Grand oral économique pour Manuel Valls : 5 experts pour évaluer les annonces du Premier ministre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Le Premier ministre a prononcé devant les parlementaires son discours de politique générale hier.
Le Premier ministre a prononcé devant les parlementaires son discours de politique générale hier.
©Reuters

Analyse économique

Coup de pouce pour les revenus modestes, suppression des charges pour l'employeur d'un salarié payé au Smic, 50 milliards d'économies sur trois ans, le taux normal de l'impôt sur les sociétés réduit à 28% en 2020... Le Premier ministre est entré dans le détail de la politique que va mener son "gouvernement de combat", déclinant toute une série d'annonces lors de son discours de politique générale. Analyse de 5 économistes.

>>> Allègement des cotisations patronales et salariales <<<

Sur les cotisations patronales :

- suppression totale des cotisations patronales à l'URSAFF au 1er janvier 2015 et des charges sur les employés au smic ;

- sur les salaires allant jusqu'à 1,6 fois le smic, 4,5 milliards d'euros d'allègements ;

- sur les salaires allant jusqu'à 3,5 fois le smic, un abaissement des cotisations familiales de 1,8 point au 1er janvier 2016, c'est-à-dire 4,5 milliards d'euros d'allègements (pacte de responsabilité) ;

et sur les cotisations salariales : une diminution des cotisations salariales pour les salariés au smic, ce qui représentera 500 euros par an de salaire net en plus (pacte de solidarité).

Efficacité

Jacques Bichot : Les réductions de cotisations patronales de sécurité sociale ont été largement pratiquées par la droite comme par la gauche. Elles n'ont nullement évité le déclin de la compétitivité des entreprises françaises et la montée du chômage. Bien entendu, certains disent que sans ces "allègements de charges" la situation aurait été encore pire, mais les études sur lesquelles ils se basent ne sont guère convaincantes. En réalité, ces mesures traduisent une conception étatiste de la sécurité sociale qui est une des causes majeures de nos difficultés. Les organisations patronales, en réclamant la réduction des cotisations patronales, ont contribué à faire croire qu'il s'agit d'une politique libérale, ce qui est faux. Pour sortir de l'ornière où nous a enlisés un État providence devenu obèse et ingérable, il faudrait procéder à une vraie réforme de notre sécurité sociale, et particulièrement transférer sur les cotisations salariales la totalité des cotisations patronales, de façon à ce que les travailleurs comprennent bien que ce sont eux qui paient la sécu, et pas les entreprises. Un tel changement, facile à réaliser, ne modifierait dans l'immédiat ni le salaire net, ni le coût du travail, mais il induirait une modification radicale des comportements : les employeurs négocieraient avec les travailleurs le vrai coût du travail, et les employés freineraient la tendance de la sécurité sociale au "toujours plus". C'est à la négociation salariale de modérer le coût du travail, pas à l'État, qui n'est pas outillé pour ! C'est ainsi que les entreprises allemandes ont réussi à devenir très compétitives, sans quémander des aumônes auprès de l'État fédéral. La politique de réduction des charges est le résultat d'une connivence entre deux bureaucraties, celle des organisations patronales et celle de l'État, elle est typiquement "top-down" alors que ce qui marche c'est le "bottom-up" (ce qui va de la base vers le sommet et non l'inverse).

L'allègement des cotisations salariales sur les bas salaires mérite une attention particulière. Une telle mesure signifie que l'État va subventionner encore plus les emplois les plus modestes, traitant ainsi leurs titulaires en assistés. Ce n'est pas respectueux pour la dignité de ces personnes : un travail à temps complet doit fournir de quoi vivre, y compris de quoi acheter les services de protection sociale dont on a besoin. La solution au sous-emploi ne réside pas dans le subventionnement de leurs titulaires. Plus intéressant serait une diversification du SMIC selon les bassins d'emploi : on peut vivre correctement dans le Cantal avec bien moins d'argent qu'à Paris. Des départements aujourd'hui en déclin pourraient revivre si des entreprises de main d'œuvre venaient s'y implanter avec un net avantage salarial correspondant à la nature des choses et non à une décision politique ou administrative arbitraire.  

