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Le secret de l'instruction ne semble aujourd'hui plus qu'exister sur le papier.
Le secret de l'instruction ne semble aujourd'hui plus qu'exister sur le papier.
©Reuters

Mystère et boule de gomme

Mediapart a publié certains enregistrements de Nicolas Sarkozy effectués dans le cadre d'une enquête pour "trafic d'influence", dévoilée dix jours plus tôt par Le Monde, faisant fi du secret de l'instruction.

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico : Le site d'information Mediapart a dévoilé des enregistrements de Nicolas Sarkozy effectués dans le cadre d'une enquête pour "trafic d'influence". Dix jours plus tôt, c'était le Monde qui dévoilait l'existence de cette enquête. Le secret de l'instruction n'existe-t-il aujourd'hui plus que "sur le papier" ? Comment expliquer que plus personne ne craigne de l'enfreindre ?

Gérald Pandelon : Pour répondre à cette question, il convient, au préalable, de rappeler la législation en vigueur.

En effet, aux termes de l’article 11 du code de procédure pénale : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. » Il s’ensuit, qu’en théorie, toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel. Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

Autrement dit, tous les actes contenus dans les dossiers d'enquête et d'instruction d'une affaire pénale (les procès-verbaux d'audition, les rapports d'expertises, les enquêtes de personnalité...) sont couverts par le secret de l'instruction. Ce secret permet non seulement d’assurer la sécurité des témoins et des victimes et préserver l'efficacité des investigations en cours, qui risquerait d'être entachée par la diffusion de certaines pièces du dossier ; mais également, de garantir la présomption d'innocence et, partant, un procès équitable pour la personne mise en cause. Dans le cadre du secret de l'instruction, cela concerne "toute personne qui concourt à la procédure" et a donc eu accès à une information du dossier au titre de sa profession : bien évidemment les magistrats, mais également les officiers et agents de police judiciaire (OPJ et APJ), les greffiers, les interprètes ou les experts.

En revanche, d'autres catégories de personnes, également mêlées de près ou de loin à l'affaire judiciaire, ne sont en revanche pas tenues de respecter le secret de l'instruction car elles ne participent pas activement à la procédure :

  • Les personnes mises en examen, les témoins et les parties civiles, qui peuvent révéler à la presse, s'ils le souhaitent, les éléments du dossier portés à leur connaissance.
  • Les avocats, déjà soumis au secret professionnel qui leur impose de ne pas divulguer, sauf à leur client, des informations concernant la procédure.
  • Les journalistes, qui peuvent en revanche être poursuivis pour "recel de violation du secret de l'instruction" lorsqu'ils sont en possession de documents issus des dossiers.
  • Le Parquet, qui dispose de "fenêtres de publicité" : pour éviter la propagation d'informations incomplètes ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut décider de rendre publiques certaines informations tirées du dossier.

C’est ainsi qu’en pratique, le secret de l'instruction est nécessairement violé : la presse, et même certains membres du gouvernement, ont régulièrement accès à des éléments de procédures censées être secrètes et n'hésitent pas à les révéler au public. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Mediapart, pour des motifs que la raison ignore ou n’ignore pas, s’est considéré légitime en dévoilant les enregistrements. Par conséquent, si le procédé n’est pas réellement contraire aux textes, il demeure particulièrement choquant dans un système démocratique fondé sur le respect de la vie privée.

Tant qu'à être violé en permanence, pourquoi le secret de l'instruction ne serait-il pas tout simplement supprimé du Code de procédure pénale ? Pourquoi ne pas mettre fin à ce qui semble présenter toutes les caractéristiques d'une hypocrisie ?

