L'effet marketing : renoncer à des petits ruisseaux de dépenses peut-il nous mener à de grandes rivières d'économies ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / Une femme portant son café de Starbucks.
Photo d'illustration / Une femme portant son café de Starbucks.
©Reuters

Consommation de masse

Pourquoi préférer prendre un "latte" chez Starbucks plutôt qu'un simple café au comptoir ? Même dans un contexte économique défavorable, nous avons toujours tendance à dépenser "inutilement" de l'argent. C'est une question de bien-être matériel et psychologique.

Anthony  Mahé

Anthony Mahé

Anthony Mahé est sociologue à l'ObSoCo (Observatoire Société et Consommation). Il est spécialisé dans les domaines de l'imaginaire de la consommation et de la sociologie du quotidien. Il a réalisé une thèse de doctorat sur le recours à l’endettement bancaire à l'Université Paris-Descartes.

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Atlantico : Malgré la lente remise en cause de nos modes de consommation, de nombreux achats, de faibles sommes en général, ne génèrent en fait qu'une très faible satisfaction (grignotage, gadgets divers...). Qu'est-ce qui nous pousse encore à dépenser inutilement de la sorte ? 

Anthony Mahé : Le consommateur est tiraillé. D’un côté, il est porté par l’hédonisme, la recherche du plaisir, du confort matériel et psychologique et le rejet des contraintes. De l’autre côté il est aussi angoissé, il cherche de la rassurance, surtout dans un contexte économique morose. Ces deux aspirations sont en tension et cela se traduit par un hédonisme coupable. Cette culpabilité est en grande partie dictée par la Morale. Notre société, en particulier les élites, n’aime pas l’inutile, le superflu sauf lorsque c’est pour eux-mêmes. Les médias, les intellectuels, et même de nombreux consommateurs véhiculent un discours culpabilisateur sur les dépenses jugées inutiles. Chacun vient expliquer comment il faut gérer un budget, comment faire des économies et surtout rappeler qu’il faut faire des économies. Et pourtant on ne rate pas une occasion de célébrer le luxe et les paillettes à la moindre occasion (Festival de Cannes, Cérémonie des Césars, mariage de la princesse d’Angleterre, etc.). Nous sommes prisonniers de ces injonctions paradoxales : fascination et rejet.    

A-t-on une idée de la part approximative de notre revenu que nous consacrons à des dépenses très faiblement utiles ? Que gagnerions-nous en pouvoir d'achat – et en satisfaction – en dépensant moins souvent, mais que sur des achats très satisfaisants ?

Il est difficile de donner un chiffre compte tenu de la difficulté à définir ce qui est faiblement ou non utile. Nous savons en revanche que les dépenses dites de plaisirs, comprenant tout ce qui est communications (Internet, téléphone, etc.), hôtels, cafés, restaurants, loisirs et culture représentent un peu moins de 17% de la consommation totale des ménages. La réalité, c’est qu’on gagnerait en pouvoir d’achat si on arrivait à faire diminuer le poids des dépenses contraintes (pour le logement, les charges et la santé). C’est ce poste de dépense qui est aujourd’hui le plus contraignant et qui oblige à faire des arbitrages (plus de 32% de la consommation totale).

En termes de satisfaction, c’est loin d’être aussi simple. La notion d’utilité fait l’objet de nombreuses discussions chez les spécialistes. Il ne faudrait pas réduire cet aspect de la consommation à sa dimension purement économique. Certes, acheter un café au Starbucks à 4 euros n’est pas en soi « utile » et si à chaque fois qu’on avait envie d’un café au Starbucks on plaçait cet argent sur un livret d’épargne on finirait par amasser une somme intéressante. Mais on prend souvent ce café avec un ami ou un proche, une occasion de se retrouver dans un endroit convivial pour discuter, partager, faire du lien. Tout cela est codifié socialement. Ce sont des petits rituels du quotidien qui servent à générer des interactions. Il y a quelque chose d’éphémère mais de performatif dans ces attitudes et c’est cela qui nous pousse fondamentalement à les répéter. C’est structurant socialement.

Se retenir de dépenser pour de l'inutile ou de l'habituel, n'est-ce pas une vision rigoriste nous coupant des "petits plaisirs" ? Où s'arrête le petit plaisir – certes sans grand intérêt mais qui reste plaisant – et où commence la vraie inutilité ?

Cette question se pose depuis toujours en fait. Socrate expliquait déjà cette situation paradoxale qui consiste à admettre  que la sagesse, c’est finalement de posséder très peu, d’avoir le strict nécessaire et de faire en sorte que chacun autour de soi possède ce qui lui convient. Mais ce faisant, la vie devient ennuyeuse et misérable et par suite elle n’est plus celle d’un homme sage.

Cette réflexion philosophique résume assez bien cette ambivalence permanente qui tiraille notre rapport à la consommation.  A mon sens, il faut faire attention à cette tentative de rationalisation de l’existence qui ressemble plus à exercice de Morale qu’autre chose.  C’est un fantasme judéo-chrétien que de vouloir placer un curseur ce qui est utile et inutile. Tout comme celui de vouloir imposer le report de la jouissance. L’homme est pétri d’émotions et d’affects qui ont besoin de se diriger vers quelque chose, se s’exprimer au travers de quelque chose de matériel. On peut le nier mais la réalité est là : le désir de consommer est une constante.

Force de l'habitude, volonté de profiter de son argent... Comment ne plus sombrer dans ces dépenses multiples et sans grand intérêt ? Sur quoi faut-il baser le déclic pour optimiser sa consommation sans être dans la frustration permanente ?

On observe dans nos différentes études une certaine prise de conscience. Les gens ont envie de donner du sens à leur consommation. Il y a une véritable aspiration à consommer autrement. Consommer autant mais mieux.  Il ne s’agit pas du tout de décroissance, ni de rationalisation à outrance, ni de Morale de bon aloi. Nous sommes dans une société d’hyperconsommation, et tout tend à indiquer que nous allons y rester. En revanche, ce mouvement s’accompagne d’un élan qualitatif tout à fait intéressant. On voit émerger des pratiques comme la location d’objets de cuisine, de vêtements ou d’accessoires pour enfants comme la poussette (Pitchou’Net, Familib, etc.). Plutôt que d’acheter puis de stocker, de plus en plus de gens mettent à disposition du matériel dont ils n’ont pas toujours besoin tandis que d’autres personnes louent des objets dont ils n’auront besoin qu’occasionnellement. En ce sens, il y a également l’achat d’occasion et même le troc. Nous assistons à un mouvement de bascule de la possession à l’usage. Les plateformes Internet sont d’un grand soutien pour promouvoir ces formes de consommation collaboratives. Ainsi, c’est moins d’utilité dont il est question que d’ « effets utiles »[1]. Les parents n’ont pas forcément besoin de posséder une poussette, mais d’utiliser une poussette pendant une période donnée (idem pour les berceaux, etc.), c’est cela l’effet utile. Si ces pratiques ne sont qu’émergentes pour le moment, l’idée de privilégier l’usage sur la possession fait son chemin dans l’esprit des français.



[1] Moati Philippe, 2011, La nouvelle révolution commerciale, Paris, Odile Jacob.


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