Gérard Thoris : Il faut toujours commencer par rappeler que l’idée même qu’une cotisation sociale puisse être partagée entre "patronale" et "salariale" est une fiction liée à l’histoire même des cotisations sociales. Par contre, ce fut, historiquement, un instrument bien commode de gestion de l’électorat. Alors que, en 1930, les parts patronales et salariales représentaient également 5 % du salaire, la première a dérivé bien plus rapidement que la seconde. C’était facile de laisser entendre aux salariés que la Sécurité sociale n’avait pas de coût. Au moment où la France a fait le choix de signer les accords de Maastricht (1992), elle s’engageait en même temps à ne plus dévaluer sa monnaie. Il devenait impossible de diminuer le niveau des coûts salariaux par la dévaluation. D’une manière très singulière, elle a choisi la voie de la socialisation des bas salaires. C’est en septembre 1993 que la première exonération de cotisations patronales a eu lieu. Par la suite, l’instrument n’a cessé d’être utilisé et instrumentalisé. Avec le projet d’Emmanuel Valls, une étape nouvelle vient d’être franchie : la modulation des cotisations d’assurances sociales sert désormais à distribuer du pouvoir d’achat directement. Nul doute que cette mesure est la première d’une longue série qui occupera nos parlementaires année après année. 

Quant à savoir si cette mesure est efficace, il est bien difficile d’en juger. Commençons par la distribution de pouvoir d’achat aux salariés. Il devrait être évident que beaucoup de salariés continuent à raisonner en salaire net. En fonction du calendrier de sa mise en application, cette mesure pourrait être intégrée aux négociations annuelles de salaire. Evidemment, les salariés qui n’en bénéficient pas veilleront à obtenir une compensation. Au final, bien malin celui qui pourra démêler les gagnants et les perdants.

Quant à la réduction des charges patronales, la question clé est celle des contreparties. Il faut lire et relire la conférence de presse du 14 janvier dernier : "Elles doivent être définies au niveau national et déclinées par branches professionnelles. Elles porteront sur des objectifs chiffrés d'embauches, d'insertion des jeunes, de travail des séniors, de qualité de l'emploi, de formation, d'ouvertures de négociations sur les rémunérations et la modernisation du dialogue social". Alors, cet engagement solennel du Président de la République est-il déjà obsolète ? Le short termism des hommes politiques va-t-il à nouveau frapper au point qu’on aurait renoncé à  l’Observatoire des contreparties ? Voilà une clé, parmi d’autres de l’efficacité des politiques de réduction des charges sociales.

Christophe Boucher : Ces annonces apparaissent d’inspiration très libérale et font le pari qu’une politique de l’offre en faveur des entreprises et des ménages les plus modestes générera un choc  fiscal susceptible d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises françaises et des créations d’emploi pour les travailleurs les moins qualifiés. Les études menées depuis deux décennies confirment que les baisses de coût du travail sont d'autant plus efficaces sur l'emploi qu'elles sont ciblées sur les bas salaires. On peut donc s’attendre  à un impact sur l’emploi des allégements de charges au niveau du smic. Les effets sur l'emploi pourraient être très importants, en particulier dans les services aux personnes et aux entreprises, ainsi que dans le commerce et la construction. 

Pour éviter une concentration des emplois au niveau du smic et favoriser les progressions salariales, il faut que l'essentiel des exonérations soit concentré sous le salaire médian, soit environ 1,6 smic. Au-delà de 1,6 smic, les allégements de charges produisent le plus souvent des hausses de salaires et moins de créations d’emploi. Toutefois, pour les entreprises à forte valeur ajoutée, la compétitivité des entreprises se joue bien ailleurs que sur le coût du travail le moins qualifié. Le renforcement de la compétitivité de ces entreprises passe par des mesures plus structurelles, comme le développement de l'enseignement et la recherche, une formation professionnelle plus efficace ou leur financement.

Par ailleurs, le soutien au pouvoir d’achat des ménages les plus modestes grâce à la baisse des cotisations payées par les salariés au smic est un dispositif qui va dans le bon sens. Toutefois, pour le moment, la question est de savoir s’il s’agit de réduire les ressources de l’Unedic, des régimes de retraite ou de l’assurance  maladie.

Philippe Crevel : Le taux des  cotisations URSAFF est de 4 % appliqué à un salaire jusque dans la limite de quatre fois le plafond de la sécurité sociale soit environ 18 milliards d’euros si cela était appliqué à tous les salariés La suppression des charges sociales au niveau du SMIC représentera un gain pouvant atteindre 188 euros pour un employeur. L’idée est de redonner de l’air aux entreprises dont le taux de marge a dégringolé dangereusement et qui se situe autour de 25 % contre plus de 40 % en Allemagne. Si sur le SMIC, l’effort sera modeste et vise à terminer le processus d’exonération de charges sur les bas salaires. Cette mesure vise à faciliter la création d’emplois. A court terme, elle peut avoir un impact mais elle risque d’empêcher l’élévation en gamme de la production française. Notre combat est d’emmener le maximum de salariés sur le haut de gamme et non de concurrencer les Chinois. A cette fin, il faudrait mettre en place un système progressif de cotisations sociales pour lisser les effets de seuil. L’instauration d’un abattement de charges de salaires sur les 500 premiers euros de salaire pourrait être imaginé.

