soit inégalitaire puisqu’il prenait entièrement en charge des irréguliers alors que les immigrés légaux doivent payer une partie de leurs soins. A ainsi été instauré un forfait, assez modeste du reste, pour faire contribuer les intéressés, bien que la nouvelle majorité soit revenue sur cette mesure depuis.

>>> Ce système d’aides inconditionnelles a pour effet de rendre la France bien plus "attractive" que d’autres pays du continent, et l’on note justement que parmi les régularisations sur l’année 2013, près de 6000 d’entre elles l’ont été pour des raisons de santé <<<

Existe-t-il par ailleurs un coût judiciaire lié à notre politique migratoire ?

Gérard-François Dumont : Je dirais effectivement, au-delà de l’aspect directement budgétaire de la gestion des irréguliers, qu’on oublie de préciser que les procédures les concernant doivent être extrêmement rapides, car soumises à des délais réglementaires stricts, ce qui fait passer leurs dossiers en priorité devant les juges qui ne manquent pourtant pas d’affaires à traiter.

>>> L’une des raisons de la lenteur de la justice constatée dans plusieurs tribunaux (on pourrait notamment évoquer celui de Cergy-Pontoise) est donc clairement celle de l’importance de l’immigration illégale en France <<<

Que sait-on des doublons budgétaires entre les forces de police nationale, municipale et la gendarmerie ? Où se situent-ils ?

Mathieu Zagrodzki : Cela dépend de ce qu’on l’on qualifie de doublons. Si l’on parle par exemple de la présence simultanée de patrouilles de la police municipale et de la police nationale sur un même territoire, ça n’est nullement problématique, bien au contraire. Cela permet de disposer d’effectifs renforcés sur la voie publique, qui peuvent parfois intervenir ensemble sur certaines situations sensibles. S’il est question de dépenses qui pourraient être mutualisées, la réponse est alors plus nuancée. Des efforts importants ont quand même été entrepris depuis une dizaine d’années avec le placement de la gendarmerie sous la tutelle fonctionnelle et budgétaire du ministère de l’Intérieur. D’un point de vue opérationnel, les Groupes d’Intervention Régionaux (GIR) ont constitué un effort de rapprochement entre les deux forces de sécurité nationale et d’autres institutions publiques (douanes, fisc…) dans le cadre d’enquêtes sur des réseaux criminels. Sur le plan des achats, de nombreux marchés mutualisés entre la police et la gendarmerie ont été passés, comme sur les armes de poing par exemple, avec d’importantes économies à la clé. Notons aussi qu’une rationalisation des zones de compétence respectives a été mise en œuvre, avec notamment la mise en place des polices d’agglomération.  D’autres domaines laissent néanmoins à désirer, comme le renseignement, la réparation automobile ou la police scientifique, où des moyens pourraient être mis en commun.

>>> Au-delà de cela, on a trop tendance en France à vouloir confier à des agents des forces de l’ordre des missions qui pourraient tout à fait être assurées par des personnels administratifs <<<

En Grande-Bretagne, ce sont des civils (encadrés par des policiers, précisons-le) qui répondent aux appels d’urgence, ce qui coûte beaucoup moins cher.

Quel est le coût des dispositifs de contrôle frontalier comme Frontex ? L’arrivée de l’espace Shchengen a-t-il changé la donne depuis ?

Gérard-François Dumont : Je commencerai en disant qu’il s’agit-là d’éléments essentiels de souveraineté dont il est difficile de calculer la rentabilité.

>>> Le budget de structures comme Frontex, auxquelles s’ajoutent les différentes dépenses nationales, était de 85.7 millions d’euros en 2012 <<<

Pour ce qui est de Schengen, si l’on prend une pure logique comptable, il s’agit évidemment d’un dispositif qui a diminué les coûts de contrôles des différents Etats-membres, la France n’ayant ainsi plus qu’une seule frontière à surveiller, la frontière Méditerranée.

Plus largement, quelles autres dépenses cumulées ou injustifiées mériteraient d'être étudiées dans le cadre d'une amélioration de notre politique migratoire ?

Jacques Bichot : C'est une question immense ! Elle concerne de nombreux domaines, de la lutte contre la délinquance à celle contre l'illettrisme et l'échec scolaire, de la nécessité de développer les infrastructures au coût des subventions au logement, etc. De manière générale, nous sommes amenés à choisir entre recevoir un nombre limité d'immigrés dont l'intégration est délicate, de façon à bien s'occuper d'eux à l'aide de ressources fiscales forcément limitées, et en recevoir beaucoup, en acceptant qu'ils en pâtissent et qu'ils causent du tort à une partie de la population. Les dépenses engagées pour chaque immigré ayant une différence culturelle forte par rapport à la culture française sont actuellement insuffisantes par rapport à leur nombre, même s'il y a du gâchis, et donc la possibilité de faire mieux avec les budgets actuels. Une solution serait que le chef de l'État dise aux Français : "la fraternité est un des trois principes de la République. À vous de marquer, par vos contributions volontaires, jusqu'où elle doit s'étendre. Tout ce que vous donnerez sera utilisé au profit des étrangers en difficulté, pour les soigner, les éduquer, les loger, leur mettre le pied à l'étrier. Mais nous n'engagerons pas le budget au-delà de ce que vous aurez ainsi décidé."

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