Est-ce vraiment l'Allemagne qui paie ou sont-ce les Européens qui paient (parfois) pour l'Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel devant une carte de l'Europe
Angela Merkel devant une carte de l'Europe
©Reuters

Bonnes feuilles

Épuisés par la rigueur économique, de plus en plus défiants vis-à-vis de la construction européenne, les États ne comptent plus sur leurs dirigeants pour tâcher d’en infléchir le cours. Dès lors, ils pourraient bien être tentés d’y mettre un terme brutal, en recourant à des partis politiques pour lesquels "la Paix" est très loin d’être inscrite au frontispice de leur édifice programmatique. Extrait de "Europe, les États désunis", de Coralie Delaume, aux éditions Michalon (2/2).

Coralie Delaume

Coralie Delaume

Coralie Delaume est une blogueuse, journaliste et essayiste française. Elle est diplômée de l’Institut d'études politiques de Grenoble, elle devient ensuite journaliste et chroniqueuse pour plusieurs médias. Spécialiste de la gouvernance économique européenne, elle crée le blog L'arène nue en février 2011.

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Est-ce vraiment l’Allemagne qui paie ?…

Il est un préjugé fort répandu, qui consiste à croire que les exigences allemandes vis-à-vis de ses partenaires de la zone euro, son insistance à prôner rigueur et « réformes de structure » tiennent au fait que « c’est l’Allemagne qui paie ». Que paie-t-elle exactement ? On serait bien en peine de nous l’expliquer. Mais on nous l’assure : elle paie. Elle ne demanderait pas à ses voisins de se montrer plus économes si ces derniers ne lui coûtaient pas fort cher.

C’est raisonner à l’envers. Pour l’heure, l’Allemagne n’a pas payé grand-chose. Elle a accordé des prêts et en a garanti d’autres, ce qui pourrait finir, en cas de défaut de ses créanciers du Sud, par lui être coûteux. Mais dans l’immédiat, elle n’a mis que rarement la main au porte-monnaie. À l’inverse, elle a développé une faculté rare à déporter certains de ses coûts sur ses voisins. Jacques Attali – qu’on ne peut soupçonner d’être un dangereux nationaliste germanophobe – l’a parfois dit : « La réunification a été payée non par les Allemands mais par leurs partenaires. »

C’est évidemment exagéré et prouve s’il en était besoin que le jacquattalisme n’est pas un humanisme. Bien sûr, le processus d’intégration de l’ex-RDA a eu un coût pour l’Allemagne. Les Allemands tendent d’ailleurs à ne garder en mémoire que celui-ci, estimé à quelque 1500 milliards d’euros et financé par un impôt dédié, qui, d’ailleurs, existe toujours. Il a donc fallu, pour réunir les deux Allemagne, une solidarité sans faille de l’Ouest vis-à-vis de l’Est. Une solidarité dont le pays a su faire preuve pour son bien propre, mais dont on comprend qu’il soit peu désireux de faire bénéficier l’Europe entière. On peut d’ailleurs appréhender à cette aune ses réticences face à l’idée d’un fédéralisme budgétaire européen. Le gros effort allemand de transferts budgétaires a été réalisé une fois, au début des années 1990, dans le but d’unir un seul et même peuple. Même sous couvert de fédérer l’Europe et justement parce qu’il n’existe pas de peuple européen, les Allemands sont peu désireux de remettre le couvert.

… ou sont-ce les Européens qui paient (parfois) pour l’Allemagne ?

La réunification, toutefois, a eu quelques retombées économiques positives en Allemagne, cependant que les pays riverains n’héritaient quant à eux que des effets négatifs. La chute du mur a, par exemple, généré une hausse de la demande intérieure du pays. De celle, d’abord, des consommateurs est-allemands, favorisée par le taux de conversion de « un pour un » (un Ostmark pour un Deutschmark) choisi par le chancelier Kohl. De la demande, ensuite, liée aux investissements publics indispensables pour remettre à niveau l’ancienne RDA. Problème : ce processus de hausse de la consommation était porteur de germes inflationnistes, le comble de l’horreur pour la sévère Bundesbank. Celle-ci fit donc immédiatement grimper ses taux pour éviter la « surchauffe » de l’économie. Le reste de l’Europe, pour sa part, se trouvait dans une situation exactement inverse, confronté à un ralentissement de l’activité et à une inflation faible.Peu importe : la marche à l’euro avait déjà débuté. Elle nécessitait que les monnaies restent soudées les unes aux autres, ou, plutôt, que toutes restent arrimées au Deutschmark. Qu’à cela ne tienne : les Européens, France en tête, s’alignèrent sur l’Allemagne. Leurs taux d’intérêts atteignirent des sommets, provoquant un résultat sans appel. Le continent s’enfonça dans une récession qui fut la rançon, pour les partenaires de l’Allemagne, de l’unification de celle-ci.