Jean-Marc Sylvestre : La suppression, pour les salariés au smic, et l’allègement pour les autres est sans doute la décision la plus spectaculaire. Elle répond à une demande récurrente des organisations patronales et surtout les PME-PMI... Le crédit impôt-compétitivité d’un coté, qui commence à être versé et que les entreprises découvrent et ne refusent pas, puis l’allègement des charges de l’autre, à partir du 1er janvier 2015 ou 2016, va forcément provoquer un impact positif sur l’emploi et notamment l’emploi des jeunes. Mais quand ? C’est mille fois plus intelligent que les emplois d’avenir ou les emplois aidés, qui disparaissent quand l’aide est suspendue.

Financement et délai

Jacques Bichot : L'endettement de la France et le déficit de ses finances publiques sont excessifs. Supprimer des rentrées, c'est accroître les économies à réaliser pour aller vers une amélioration de ces finances publiques. Or nous le voyons depuis longtemps : nos dirigeants, de droite comme de gauche, sont très malhabiles quand il s'agit de dépenser moins sans pour autant diminuer l'efficience déjà insuffisante de nos services publics. En conséquence, les réductions de cotisations sociales déboucheront sur une moindre réduction du déficit, ou sur la création de nouveaux prélèvements. Ces derniers seront-ils moins nocifs que les cotisations ? En dehors de la TVA, on ne voit pas quel impôt pourrait ne provoquer que des dommages raisonnables. Mais il n'entre probablement pas dans la perspective de la majorité actuelle d'aller au-delà des augmentations de TVA déjà réalisées.

Gérard Thoris : La course contre la montre dans laquelle s’engage Manuel Valls repose sur l’idée que les allègements de charges vont débloquer les décisions d’investissement. Celles-ci vont entraîner embauche et croissance et donc recettes fiscales. Mais comment des entreprises laminées par la pluie de taxes qui s’est abattue sur elles depuis au moins trois ans peuvent-elles avancer les fonds propres qui servent de caution aux banquiers ?

Or, la socialisation des charges sociales équivaut en pratique à un transfert d’une catégorie de salariés sur les contribuables. Cependant, aujourd’hui, les contribuables ne veulent plus payer davantage d’impôts. C’est donc la dette publique qui augmente. En négociant à Bruxelles un report du calendrier d’équilibrage budgétaire, nos ministres de l’Economie et des Finances ont certainement envisagé une négociation avec les principales banques qui acceptent de financer une dette publique croissante. 

Christophe Boucher : Il s’agit surtout de clarifier l’ensemble du dispositif entre le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), entré en vigueur en janvier 2013, le pacte de responsabilité annoncé il y a quelques semaines et les exonérations générales de cotisations des employeurs déjà en place pour les salaires au-dessous de 1,6 smic. Trois dispositifs publics différents coexistent pour atteindre un objectif unique, réduire le niveau global du coût du travail.

Philippe Crevel : Il y a une règle simple : toute exonération de charges sociales doit être compensée. Cette compensation est d’autant plus logique que les régimes sociaux sont en déficit. Les partenaires sociaux viennent d’approuver un accord durcissant l’accès à l’indemnisation chômage afin de réduire le déficit. La suppression de toutes les charges sociales au niveau du smic nécessitera des compensations à tous les régimes sociaux concernés ce qui devrait se traduire par un grand jeu de bonneteau.

Jean-Marc Sylvestre :Le problème de cette mesure c’est qu’elle ne touche pas les jeunes cadres ceux qui, en sortant de leur école d’ingénieurs espèrent gagner 3000 euros par mois. Ce sont eux l’avenir de ce pays. Ce sont eux qui créent de la valeur et qui consomment. Ce sont eux qui partent à l’étranger par milliers, au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie. Ils partent pour travailler ou créer des entreprises. Le problème, c’est aussi le calendrier trop flou, trop éloigné de la cible. Quant au financement ? Le mystère !

