Peut-on repérer les menteurs par leur langage corporel ? Une nouvelle étude remet en cause toutes les convictions sur le sujet<!-- --> | Atlantico.fr
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Deux peluches de Pinocchio le menteur.
Deux peluches de Pinocchio le menteur.
©Reuters

Trucs et astuces

Quand il s’agit de détecter le mensonge, auparavant certains signes étaient à surveiller plus particulièrement : nervosité, anxiété, stress, tension nerveuse, attitude sur la défensive et inconfort étant parmi les plus communs. Jusqu'à ce qu'une nouvelle étude remette tout en question.

Stephen Bunard

Stephen Bunard

Stephen Bunard est coach pour dirigeant, synergologue (analyste du langage corporel) et conférencier. Il enseigne à l'ENA, à l'Université Paris-Dauphine et à l'INSEP. Il est conseiller à l'académie des Sciences du comportement, basée à Bruxelles. Il est régulièrement sollicité par les médias français et internationaux pour analyser les gestes de politiques, patrons et sportifs. Il est l'auteur du livre Leurs gestes disent tout haut ce qu'ils pensent tout bas aux Editions First. Toutes les informations le concernant sur son site : www.stephenbunard.com

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Un proverbe russe dit "mieux vaut une amère vérité qu'un doux mensonge". Georges Braque écrit dans son livre Le jour et la nuit, "la vérité existe; on n'invente que le mensonge". C'est une évidence : les hommes ont une tendance pathologique au mensonge. Dès lors comment reconnaître un menteur d'une personne honnête ? Cette question peut être posée dans de nombreuses situations. A la table d'un poker, lors d'un débat politique, au cours d'un procès… autant de situations où détecter un bonimenteur serait bien utile. A certains moments, les agents de sécurité des aéroports aussi auraient bien besoin de savoir s'ils ont en face d'eux un menteur ou une personne sincère. Notamment lorsqu'ils pensent avoir détecté un potentiel terroriste.

C'est pourquoi l'an dernier, selon le New York Times, la Transportation Security Administration (TSA) a dépensé près d'un milliard de dollars. Objectif avoué : former les agents de sécurité des aéroports à détecter les expressions du visage et autres indices qui permettraient de reconnaître un terroriste ou tout simplement un individu suspect. En effet, dans l'inconscient collectif, le mensonge se repère au regard fuyant ou aux gestes nerveux. "Il existe un élément de compréhension qui est de regarder le corps d'une personne", explique, au New York Times, Nicholas Epley, professeur en sciences du comportement à l'Université de Chicago. Et celui-ci de poursuivre : "Le corps possède un langage mais il nous parle seulement à voix basse." En clair, il est difficile de reconnaître un menteur.

Une analyse partagée par Stephen Bunard, synergologue et expert en communication non-verbale. "Détecter un menteur n'est pas si simple que cela. Sinon ce serait merveilleux" affirme-t-il en préambule. "C'est un travail de longue haleine car s'il existait des signes si évidents tout le monde arriverait à cerner un menteur. Cependant, il existe des signes par lesquels on arrive à savoir lorsqu'il y a un gros non-dit. Hélas chaque fois que quelqu'un ment, il ne les fait pas" observe Stephen Bunard.

C'est peut-être pour cela que récemment le Government Accountability Office (l'organisme du Congrès des États-Unis chargé de contrôler le budget fédéral) a recommandé d'abaisser les fonds alloués à la TSA. En effet, selon cet organisme, il n'y a aucune preuve de son efficacité. Ainsi, dans le New York Times, Maria Hartwig, psychologue au John Jay College of Criminal Justice à New York l'assure : "dire que les menteurs se trahissent par leur langage corporel semble être de plus en plus de la fiction". Toutefois, des chercheurs ont estimé que les meilleurs indices de tromperie sont verbaux : les bonimenteurs ont tendance à être moins ouverts et à raconter des histoires tellement énormes qu'elles ne sont plus convaincantes. Mais tout cela est si subtil qu'il est quasiment impossible de le discerner de manière fiable.

De plus, le New York Times explique que l'une des techniques enseignées aux agents des aéroports est de regarder le mouvement des yeux des personnes qu'ils ont en face d'eux. En effet, selon une théorie de "programmation neuro-linguistique", les personnes qui ont tendance à regarder en haut à droite mentiraient et ceux en haut à gauche diraient la vérité. Mais des psychologues britanniques et nord-américains ont testé cette théorie. Ces scientifiques sont catégoriques : il n'existe aucune possibilité de savoir qu'une personne ment ou dit la vérité seulement en observant la direction de ses yeux.

"Il n'existe pas de nez de Pinocchio, on ne peut pas repérer lorsqu'il y a tromperie" affirme de son côté Leanne ten Brinke, psychologue à l'Université de Californie, Berkeley. Elle et d'autres chercheurs soutiennent qu'il peut néanmoins être possible de détecter certains types de mensonges sur des "sujets importants".

Stephen Bunard avance de son côté qu'il existe tout de même "deux signes permettant de détecter un éventuel mensonge". "Prenez l'exemple de l'expert de Tchernobyl qui nous affirme que le nuage va s'arrêter à la frontière. On sait qu'il nous cache quelque chose car il a le majeur et le pouce rassemblés comme s'ils faisaient une pince alors que normalement ce sont l'index et le pouce qui sont rassemblés. Ce geste marque normalement la précision. Les hommes politiques le font souvent pour appuyer leur propos. Quand l'index est dissocié ou que c'est le majeur qui est collé au pouce, pour nous (les synergologues, ndlr) cela veut dire qu'il y a un gros non-dit."

