La pollution aussi s'exporte : les Etats-Unis reçoivent celle de Chine, et nous ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La pollution chinoise traverse désormais l'océan Pacifique pour atteindre la côte ouest des Etats-Unis.
La pollution chinoise traverse désormais l'océan Pacifique pour atteindre la côte ouest des Etats-Unis.
©Reuters

Pollution sans frontières

Les vents de haute altitude ne facilitent pas seulement les trajets des avions de ligne, ils permettent aussi à certains types de pollutions de se transporter de continent en continent. Explications.

Elsa Real

Elsa Real

Elsa Real est ingénieur chercheur en environnement. Son activité professionnelle est essentiellement tournée vers la recherche scientifique et la modélisation dans le domaine de l'environnement.

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Atlantico : Une récente étude publiée par un groupe de chercheurs américains révèle que la pollution chinoise traverse désormais l'océan Pacifique pour atteindre la côte ouest des Etats-Unis (voir ici). Comment expliquer tout d'abord ce "voyage" de plusieurs milliers de km ?

Elsa Real :Ce transport est possible grâce aux vents de grande échelle qui souffle de l’ouest vers l’est dans l’hémisphère nord. Ces vents sont particulièrement forts en altitude, et permettre le transport des masses d’air depuis l’Asie vers la côte ouest des Etats-Unis en quelques jours. Cependant, afin d’être transporté par ces vents de grande échelle, les masses d’air polluées doivent tout d’abord être exportées de ce que l’on appelle la couche limite atmosphérique. Cette couche, d’environ 2 km est située près du sol, là où sont principalement émis et contenus les polluants. Cet export ce fait généralement, soit par des phénomènes météorologiques tels que des fronts météorologiques ou des phénomènes de convection (élevation de masses d’air due à un chauffage important). 

Parce que le transport vers les Etats-Unis dure plusieurs jours, le transport à l'échelle intercontinentale des polluants n'est possible que pour les polluants ayant une longue durée de vie. On peut ainsi citer l'ozone, les particules et certains métaux notamment. Le dioxyde d'azote, par exemple, ayant une durée de vie plus courte ne peut être transporté sur des milliers de kilomètres.

Au dessus du Pacifique, les masses d’air polluées sont transportées en couches bien distinctes. En effet, dans la couche limite atmosphérique les masses d’air polluées sont fortement dissipées, dues à de fortes turbulences, un fort mélange des masses d’air dues au relief et à la chaleur dégagée par le sol. En revanche, une fois exportées de la couche limite atmosphérique, les masses d’air sont beaucoup moins dissipées car la turbulence est alors beaucoup moins importante dans cette partie de l’atmosphère, permettant un transport efficace.
Outre le transport en lui-même, les polluants continuent d’évoluer chimiquement et physiquement pendant le transport. Par exemple, certains polluants, tel que l’ozone, peuvent continuer à se former pendant le transport.

Des phénomènes similaires sont-ils à l'œuvre en Europe ? Quelle en est la provenance ?

Comme évoqué plus haut, les vents à grande échelle souffle de l’ouest vers l’est dans l’hémisphère nord. L’Europe va donc être particulièrement impactée par la pollution en provenance des Etats-Unis, de la côte est en particulier, où se concentrent d'importantes zones industrielles et des espaces fortement peuplés. Le transport le plus rapide et le plus efficace se fait en haute altitude, après un export de la couche limite atmosphérique américaine. Pour avoir un impact sur la santé en Europe, il faut alors que des phénomènes météorologiques permettent à ces masses d’air polluées de redescendre. Cependant, des masses d’air sont aussi transportées au dessus de l’océan, à plus basse altitude, et ont un impact direct sur la couche limite européenne.

La plupart des études scientifiques montrent que en Europe, le transport intercontinental a un impact sur les niveaux de fond de pollution. Les concentrations des polluants dans ces masses d’air sont rarement au dessus des niveaux d’alerte réglementaires mais sont responsables d’une fraction non négligeable des concentrations en Europe.

En quoi les mécanismes du réchauffement peuvent-ils impacter, ou non, cette pollution intercontinentale ?

Le sujet du réchauffement est hautement complexe et nécessiterait l'analyse de plusieurs spécialistes pour être traité en conséquence. On peut déjà dire toutefois que si les phénomènes de réchauffements provoquent des phénomènes convectifs plus importants, il est possible d'imaginer un export de la couche limite plus efficace, et donc un transport plus fréquent des masses d’air polluées à l’échelle intercontinentale.

Faut-il repenser nos modes de protection de l'environnement afin de mieux prévenir une pollution qui ignore les frontières (contrairement aux régulations environnementales) ? Quels moyens concrets permettraient d'y parvenir ?

La pollution intercontinentale ne va pas forcément avoir d'impact direct sur un pic comme aujourd'hui, par exemple. Mais comme elle augmente les niveaux de fond, elle peut augmenter la pollution locale. En d'autres termes, la pollution locale a moins besoin d'être importante pour qu'il y ait un pic. Si effectivement on a 10% de la pollution qui vient de la pollution intercontinentale, on va avoir des pics plus souvent. Mais ce n'est pas la pollution intercontinentale en elle-même qui provoquera le pic. Il faut le prendre en compte dans les régulations.

Il existe des protocoles, des accords, à l'échelle intercontinentale. Après, on peut avoir des phénomènes de pollution en France qui peuvent être dus à des pays frontaliers. On constate des pics qui, eux, sont réellement dus à la pollution transfrontalière. Tout le problème est de le prouver, ce qui n'est jamais simple. Au niveau tout d'abord de l'Europe, auprès de laquelle la France doit faire remonter les dépassements des valeurs limites, il est très difficile de justifier le fait qu'un pic de pollution en France soit dû à la pollution produite par un pays voisin. Il faut y aller avec des arguments très concrets pour se disculper auprès des responsables continentaux. Le problème est qu’afin de le prouver, qu'il faut des modèles numériques complets qui permettent de simuler ce qu'il se passe à l'échelle locale mais aussi à l'échelle nationale et à l'échelle internationale.

Cela est déjà envisageable avec des petits modèles à fines échelles qui reproduisent la pollution au-dessus des villes par exemple. On sait bien faire des modèles à grande échelle ( sur un plan national également) qui permettent de simuler la pollution à plus grande échelle (niveau de fond, pollution rurales etc ..). Mais le plus gros du problème réside ici dans la capacité à coupler les deux, ce qui est bien plus compliqué que l'on pourrait le penser au premier abord. Arriver à coupler les différentes échelles est vraiment le challenge actuel des modèles numériques. En somme, les difficultés sont autant politiques que scientifiques.

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