>>> Allègement de la fiscalité des ménages les plus modestes : 5 milliards de réduction d'impôts en 2017 (pacte de solidarité) <<<

Efficacité

Jacques Bichot :C'est une mesure purement démagogique, destinée à redorer le blason du PS auprès d'une partie de l'électorat qui a bien compris qu'il représente la gauche caviar, et à s'assurer si possible la neutralité de l'extrême gauche. Ce dont la France qui souffre de la situation actuelle a besoin, c'est de créations d'emplois et d'accompagnement efficace pour accéder aux postes qui ne trouvent pas preneurs. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dit que chacun, donc aussi les gens modestes, doit participer, "selon ses capacités" aux dépenses publiques ; c'est une question de dignité. L'assistance fiscale est la preuve du mépris des dirigeants pour les Français modestes.

Gérard Thoris : Pour répondre à cette question, il faut savoir comment ces sommes seront redistribuées et comment elles seront financées. Evidemment, l’hypothèse de base est que les plus modestes vont consommer immédiatement ces sommes et que cela va contribuer à relancer la demande. On ne peut exclure néanmoins qu’elles ne contribuent à diminuer l’offre de travail si elles viennent perturber les calculs de droits aux allocations diverses et variées. Par ailleurs, il faut savoir à quoi ces sommes seront utilisées. S’il s’agit de biens ou services importés, c’est un classique, cela ne sert qu’à stimuler les importations. Dans tous les cas, la modestie de la somme (5 milliards d'euros) en fait davantage un symbole qu’un instrument de relance.

Christophe Boucher : Manuel Valls a annoncé un allègement de la fiscalité sur les ménages modestes, et  en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l'impôt sur le revenu ces dernières années. L’objectif est ici plus social en revenant sur les augmentations d’impôts pour  les bas salaires nouvellement imposés.

Philippe Crevel : L’objectif est de redonner du pouvoir d’achat. 500 euros par an a été avancé par le Premier ministre. Sur le papier, c’est intéressant et cela peut favoriser la consommation qui est, depuis des mois, étalée.


Financement et délai

Jacques Bichot : La réponse est la même que précédemment : toute rentrée en moins doit être compensée par de nouveaux impôts ou par des économies ; or nous ne savons faire ni de bons impôts, ni des économies intelligentes. On voit déjà nos soldats aller au Mali ou en Centrafrique avec du matériel à bout de souffle, et en nombre très insuffisant par rapport à leur mission, parce que la "grande muette" est la victime numéro un des coupes budgétaires. Si Manuel Valls veut vraiment accentuer encore la paupérisation de notre armée, de notre justice, de nos centres de détention, de nos services de suivi et de réhabilitation des délinquants, de notre police, etc., qu'il le dise carrément !

Gérard Thoris : Si cet assouplissement fiscal a pour contrepartie un durcissement fiscal pour les classes moyennes, il est évident que l’effet global de la mesure est nul. En réalité, comme on aura rendu le système fiscal encore plus illisible, il est vraisemblablement négatif car démoralisant pour ceux qui 1/ ne bénéficient pas de l’allègement des charges salariales ; 2/ ne bénéficient pas de l’allègement fiscal !

Christophe Boucher : Pour le moment cette annonce s’est réalisée sans en détailler les modalités mais pour un montant équivalant à trois milliards d'euros.

Philippe Crevel : Les questions sont  toujours les mêmes, comment finançons-nous cette mesure ? Quelle compensation pour les régimes sociaux ? La CSG sera augmentée ? Les prestations sociales seront-elles plafonnées en fonction du revenu ? Il faudra trouver des solutions…

>>> Ramener le taux normal de l'impôt sur les sociétés à 28% d'ici 2020 avec une étape intermédiaire en 2016 (pacte de responsabilité) <<<

Efficacité

Jacques Bichot :C'est malheureusement nécessaire pour l'attractivité de la France : les pays se livrent à une compétition fiscale pour attirer les entreprises, et la France n'est pas en bonne position. Si nous pouvions obtenir à l'échelle planétaire un taux élevé d'impôt sur les sociétés (IS), 40 % ou 50 %, ce serait excellent pour l'économie, car l'impôt sur les sociétés joue un rôle d'amortisseur des aléas conjoncturels (les entreprises doivent dégager une marge brute d'autant plus importante que l'impôt sur les sociétés est à un taux plus élevé, et cette marge est un coussin de sécurité, une sorte d'air-bag en cas d'accident). Malheureusement, une telle perspective n'est qu'un rêve, on ne peut pas espérer un accord international sur les taux de l'IS dans un avenir prévisible, donc nous sommes obligés, pour que les sociétés viennent ou restent en France, de jouer à ce "jeu de cons" consistant à réduire le taux de l'IS. 

