Toutes les leçons de l'étrange hiver 2014 pour notre futur climatique (et économique)<!-- --> | Atlantico.fr
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Des tempêtes très violentes ont touché la France cet hiver.
Des tempêtes très violentes ont touché la France cet hiver.
©Reuters

ABCD

Le bal des tempêtes et de vortex polaires a créé des tendances pour le moins surprenantes, avec des records de froid outre-Atlantique et des températures anormalement douces en Europe. Un fait qui amène à s'interroger sur l'évolution du climat dans un avenir proche.

Le bilan météorologique

Frédérick Decker : L’Europe et la France sont passées au travers de l’hiver. En dehors d’un bref coup de froid entre le 10 et le 15 décembre, une douceur très régulière s’est imposée le reste de la saison. Conséquences : il s’agit d’un des hivers les plus doux mesurés en France, se plaçant juste derrière ceux de 1988 et 2007 (en moyennant sur l’ensemble des stations météo françaises) depuis 1946. En considérant les relevés météo plus anciens, remontant parfois au XVIIe siècle, l’hiver 2014 conserve cette troisième place. Cette douceur exceptionnelle s’explique par le fait que des basses pressions se sont installées très durablement vers les îles Britanniques entre la mi-décembre et début mars, interdisant l’air froid de nous atteindre. Nous sommes au contraire restés dans un flux océanique d’ouest à sud-ouest rapide, très humide et doux sous l’influence de ces dépressions successives.

De là a se demander si cet hiver doux peut-être relié au réchauffement climatique, il faudrait éviter les liens de cause à effet trop rapides. En revanche, une anomalie récurrente douce peut s’inscrire dans le contexte de réchauffement climatique actuel. Or, les hivers doux se sont multipliés depuis 1988, correspondant donc avec ce réchauffement dont on parle tant. D’ailleurs, a contrario, les hivers froids sont plus rares et moins intenses qu’avant cette année charnière, 1988.

Au niveau des tempêtes, il y a une tendance claire à la hausse d’un point de vue thermique ces dernières décennies en France, en Europe et dans le monde. Du point de vue pluviométrique en revanche, il n’y a aucune tendance claire qui se détache. Cet hiver très pluvieux et très agité fait donc partie de la variabilité naturelle de notre climat. Des hivers de ce type étaient même beaucoup plus fréquents entre la fin des années 80 et le début des années 2000. Les hivers des années 2000 ont ensuite été sensiblement plus froids que ceux des années 90 et moins pluvieux, d’où des problèmes de sécheresse assez récurrents entre 2003 et 2012.

Le printemps a par ailleurs démarré sur les chapeaux de roue en ce mois de mars, dépassant même les records de chaleurs de mars 1948 sur les première et deuxième décades du mois ! Mars 2014 établit donc un nouveau record de chaleur sur les 20 premiers jours du mois. Toutefois, une nette baisse du thermomètre est attendue à partir du 21, nous nous acheminons vers une troisième décade beaucoup plus fraîche. Mars 2014 ne battra probablement pas mars 1994, le plus chaud jusqu’à présent en France.

Cette douceur a eu pour conséquence de réveiller très vite et trop tôt la nature. Si des gelées modérées tardives (inférieures à -3 degrés) se produisent fin mars ou en avril, voire en mai, les conséquences peuvent être graves sur la végétation et sur les cultures, comme ce fut le cas fin avril 1991 après une longue période de douceur. Les rendements fruitiers et légumiers seraient alors en chute, occasionnant une flambée des prix des fruits et légumes… Il ne reste plus qu’à souhaiter que nous échapperons à ce spectre des gelées tardives…

Au-delà de la France, on peut dire que tout est lié de près ou de loin dans notre climat terrestre. Quand il fait trop chaud quelque part, il fait trop froid ailleurs en contrepartie, c’est le principe des vases communicants. C’est ce qu’il s’est passé de l’autre côté de l’Atlantique, en Amérique du Nord, avec ces vagues de froid successives qui se sont produites au gré du détachement du vortex polaire. La vague de froid de janvier, notamment, a été la pire connue par les Etats-Unis depuis 1994. Sur l’hiver entier, la température moyenne nationale étasunienne n’est toutefois pas très basse : décembre a été doux, et les états de l’ouest n’ont pas connu de vague de froid, passant la majeure partie de l’hiver sous la douceur. Conséquence : il suffit de remonter 4 ans en arrière (2010) pour trouver un hiver équivalent en terme de froid.