Trente ans plus tard, il n’est toujours pas exact de dire que « c’est l’Allemagne qui paie ». Au contraire, elle est devenue le chef d’orchestre d’une zone monétaire qu’elle a organisée de manière à payer le moins possible. Les modalités de fonctionnement en vigueur dans la zone euro lui permettent en effet de se reposer sur le rôle répressif des marchés financiers, auxquels elle délègue le soin de convertir ses partenaires à la rigueur et à la parcimonie.

Pour satisfaire une Allemagne allergique à l’inflation, on a fait de l’eurozone un haut lieu de la stabilité des prix. Pour y parvenir, pour congédier tout ce que la création monétaire par les banques centrales et les prêts directs aux États sont supposés contenir de risques inflationnistes, on a érigé les marchés de capitaux au rang de seuls et uniques prêteurs de la zone, leur conférant par là même un rôle de gendarme. C’est à eux seuls qu’incombe, désormais, de décerner les bons ou les mauvais points. Ce sont eux qui fixent les taux d’intérêts, faibles ou élevés, auxquels les États se refinancent. Or en toute logique, pour les marchés de capitaux, un bon point n’est mérité que s’il profite… aux détenteurs de capitaux. Un pays fait-il preuve de trop « d’étatisme » ? Laisse-t-il filer ses dépenses au risque de créer du déficit public ? Un autre ose-t-il une politique jugée trop favorable au travail et omet-il de maîtriser le coût – toujours trop élevé – de celui-ci ? Aussitôt, c’est la sanction : les taux d’intérêts s’envolent et le récalcitrant peine à emprunter. Une logique disciplinaire d’une redoutable efficacité et qu’il suffit de laisser s’appliquer mécaniquement. Pendant ce temps, l’Allemagne, elle, s’occupe de récolter les fruits qu’a fait mûrir une monnaie unique conçue en fonction de ses propres besoins.

Ces fruits, les électeurs allemands les cueillent bien volontiers. Ils semblent reconnaissants à leurs gouvernants d’avoir régulièrement veillé à préserver leurs intérêts et en septembre 2013, ils ont ouvert à Angela Merkel les portes d’un troisième mandat à la chancellerie. Le pays s’offre ainsi une stabilité du pouvoir qui fait figure d’exception en Europe. Il faut dire que, durant sa campagne, la chancelière a pris soin d’éviter les sujets qui fâchent comme, par exemple, la perspective d’un troisième plan d’aide européen à la Grèce. Celui-ci est pourtant considéré comme probable voire inéluctable par de nombreux observateurs.

La candidate Merkel a préféré occulter cette évidence. Et pour cause : la crise des dettes souveraines et de l’euro a d’abord été l’occasion d’une formidable migration des risques et d’un transfert de ceux-ci des mains des acteurs privés – les banques et les fameux marchés – vers celles des acteurs publics – les États. Ainsi l’État allemand s’est-il engagé à hauteur de 190 milliards d’euros dans le Mécanisme européen de stabilité (MES). Sous forme de garanties essentiellement, mais qu’il pourrait avoir effectivement à débourser en cas de défaut de la Grèce, du Portugal ou de tout autre pays sous assistance. Et cette fois, pour de bon, l’Allemagne paierait. Mais la France aussi, qui garantit quant à elle 142 milliards d’euros. L’Italie de même, engagée pour 125 milliards, alors qu’on sait les difficultés de ce pays et le poids insupportable de sa propre dette…

Extrait de "Europe, les États désunis", de Coralie Delaume, aux éditions Michalon, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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