Gérard Thoris : Une diminution de l’IS est certainement bienvenue pour les entreprises qui dégagent des profits. Mais on devrait savoir que le calcul de l’assiette est au moins aussi important que le taux. Ainsi, le taux effectif est bien différent du taux nominal. Par ailleurs, l’IS n’est que l’une des multiples formes d’imposition qui frappe les entreprises. Il faudrait ici reprendre la liste des mesures fiscales qui se sont accumulées dans les douze mois qui ont encadré l’élection de François Hollande. 

Philippe Crevel : Le taux d’impôt sur le sociétés est d’environ 37 % en France soit de 7 à 8 points au-dessus la moyenne européenne. En contrepartie, l’assiette est plus étroite que chez nos partenaires. Néanmoins, les investisseurs regardent la valeur du taux et non le montant de l’impôt à payer. Pour améliorer l’attractivité de la France, il est important de revenir dans la moyenne. Un taux à 28 % constitue une bonne mesure qui pourrait atténuer les signaux négatifs adressés aux entreprises étrangères ces dernières années. Le Royaume-Uni et d’autres pays ont réduit leur taux d’impôt sur les sociétés afin de faire repartir l’investissement. Cela a été plutôt efficace.

Jean-Marc Sylvestre :La baisse du taux normal de l’IS, la réduction de la C3S puis de sa suppression, la suppression des impôts à faible rendement, personne ne s’y opposera. Il s’agit de baisser le taux global des prélèvements qui pèsent et freinent l’activité. Le problème, une fois de plus, c’est le calendrier. Avant que les mesures soient votées et appliquées, d'autres gouvernements pourraient revenir dessus. Ces mesures ne sont pas plus financées que les autres. En termes macroéconomiques, elles en arrivent à soutenir une demande qui profitera aux industriels étrangers.

Financement et délai

Jacques Bichot : Cette mesure ne coûtera peut-être pas très cher en comparaison des effets positifs qu'elle aura sur la localisation des entreprises… et sur celle des bénéfices des plus grandes d'entre elles, qui peuvent faire apparaître leurs profits dans tel pays plutôt que tel autre si elles y trouvent un avantage fiscal. Quand vous avez des filiales dans des pays où l'IS est modeste, vous allez évidemment faire facturer au prix fort les fournitures de ces filiales à leurs homologues françaises : celle-ci aura des bénéfices restreints, lourdement imposés. Une réduction du taux français de l'IS conduira probablement X-Ireland et X-Deutschland  à facturer moins lourdement X-France, qui sera donc davantage bénéficiaire, et paiera de ce fait des impôts sur un montant plus élevé.

Christophe Boucher : Le Premier ministre affirme en effet vouloir supprimer dès 2016 la surtaxe "exceptionnelle" de l'impôt sur les sociétés instaurée par le gouvernement Fillon et maintenue par celui de M. Ayrault. Manuel Valls dit vouloir abaisser le taux normal de l'IS (33,33 %) à 28 % en 2020 avec une première étape en 2017. Cette mesure est curieuse. En France, le paradoxe est que nous avons un impôt sur les sociétés qui est plus élevé que les autres pays, mais qui  a une assiette étroite et limitée, ce qui fait que le rendement est faible. Du fait de la multiplication des régimes particuliers d'imposition, le taux effectif n'est que de 13 % par exemple pour les entreprises de plus de 2 000 employés.

La réforme de l’IS aurait pu être plus ambitieuse en cherchant à lui attribuer un rôle incitatif fort tel que la modulation du taux de l’IS selon que les bénéfices sont réinvestis ou redistribués par exemple. L’idée serait ainsi de favoriser l’investissement des entreprises.

Philippe Crevel :Le gouvernement pourra être incité d’élargir l’assiette au nom de l’harmonisation européenne afin de réduire le coût brut  de cette mesure qui pourrait se chiffrer à environ 4 milliards d’euros. Il y aura évidemment des compensations…

Jean-Marc Sylvestre : Une véritable politique d’offre aurait ciblé ses outils sur l’innovation, l’investissement et son financement, sur la liberté d’initiative et sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise. Le programme Valls ne dit rien sur la rémunération des cadres, sur la participation ou l’intéressement et même sur les stocks options. L’activité économique repartirait si les chefs d’entreprise avaient intérêt à ce qu’elle reparte. Rien dans le dispositif fiscal ou social ne donne de la liberté aux chefs d’entreprise. Le Code du travail, pléthorique et asphyxiant, n’est pas touché.