Le synergologue explique que c'est ce même geste qui a prouvé que Jérôme Cahuzac n'était pas entièrement sincère. "Lorsqu'il s'est exprimé à l'Assemblée nationale, il a son index gauche qui frétille. Cela montre qu'il y a une partie de lui qui veut en dire plus". Ce spécialiste du langage corporel donne un autre exemple. "Il existe un point de micro démangeaison, de grattage, juste en-dessous de la narine gauche, cela trahit un mensonge. C'est comme cela qu'on a pu se rendre compte que Bill Clinton ne disait pas tout dans l'affaire Lewinsky. C'est un gros signe, cela allume un gyrophare." Mais Stephen Bunard insiste : "Chaque fois que l'on observe ces signes, on peut penser qu'il y a un gros non-dit. Mais, on ne les repère pas chaque fois que quelqu'un ment".

Le New York Times reprend une étude datant de l'an dernier. Des psychologues de l'Université de Colombie-Britannique ont mené une expérience en se basant sur un tableau d'expressions faciales et autres signes de stress ou d'incohérences à repérer lorsque que quelqu'un est ment. Ils ont analysé les plaidoiries de différentes personnes et ont réussi à identifier les menteurs à 80%. Un pourcentage impressionnant mais qui ne permet en rien d'être définitif. D'autres études, notamment menées lors d'interrogatoire de police, ont eu des résultats moins concluants. En effet, par exemple, la peur d'être accusé d'un crime peut pousser une personne innocente à être nerveux, à avoir le regard fuyant. Pour autant, ces personnes ne mentent pas.

"On ne sait pas dire si les gens mentent. Mais on sait qu'il existe des manières plus claires de dire les choses" répète Stephan Bunard. "Quand quelqu'un dit la vérité cela se voit clairement. Mais à partir du moment où on n'arrive pas à discerner l'authenticité, cela ne veut pas dire que l'on entre dans le cadre du mensonge. Les signes que l'on va repérer vont faire tilt dans notre tête, cela va nous mettre en alerte". Et le synergologue de prendre l'exemple de Lance Armstrong. "On savait depuis très longtemps qu'il mentait. En effet, en comparant les vidéos d'avant et pendant l'enquête, son comportement corporel n'est pas le même. En effet, accusé, il a tendance à beaucoup plus rentrer ses lèvres, ce qu'on appelle la bouche en huître. Ce signe indique que l'on ne dit pas tout".

Et le spécialiste de poursuivre : "Cette bouche en huître, on la retrouve chez François Hollande quand il parle de Julie Gayet. Pendant une heure et demi de conférence, il ne la fait pas mais quand on évoque le cas Gayet il en fait quatre." "Désormais les synergologues ne décryptent plus le mensonge sur des critères émotionnels mais cognitifs" assure Stephen Bunard. "En effet, parfois une personne qui dit la vérité sera plus nerveuse qu'une personne qui ment. Donc les émotions sont extrêmement difficiles à analyser. D'autant plus qu'elles peuvent être multiples et maîtrisées". Mais il nuance : "les gens qui maîtrisent leurs émotions, ne maîtrisent pas tout. En effet, ils vont avoir envie de se gratter, de bouger leur cou, de cligner les paupières, de faire des mouvements d'épaules, de bouche… C'est à ce moment là que l'on va savoir qu'ils cachent quelque chose".

Dans le New York Times, il est expliqué que l'administrateur de la TSA, John S. Pistole, a défendu son programme de détection par le langage corporel. Il estimait que grâce à celui-ci "les agents avaient identifié beaucoup plus de passagers à haut risque qu'avec une expertise aléatoire". Mais le rapport du Government Accountability Office a contesté la méthodologie derrière cette affirmation et l'a questionné sur le rapport cout-efficacité d'un tel programme. Il a ainsi été noté que moins de 1% des 30 000 passagers qui sont identifiés comme suspect ont finalement été arrêtés. De plus les infractions constatées (transport de drogue ou d'espèces non déclarées) n'étaient en aucun cas liées à un éventuel complot terroriste. "Arriver à lire les expressions des gens peut vous permettre de recueillir quelques informations, mais finalement vous en apprenez plus en les écoutant parler" assure le Dr Nicholas Epley.

Stephen Bunard aurait tendance à donner raison à la TSA : former les douaniers et autres agents d'aéroport est une bonne chose. Mais il faut aller plus loin. "En lisant les expressions du visage, cela permet déjà de recueillir certaines informations. Mais est-ce que la personne se gratte ? Est-ce qu'elle se caresse ? Est-ce que c'est le côté gauche ou droit ? En connaissant mieux les typologies de synergologie, le douanier au lieu d'arrêter 50 personnes au hasard en arrêtera 15 mais dont il sera certain à 95% qu'elles sont suspectes. Il aura augmenté ses chances car il aura un degré de détail plus profond dans l'observation". Mais Stephen Bunard nuance :'' Il n'existe pas de méthode infaillible". 

Propos recueillis par Maxime Ricard

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