Dépôts de bilan : ce qu'il faut faire avant qu'il ne soit trop tard <!-- --> | Atlantico.fr
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Entretien avec Eric Etienne-Martin, administrateur judiciaire.
Entretien avec Eric Etienne-Martin, administrateur judiciaire.
©Flickr/Victor1558

Bonnes feuilles

Dépôt de bilan, liquidation, redressement judiciaire, faillite... Voici autant de mots et de termes qui font peur à tout entrepreneur, car ils signifient la reprise, la liquidation ou la fin d'une histoire, d'un rêve, d'une entreprise. Mais quelles réalités recouvrent réellement ces mots ? Extrait de "Entrepreneurs sur le pont", de Renaud Leblond et Margherita Nasi, aux éditions First (2/2).

Entretien avec Eric Etienne-Martin, administrateur judiciaire.

Parfois, à lire les journaux, la relation est moins pacifique…

Il nous arrive même de la subir physiquement. En 2007, je suis désigné liquidateur d’une entreprise du secteur automobile. Un dossier très sensible. Dès la décision de liquidation judiciaire prononcée, je me rends sur place avec une collaboratrice qui s’est portée volontaire. Pour rejoindre l’entreprise, nous devons traverser un pont. Très vite nous sommes bloqués par des dizaines de salariés en colère. Pendant deux heures, ils nous bombardent d’injures. Je finis par leur expliquer qu’ils doivent être licenciés en temps et en heure pour être payés par le régime de garantie des salariés (AGS). Bref que je suis là aussi pour protéger leurs intérêts. Ils fi nissent par nous laisser rentrer, tout en nous menaçant : « Vous ne sortirez pas d’ici ! » Toutes les portes sont bloquées par des monte-charge. Vers 11 heures du soir, ils nous libèrent enfi n. Pendant deux mois, l’usine est occupée. J’y passe tous les jours en essayant d’instaurer une relation de confi ance. Je leur dis : « Occupez si vous voulez, mais en cas de pépin dans l’usine, je suis le seul responsable. Si une machine tombe sur un enfant, c’est ma responsabilité qui est engagée. » Ils m’entendent, mettent des barrières devant les machines, organisent un circuit pour que les politiques puissent visiter les locaux sans accéder à l’outil de production. Puis l’occupation prend fin. C’est un grand moment pour le professionnel que je suis. À ma grande surprise, les employés me proposent d’aller casser la croûte avec eux. Après des mois de confl it, on se retrouve autour d’un verre. Rentré chez moi, je m’aff ale dans un fauteuil en me disant que je fais quand même un drôle de métier.

Reste la troisième catégorie de mécontents, ceux que vous appelez les « oubliés de la procédure ». Pourquoi ?

C’est déjà la loi qui fixe un ordre de priorité. L’objectif des procédures collectives, c’est d’abord la sauvegarde des entreprises, ensuite la sauvegarde de l’emploi, et enfin l’intérêt des créanciers. Ces derniers sont souvent sacrifiés. Qui sont-ils ? Les créanciers publics bien sûr, comme l’Urssaf ou le Trésor public, mais aussi d’autres chefs d’entreprise qui, eux-mêmes, vont être mis en difficulté par l’impayé ou le non-paiement de la créance qui leur est due. On parle toujours des salariés, mais beaucoup plus rarement de la petite entreprise de nettoyage qui risque de fermer suite au dépôt de bilan d’un client important. Perdu dans la masse, le créancier fait difficilement entendre sa voix.

Autre question, tout aussi délicate : l’inégalité entre petites et grosses entreprises. Une grosse entreprise et ses salariés peuvent monter au créneau et réclamer des primes, des subventions et aides diverses. Une plus petite structure n’aura jamais la même chance. Les salariés de ces petites entreprises, pourtant, sont des gens avertis. Ils lisent la presse. Ils savent que d’autres entreprises ont pu obtenir des avantages. Légitimement, ils se posent des questions, se révoltent.

Comment, selon vous, vaincre les réticences des chefs d’entreprise face aux différentes procédures collectives ?

Déjà en leur disant que chercher de l ’aide auprès du tribunal, solliciter une sauvegarde, un redressement judiciaire, ce n’est pas, à proprement parler, déposer le bilan. Le recours au tribunal est peut-être la dernière chance, mais c’est une chance. Il faut désacraliser la relation que les dirigeants ont avec la juridiction. La procédure collective doit être considérée comme un acte de gestion pur et dur. Il y a quelques années, le gérant d’une entreprise de papier à musique est venu me voir après avoir terminé un plan de continuation. Comme son entreprise connaissait de nouvelles diffi cultés, il voulait, pour réétaler ses dettes, démarrer une procédure de redressement judiciaire. Ouvert en 2004, ce dossier prendra fi n, cette année, en 2014.

Le problème, c’est que beaucoup de dirigeants ont encore en tête cette notion de dépôt de bilan. Historiquement, le dépôt de bilan correspondait au dirigeant qui arrivait avec son bilan, le donnait au tribunal, et espérait alors que sa bonne foi soit retenue pour éviter d’aller en prison pour dettes. Aujourd’hui, on parle de déclaration de cessation des paiements, mais on utilise toujours ce terme dans le langage commun. Pour un dirigeant, c’est humiliant de dire qu’il va déposer le bilan. Il faut casser ce mythe. Faire attention à la sémantique. Je reçois beaucoup de dirigeants en quête de renseignements. Je leur donne mon avis sur des dossiers, de manière informelle, sans facturer la consultation. Parfois, quand ils n’ont jamais eu aff aire au tribunal, je leur dessine la salle d’audience. Pour qu’ils sachent à quoi s’attendre. Nous avons une justice rendue par des commerçants pour des commerçants mais cela ne suffi t pas à rassurer les chefs d’entreprise. Dans les salles des pas perdus, on trouve parfois cinquante dirigeants qui attendent debout ou assis par terre. Systématiquement, je serre la main de tout le monde. Il est important de saluer les gens, de les respecter. Même si ce ne sont pas mes dossiers. Je ne peux pas m’en empêcher.

Extrait de "Entrepreneurs sur le pont", de Renaud Leblond et Margherita Nasi, aux éditions First, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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