>>> Réduction de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) avant sa suppression en 2017 (pacte de responsabilité) <<<

Efficacité

Jacques Bichot :La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est une taxe sur le chiffre d'affaires, ce qui est incongru puisque la TVA a été instaurée pour remplacer ce genre d'impôt qui fonctionne "en cascade" : si la matière première passe par 5 entreprises au lieu de 2 ou 3 avant de devenir un produit fini, la C3S prélevée est plus forte, ce qui constitue un obstacle à la division du travail, source de productivité. La suppression de la C3S est donc en soi une bonne chose. Il ne s'agit cependant pas d'une réforme très urgente : priver la sécurité sociale des quelque 5 milliards que produit cette taxe va évidemment poser des problèmes.

Christophe Boucher : Cette proposition est directement tirée des groupes de travail constitués lors des Assises de la fiscalité des entreprises, lancées le 29 janvier par le premier ministre Jean-Marc Ayrault. Un des groupes de travail suggérait de supprimer en priorité les impôts pesant sur le chiffre d'affaires, et en premier lieu la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) acquittée par les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 760 000 euros. Manuel Valls a annoncé une réduction des impôts pesant sur la production des entreprises en promettant la suppression en trois ans de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), payée par environ 300 000 entreprises, ce qui représente un coût de 6 milliards d'euros. Cette mesure était déjà examinée par le précédent gouvernement avec l’idée de remplacer le C3S par un nouveau prélèvement s'appliquant à l'excédent brut d'exploitation de façon à moins pénaliser les petites entreprises.

Pour le moment, le nouveau Premier ministre ne s’est pas prononcé sur des ressources alternatives.

Philippe Crevel : La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) est due par les entreprises réalisant un chiffre d'affaires d'au moins 760 000 euros. Elle finance le régime de protection sociale des travailleurs indépendants (artisans, commerçants, exploitants agricoles, etc.). Il y a également la contribution additionnelle, prélevée en complément, contribue au financement du Fonds de Solidarité Vieillesse. Il y en a pour 6 milliards d’euros. Cette contribution assez impopulaire constitue un coût élevé pour les entrepreneurs. Sa suppression aurait un effet assez positif.

Financement et délai

Jacques Bichot : Et on en revient toujours à la même question : est-ce vraiment le moment de diminuer puis supprimer une taxe qui rentre assez bien ? La C3S est un mauvais impôt, mais nous ne sommes pas en situation de faire la fine bouche, et le remplacer par une autre taxe, compte tenu du caractère perturbateur des changements incessants, ne sera sans doute guère profitable pour la croissance et l'emploi.

Philippe Crevel : La question clef, c’est comment financer le Régime social des indépendants et le FSV. C’est la retraite qui est en jeu !

>>> 50 milliards d'euros d'économie d'ici 2017 <<<

19 milliards d'euros d'efforts pour l'Etat et ses agences, 10 milliards pour l'assurance maladie, 10 milliards sur les collectivités locales, 11 milliards assurés par "une plus grande justice, une mise en cohérence et une meilleure lisibilité de notre système de prestations".

Efficacité

Jacques Bichot :C'est clairement sur ce point que l'on attend Manuel Valls, comme on attendait son prédécesseur et le président de la République. Jusqu'à présent ces 50 milliards étaient une sorte de mythe, une incantation. Le loup va-t-il enfin sortir du bois ? Un certain scepticisme s'impose, en raison de la méthode utilisée, qui est du tipe "top-down", c'est-à-dire parachutée de l'Élysée, Matignon et Bercy. Le principe de subsidiarité nous indique que les problèmes sont souvent mieux traités au plus près du terrain que par les états-majors. Une discussion avec Alain Madelin quelque temps après son départ de Bercy me revient à la mémoire : ce ministre avait demandé à ses chefs de service s'ils troqueraient une diminution de leurs budgets de fournitures contre la liberté de commander ce qui est utile sans passer par la procédure effroyable des commandes groupées réalisées après appel d'offres. En moyenne, ces hauts fonctionnaires étaient prêts à sacrifier 20 % de leur budget pour disposer de la liberté de commander ce dont leurs subordonnés avaient vraiment besoin, plutôt que de ce qu'un service central décidait à leur place. Voilà comment se font de bonnes économies, en responsabilisant les fonctionnaires à tous les échelons plutôt qu'en édictant des arrêtés ou décrets de restrictions de crédits sans aucun changement dans la manière de faire. J'ai hélas peur que ce ne soit pas la voie adoptée.