Le bilan économique

Cet hiver représente déjà une facture de chauffage beaucoup plus basse que l’an passé. Pour un appartement de 70m2, l’économie est de l’ordre de 125€ par rapport à un hiver normal si chauffage électrique et 80€ si chauffage au gaz. Pour l’ensemble des foyers français, l’économie est de l’ordre de 3.5 milliards d’euros. Rien ne dit que ce montant sera réinvesti en totalité dans l’économie française mais là encore la météo particulièrement clémente du mois de mars va booster les ventes textiles, le secteur horticole et l’économie balnéaire (nuitées et restauration) habituellement au ralenti à cette période de l’année.

A contrario, le secteur de l’énergie qui a engrangé des profits inhabituels l’an passé va être fortement pénalisé. Dans certaines régions françaises, la consommation de fioul domestique est en baisse de plus de 40% par rapport à l’an passé.

Autre bonne nouvelle : des économies substantielles pour l’ensemble des collectivités locales et des conseils généraux en l’absence de verglas et de neige en plaine. Les tonnes de sel achetées n’ont pas été consommées et serviront l’année prochaine. Il n’y a pas eu d’heures supplémentaires et le matériel est resté dans les ateliers municipaux. A l’échelle d’une ville ce sont plusieurs dizaines ou centaines de milliers d’euros d’économie. A l’échelle des conseils généraux, ce sont plusieurs millions d’euros d’économie qui sont bienvenues dans le contexte économique qu’on connait. En l’absence de périodes de gel et dégel, les routes ont été moins détériorées et là encore, ce sont des économies substantielles pour les contribuables.

Autre élément positif : le vent. Le vent moyen cet hiver a permis aux parcs éoliens de produire a des niveaux records. Le bâtiment et l’extraction minière ont également bénéficié de l’absence de gel et de neige.

Du coté des mauvaises nouvelles, l’excès de précipitations a fortement pénalisé l’agriculture et notamment les céréales type colza qui sont restées sous l’eau et pour lesquels il faut s’attendre à des baisses de rendement de 20 à 30 pour cent. Certains semis ont été faits tardivement notamment pour les légumes et il y a un risque important de carence d’apport et de prix élevés en mai.

Pour ce qui est des tempêtes qui ont fortement marqué l'Hexagone, il faut distinguer les dégâts assurés de ceux qui ne le sont pas. Le coût des inondations et des destructions liées aux tempêtes (vent >100 km/h) pour cet hiver est estimé aux alentours de 800 millions, dont 600 environs sont couverts et remboursés par les assureurs. Les tempêtes ont été nombreuses et se sont succédées mais individuellement elles n’ont pas été extrêmement violentes. S’agit-il d’une manifestation du changement climatique et faut-il s’attendre à une multiplication de ce type d’hiver, c’est très difficile à dire.

On ne peut pas dire que l’hiver 2014 soit particulièrement plus préoccupant que les hivers précédents même si depuis 2000 nous nous étions presque habitués à subir des hivers plus froids que la normale : 2009 (-1,40°C), 2010 (-1,35°C), 2011 (-0,70°C), 2012 (+0,02°C), 2013 (-0,32°C), 2013 (+1,77°C)…

Ce qui est davantage préoccupant, c’est que la variabilité climatique, c’est-à-dire l’écart par rapport à la normale, augmente significativement, et pas seulement en France. Sur l’ensemble de l’Europe, la variabilité trimestrielle a augmenté de 12% sur la période 2009-2013 par rapport à la période 2004-2013. Entre octobre et décembre, l’augmentation est même de plus de 20%. Cette variabilité rend le pilotage des entreprises qui évoluent dans les secteurs sensibles à la météo de plus en plus difficile.