Je pense que l’institution judiciaire ne souhaite pas supprimer le secret car il constitue la marque et l’attribut de son pouvoir ; un pouvoir qui, par essence, repose sur une relation inégalitaire entre des magistrats qui se considèrent, à tort ou à raison, comme omnipotents (le juge d’instruction n’était-il pas considéré comme l’ « homme le plus puissant » sous la IIIème République ?), et les non-magistrats, c’est-à-dire le reste de la population, susceptibles à tout moment, pour des raisons de pure légalité voire souvent d’opportunité, de faire l’objet de poursuites judiciaires. C’est en ce sens également qu’il faut comprendre le déséquilibre abyssal entre les pouvoirs dont disposent les juges et les avocats, une inégalité qu’aucun texte, en pratique, ne vient corriger.

D’ailleurs, c’est précisément pour préserver cette absence d’égalité des armes entre les parties que le principe du secret de l’instruction consiste à empêcher la recherche des preuves de l’innocence avant la clôture de l’information judiciaire. D’un côté, en effet, la vérité de l’instruction ne doit en rien être dévoilée mais, d’autre part, il est instamment requis de la personne mise en cause qu’elle révèle sa vérité ou la vérité. Par ailleurs, il n’aura échappé à personne que l’hypocrisie et le mensonge sont constitutifs du politique ; deux vices qui en constituent même le fondement. Au fond, et sur le plan ontologique, on pourrait même considérer que si le mensonge est consubstantiel au politique, les acteurs mentent-ils vraiment lorsqu’ils nous trompent délibérément ? Ou révèlent-ils, a posteriori, l’essence même de ce qui constitue la vérité du système ?

Que perd la justice à voir ainsi bafouer le secret de l'instruction ? De quoi est-il le garant ?

En premier lieu, il est possible de considérer que, dans l’affaire des écoutes présumées concernant l’ancien président de la République, l’actuelle majorité a tout intérêt, à quelques jours d’élections municipales qui ne devraient pas lui être favorables, de discréditer celui qui apparaît encore pour une majorité d’électeurs UMP comme le seul candidat susceptible de l’emporter dans trois années. N’oublions pas que tout pouvoir est par essence stratégique et que, par définition, non seulement gouverner c’est prévoir mais également que le pouvoir judiciaire se perçoit, consciemment ou pas, comme infaillible.

En second lieu, en bafouant le secret de l’instruction, l’institution judiciaire se substitue à l’hypothétique aveu que le mis en cause pourrait ultérieurement effectuer en anticipant, d’une certaine manière, la question réelle ou non de sa culpabilité puisqu’elle livre des éléments d’un dossier pénal à la presse. Or, au nom de la présomption d’innocence, la justice, comme toute institution humaine, devrait pouvoir admettre qu’elle puisse se tromper, ce qui ne la conduirait pas à entretenir plus généralement un tel penchant pour l’aveu extorqué. C’est la raison pour laquelle il est toujours aussi délicat pour l’appareil judiciaire de considérer comme préférable qu’un coupable soit en liberté plutôt qu’une personne considérée innocente incarcérée, non pas parce que, subjectivement, le magistrat ayant décidé d’une mesure privative de liberté tire une quelconque satisfaction de cette décision souvent lourde de conséquences mais parce que, sur un plan objectif, c’est l’institution qui éprouve des difficultés à intégrer l’erreur, au-delà des discours, comme un paramètre possible. Une attitude de refoulement de l’erreur liée également à la spécificité de la construction étatique en France qui s’est traduite par un fort centralisme administratif lequel a contribué à penser la puissance publique comme infaillible. Il existe par conséquent une résistance du côté de l’appareil judiciaire à dresser un inventaire de ses possibles erreurs car, inconsciemment ou non, il assimile son office à une mission quasi divine. Or, symboliquement, notamment dans la tradition chrétienne, Dieu ne peut pas se tromper car il est tout-puissant et détient la vérité. C’est ainsi que l’institution a intériorisé dans son schéma mental le rejet de l’erreur, et ce d’une manière quasi-phobique. Cette disposition de l’esprit permet qu’en l’absence d’aveux, le juge pénal s’arroge le droit de droit de placer une personne en détention sur le fondement d’une simple  intime conviction.