Le cas des économies envisagées concernant l'assurance maladie confirme ce diagnostic. L'étatisation de la sécurité sociale s'est traduite par la création d'une fonction publique hospitalière, ce qui explique une part importante du coût excessif de l'hôpital public. Il ne faut hélas pas compter sur un gouvernement socialiste, pas plus que sur la droite étatiste, pour s'attaquer à ce problème. Mais il y a une autre cause, très importante elle aussi : le fait que les hôpitaux obéissent aux ARS, les agences régionales de santé, elles-mêmes soumises aux directives du ministère. On est en plein dans un fonctionnement "top-down" qui décourage les responsables locaux, conforte les comportements les plus bureaucratiques, exige la mise en œuvre d'idées hurluberlues devenues à la mode dans un petit cénacle parisien. Passer à un modèle "bottom–up" permettrait certainement des gains de productivité considérables, mais cela correspond à une logique gestionnaire sans rapport avec la logique budgétaire qui va probablement être retenue.

Le cas des collectivités locales est encore plus important que celui de l'assurance maladie, à la fois par les montants en cause (environ 220 milliards) et par la qualité déplorable de la gestion de la majorité des collectivités, qui a notamment provoqué une inflation formidable de personnel. La cause principale de cet état de choses est probablement le financement des collectivités par des dotations budgétaires : la responsabilisation des édiles locaux passe par l'obligation de faire payer aux habitants et aux entreprises le juste prix des services qui leur sont rendus. Tant qu'il s'agira de défendre les intérêts communaux, départementaux ou régionaux à Paris plutôt que de prélever auprès des électeurs des impôts sur l'usage desquels ils demanderont des comptes, la gabegie perdurera. En dehors des embauches excessives, un exemple frappant est fourni par les emprunts dits "toxiques" qui ont été contractés en assez grande quantité auprès de banques peu scrupuleuses : que ni leurs responsables administratifs, ni leurs responsables élus, n'aient été vigilants, est symptomatique du laisser-aller qui régnait dans les collectivités concernées. Quand on a vraiment à faire payer ses administrés, au lieu de se glorifier de son habileté à soutirer des sous à Bercy ou à utiliser des financements "innovants", le comportement est différent.

Bref, pour réussir à faire mieux fonctionner les services publics avec moins d'argent, il faudrait un changement de stratégie s'apparentant à une révolution. Il est à craindre que la mentalité bureaucratique dans laquelle sont englués  beaucoup trop de nos dirigeants ne permettent pas d'aller dans ce sens. Nous allons probablement avoir une fois de plus une logique comptable plutôt que gestionnaire, qui n'atteindra pas les objectifs.

Gérard Thoris : Il est évident que les économies budgétaires sont aujourd’hui l’unique voie qui subsiste pour retrouver l’équilibre budgétaire. On a vu à l’automne que le consentement à l’impôt avait atteint ses limites et il est peu vraisemblable qu’on puisse encore beaucoup jouer avec l’opinion publique sur ce sujet. 

Philippe Crevel : Compte tenu du programme d’allègement des charges, pour atteindre les 3 % de déficit public, il faudra plutôt 80 que 50 milliards d’euros d’économies. Dans les faits, tous les pays qui ont réussi à assainir leurs finances publiques l’ont fait par des économies de dépenses. 

Jean-Marc Sylvestre : Le programme d’économie de 50 milliards n’est pas acté. On n’a pas cessé de nous en parler depuis un mois, et puis rien. Le Premier ministre n’a donné aucune information qu’on ne savait pas déjà. Par conséquent, ce programme ne suffira pas. La meilleure preuve, c’est que Manuel Valls n’a pas exclu de demander une renégociation des engagements budgétaires à Bruxelles. Cette petite phrase est une marque d’honnêteté, mais c’est aussi le signe qu' il n’y arrivera pas. La France va se retrouver bien seule. L’Italie ne l’appuiera pas, contrairement à ce que croyaient certains socialistes. L’Italie s’est débrouillée autrement.

Financement et délai

Gérard Thoris : Pour y arriver, il faut accepter des réformes de structure dans l’ensemble des administrations publiques. A juste titre, le Premier ministre demande des efforts aux trois administrations, centrale, territoriale et de sécurité sociale. Reste qu’il est impossible d’y arriver dans les structures existantes et qu’aucune réforme un peu sensible n’a été faite dans ce sens. Si la Révision générale des politiques publiques a été considérée comme brutale, elle a permis d’économiser 28 milliards d’euros le temps d’un quinquennat. Il faut doubler la mise en la moitié de temps. Or, on ne fait rien contre les hommes ! 