Les entreprises savent gérer la saisonnalité de l’offre et de la demande quand la météo est normale. Quand la météo dévie de la normale, il y a des conséquences sur le volume d’activité et la rentabilité des entreprises. Et quand les anomalies météo se multiplient et qu’elles sont de plus en plus marquées, l’impact financier peut devenir très important. Et surtout imprévisible. Les prévisions fiables ne dépassent pas 10 jours. D’une part, très peu d’entreprises sont capables d’ajuster leur logistique en si peu de temps, et quand la météo est défavorable de façon prolongée, même en ajustant sa structure de coût, la rentabilité baisse. Jusqu’à présent, nous étions sensibilisés au changement climatique mais nous raisonnions à horizon 2100 et pour beaucoup d’entreprises, c’est la rentabilité du trimestre suivant ou de l’année en cours qui tient lieu d’objectif et de juge de paix. Or, la nouvelle donne climatique, c’est que le changement climatique engendre une variabilité climatique beaucoup plus importante et cette variabilité a un impact financier à très court terme. Cet impact est visible et perceptible et on sait parfaitement le calculer. Les analystes s’intéressent à la vulnérabilité de certaines entreprises face au défi de la météo. Pour s’adapter, de plus en plus d’entreprises font appel à des spécialistes dans un premier temps pour évaluer leur risque et dans un deuxième temps pour mettre en place des produits de couverture financière. Ces produits de type assurances ou financiers sont indexés sur des variables météo et indemnisent les entreprises en cas de météo défavorable. Ce sont de véritables outils de gestion dont le mérite principal est de diminuer la volatilité des résultats d’une année à l’autre, ce que les marchés financiers apprécient. Ils permettent également d’augmenter la résilience des entreprises. Aujourd’hui un chef d’entreprise doit savoir quel est l’impact de la météo sur son activité. Il doit pouvoir connaitre la part de la performance créée par ses équipes et celle liée aux anomalies de la météo. Il doit aussi, en bon gestionnaire, utiliser les outils financiers modernes que sont les couvertures météo pour protéger son entreprise contre les conséquences d’une météo défavorable.

Le bilan psychologique

Patrick Guérin : On peut déjà dire que la fréquence des tempêtes et des bourrasques qui ont marqué l'Ouest du territoire ont tendance à générer une lassitude profonde chez ceux qui y sont exposés, ces derniers ayant tendance à avoir de moins en moins confiance en l'avenir face à la répétition des catastrophes. La mobilité s'en retrouve aussi réduite et cela constitue une entrave au mouvement, cette contrainte pouvant ici jouer sur la résignation des individus. Le fait que cet hiver est été l'un des plus doux depuis 1990 pose aussi le problème de la perte des repères traditionnels vis-à-vis d'une saison que l'on anticipe comme rude et froide. L'hiver est perçu normalement comme une période certes difficile mais qui est aussi celles des retrouvailles, du resserrement du lien social.

Cet hiver, de par son irrégularité (ensoleillé en décembre, brumeux en janvier/février) perturbe aussi les habitudes culturelles qui sont un mécanisme déterminant de notre psychologie. Les européens ont depuis la nuit des temps l'habitude d'un hiver rigoureux et exigeant et cela a construit une bonne partie de leur perception du monde (angoisse vis-à-vis de l'avenir, capacité de prévision et de calcul). Le fait de se retrouver avec des saisons plus douces et des variations très nettes de température et d'ensoleillement entre en contradiction avec la vision classique que l'on se fait des réalités hivernales (neige, temps nuageux).

Pour ce qui est de l'impact direct sur le plan psychiatrique, on sait qu'une partie finalement infime de la population (3% des adultes) est "météo-sensible", c'est-à-dire qu'elle est directement impactée sur le plan mental par le climat. Cela génère des affections, le plus souvent des dépressions et des changements d'humeur. Néanmoins, dans une majeure partie des cas, l'impact du climat sur notre moral est souvent une illusion de l'esprit, comme l'a démontré le chercheur américain David Watson qui avait interrogé plusieurs cobayes qui devaient noter leurs humeurs plusieurs par jour sur une période de 6 à 8 semaines. L'étude n'avait pas réussi à définir une corrélation directe entre climat et humeur, ce qui laisse penser que le beau temps ou la pluie influent finalement assez peu sur notre état.

On sait cependant que l'absence de lumière joue cette fois-ci de manière assez général sur notre vitamine D ainsi que notre production de sérotonine (neurotransmetteur qui joue sur nos changements d'humeur, NDLR). La durée d'éclairage impacte aussi la tyroïde qui a un rôle assez déterminant sur notre sexualité. On peut en déduire que cet hiver, qui a été assez lumineux, en particulier au mois de décembre, a été dans ce cadre plutôt positif.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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