Dans le même temps, la relation ambiguë qui existe en France entre justice et politique peut-elle, dans certaines circonstances, justifier certaines violations du secret de l'instruction ? Dans le contexte français, ces violations peuvent-elles être considérées comme un rempart à des tentatives d'enterrement politique de certaines affaires ?

La question est de savoir quelle est la part d’un droit au savoir réclamé à juste titre, au nom d’une certaine transparence, à la fois par les électeurs et les médias et celui concernant les secrets opposés par leur dépositaire. Comment concilier, en effet, ces deux exigences contradictoires ?

L’article 226-13 du code pénal permet de punir d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire ». Il s’agit, en d’autres termes, de sanctionner la violation du secret professionnel. En réalité, il serait plus juste de parler des secrets professionnels, tant sont nombreux, et divers, les professionnels, précisés par la jurisprudence, auxquels la loi fait ainsi obligation de se taire. Mentionnons, sans souci d’exhaustivité, les médecins, les avocats, les notaires, les jurés, les banquiers, mais aussi, par exemple, les ministres du culte. A ce titre, le secret professionnel est très présent dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Mais c’est moins par les révélations intempestives, constitutives de l’infraction prévue par l’article 226-13 du code pénal, que par la délicate question de l’éventuelle levée du secret professionnel. Au fil d’une jurisprudence complexe, la chambre criminelle de la Cour de cassation détermine dans quelle mesure une personne dépositaire d’un secret professionnel est amenée à révéler celui-ci à la demande d’un tiers (particulier ou juge) ou bien, au contraire, est fondée à opposer le secret à celui qui en demande la levée, spécialement en vue de la manifestation de la vérité judiciaire. La jurisprudence récente rend compte de la tendance du droit positif en inclinant à davantage de transparence.

En réalité, les violations pourraient être considérées comme un rempart à des tentatives d'enterrement politique de certaines affaires si la révélation desdites affaires avait effectivement une influence sur le vote. Or, je crois les français trop intelligents pour qu’ils soient encore aujourd’hui influencés par ces dossiers dont la finalité n’est, à l’évidence, que politique. N’oublions pas que dans le champ politique, la seule condition d’une réelle légitimité n’est pas l’élection mais la ré-election…

Comment, dans ce contexte d'indépendance relative de la justice, trouver un équilibre qui soit davantage favorable au respect du secret de l'instruction ? Et comment s'assurer que cet équilibre soit respecté ?

Il m’apparaît urgent de couper le cordon ombilical entre le parquet et la Chancellerie, c’est dire le Garde des Sceaux. Il n’est pas sain que des magistrats du parquet soient inféodés au ministre de la Justice. Comment penser un seul instant qu’une quelconque indépendance pourra être préservée ? Je rappelle d’ailleurs à ce propos que dans deux arrêts (« MEDVEDYEV c/ France » et BRUSCO)[1], la CEDH a estimé que le procureur de la République n’était pas une autorité judiciaire au sens de la jurisprudence européenne en raison notamment de sa dépendance au pouvoir exécutif[2]. Toutefois, le Conseil constitutionnel a rendu une décision le 30 juillet 2010 dans le cadre d’un contrôle a posteriori de la loi rappelant que « l’autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du parquet » (consid. 26)[3]. C’est par conséquent l’organe de poursuite qui apprécie la culpabilité du prévenu dans un contexte paradoxal où il aura reconnu les faits reprochés, ce qui apparente curieusement le parquet aux prérogatives dont disposent les juridictions de jugement puisque le parquet dispose en réalité d’un réel pouvoir de jugement avant tout déclenchement de l’action publique ainsi que d’un pouvoir de sanction.



[1] Affaire BRUSCO c/ France (req. n° 1466/07), 14 octobre 2010, (arrêt devenu définitif le 14 janvier 2011), communiqué de presse du greffier de la CEDH, n° 742 14.10.2010.

[2] CEDH, 5ème section, 10 juillet 2008, Medvedyev et a. c/ France (req. n°3394/03).

[3] Cons.const. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010.

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