Philippe Crevel : C’est un peu mission impossible. La France n’a pas la culture de l’économie budgétaire. En outre, tous les comptes sont dans le rouge. Il y a le feu au lac. Il faut colmater sachant que les investissements ont été réduits au maximum au niveau de l’assurance-maladie. Par ailleurs, du fait du vieillissement de la population, assurance-maladie et assurance-vieillesse ont une tendance naturelle à croître. Avec un chômage à 10 %, il y a peu d’économies à attendre sur l’indemnisation chômage. Le Gouvernement doit s’engager dans des réformes de structure pour tailler dans le vif et redistribuer les compétences. Au niveau des collectivités locales, la réduction des dotations risque de se traduire par une hausse des impôts locaux. Au niveau des prestations sociales, le plafonnement en fonction du revenu modifie en profondeur notre système d’Etat providence qui sera moins assurantielle.

>>> Suppression des impôts à faible rendement <<<

Efficacité

Jacques Bichot :Beaucoup de tels impôts ont été repérés, et leur suppression est souhaitable, surtout celle de ceux qui sont les plus onéreux à recouvrer et les plus ennuyeux à calculer pour les contribuables.

Gérard Thoris : Il semble bien que l’un des impôts au rendement le plus faible est l’impôt de solidarité sur la fortune. Il est même l’un de facteurs les plus importants d’un exode fiscal constant depuis une génération. Alors, on a envie de dire : "chiche" !

Philippe Crevel : Evidemment, la France compte des centaines de petites taxes, contributions, impôts à faibles rendements et à embêtement maximum. La suppression est facile sur le papier mais un peu plus dur à organiser car ces impôts financent des agences, des chambres de commerce, des chambres de métiers, le mille-feuille administratif français et derrière chaque taxe, il y a un loup prêt à défendre sa pitance.

Financement et délai

On peut espérer que les économies réalisables au niveau de l'administration fiscale compenseront une bonne partie de la diminution de recettes ; de plus, si les économies effectives sont inférieures aux attentes, cela ne concernera que de faibles montants, donc c'est un risque que l'on peut prendre.

Christophe Boucher : Il s’agit d’une autre proposition tirée des Assises de la fiscalité des entreprises  qui consistait en la réduction du nombre de taxes à faible rendement, afin de les ramener à "quelques dizaines", contre 179 aujourd'hui. Ces taxes rapportent chacune moins de 100 millions d'euros par an mais leur poids total est de 3,5 milliards d'euros. L’objectif de cette mesure consiste à accroître la lisibilité du système fiscal et à le simplifier.

La réalisation de 50 milliards d'économie d'ici 2017 : 19 milliards d'efforts pour l'Etat et ses agences, 10 milliards d'efforts pour l'assurance maladie, 10 milliards sur les collectivités locales, le reste n'est pas précisé (à ce titre la promesse d'une baisse de 10 milliards sur l'assurance maladie est très intéressante : qui va payer sachant qu'elle doit être faîte en deux ans et que les cotisations salariales ne la financeront plus). Pour le moment, le premier ministre Manuel Valls n’a livré que le "bon côté" de sa réforme fiscale en présentant les baisses d’impôts à destination des entreprises et principalement des bas salaires. Il est resté bien plus discret sur la réalisation des 50 milliards d’économie. La réduction du mille-feuille territorial était attendue car il s’agit d’une mesure relativement consensuelle et assez populaire. Il reste à examiner toutefois les modalités de ce processus.

Il est indispensable parallèlement d’aller négocier un report de la contrainte budgétaire à Berlin et Bruxelles. Sinon, les entreprises et les ménages vont rapidement comprendre que cette baisse de la fiscalité va se traduire par une augmentation plus tard d’autres formes d’impositions telles qu’une TVA sociale ou une CSG modifiée. Le premier ministre fait le pari que ce choc associé à de légères meilleures perspectives de croissance pour la France dans les années qui viennent se traduira in fine par davantage de recettes fiscales grâce à une activité améliorée. De manière générale, le premier ministre a énuméré un programme qui éloigne la France de l'objectif de diminution des déficits publics en deçà de 3 % du produit intérieur brut en 2015. Mais la pression sur le gouvernement est bien davantage institutionnelle (avec  la commission européenne) que liée aux marchés financiers. A partir du moment où le cap est clair et la réduction des déficits engagée, les marchés financiers peuvent s’avérer bien plus patient car ils ont compris que davantage d’austérité en période de conjoncture basse s’avérait contre–productif.

Philippe Crevel : Il faut en parallèle rationaliser l’organisation administrative du pays, supprimer des agences, regrouper des services et transférer au privé certaines activités.


Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"


En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !