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Qui sont ces Français qui partent faire le djihad en Syrie (et pourquoi y vont-ils) ?
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Bonnes feuilles

David Thomson raconte l’histoire des petits soldats du jihad français, ces adolescents qui ont appris l’islam jihadiste sur Internet, loin des mosquées et à l’insu de leurs parents. Extrait de "Les français jihadistes", aux éditions Les Arènes (1/2).

David Thomson

David Thomson

David Thompson est reporter au service Afrique de RFI, et a notamment couvert la guerre en Lybie et les révolutions arabes en tant que correspondant. Il est également l'auteur du livre Les Français jihadistes.

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L’allure de n’importe quel jeune

Yassine, qui se considère comme converti même s’il est de culture musulmane, affirme que son désir de jihad n’est pas motivé par la haine. Au contraire. « C’est écrit dans le Coran. Le combat est quelque chose que nos âmes répugnent. On y va mais ce n’est jamais par plaisir. Toute la démarche, si elle est nourrie par la haine, elle est gâtée. Ça veut dire que, même devant Dieu, elle ne sera pas acceptée. Toute notre démarche n’est qu’amour. Amour, ça veut dire amour pour les gens qui sont ignorants, qui ne savent pas la vérité, amour pour les gens qui sont persécutés, amour pour notre famille. Amour pour Dieu, amour pour notre religion. Amour pour notre Prophète et tous les prophètes révélés. » Né en France de parents marocains, Yassine af! rme n’avoir jamais cultivé de ressentiment envers son pays. Mais ce pays l’a vu grandir sans vraiment lui donner toutes les chances de s’intégrer, comme il le désirait pourtant à une époque de sa vie, sa période d’ignorance, la jahiliya 1 comme il la nomme aujourd’hui : « On est nés entre deux cultures : en France, on nous appelle les enfants d’immigrés. Au Maroc, on nous appelle les enfants de l’étranger. On est une génération déracinée, sans repères. Nous en France au début, on avait cette envie de s’intégrer. Moi, j’avais tout ce qu’un ! ls d’immigrés peut espérer. Et malgré ça, le fait que nous soyons arabes et qu’on vienne de banlieue, ça mettait des barrières. Au début on ne comprenait pas mais aujourd’hui on comprend. Car s’il n’y avait pas eu ces barrières, il se peut que nous aurions été mécréants. En s’investissant dans ce monde, en ayant été les égaux des Français, il se peut que nous n’aurions même pas été chercher plus loin. Alors que nous, aujourd’hui, c’est l’islam qui nous a donné notre identité. Notre identité c’est l’islam et elle est sans frontières. Et c’est ça la force du schéma de Dieu. C’est un retour à la religion qui vient d’un acte et d’une démarche personnelle. Non pas pour plaire à nos parents ou pour plaire au système. Non. C’est une démarche qui vient de nous-mêmes seulement pour plaire à Dieu. C’est l’islam qui nous a rendu notre dignité parce que la France nous a humiliés. »

Malgré ce sentiment d’humiliation et son adhésion au jihad, Yassine assure n’avoir jamais envisagé de commettre des attentats contre des civils sur le sol français. « Moi déjà, je ne tue pas les innocents. Si on me dit, là bas, y a une base américaine, va te faire exploser, j’y vais. Si c’est une cible militaire oui, de toute façon, l’objectif c’est de mourir, donc oui. Que tu te manges une balle ou que tu te fasses exploser dans une opération martyr 1, la mort reste la mort. Donc après c’est juste un détail. Mais le Prophète Il a dit, vous ne levez la main que contre ceux qui lèvent la main contre vous. Ça veut dire un vieillard, une femme, un enfant, un passant qui fait juste que passer son chemin tu serais injuste de le tuer alors qu’il ne t’a rien fait. Quand tu es en état de guerre, il faut que ton ennemi sache que tu es en état de guerre avec lui. C’est vrai, on dit la guerre c’est la ruse, mais il y a des limites à la ruse. C’est comme si moi je marchais dans la rue et quelqu’un me plante un couteau dans le dos. Moi j’appelle ça de la traîtrise. »

Aux yeux de Yassine, le jihad doit se mener sur le champ de bataille. Et c’est finalement à l’été 2013, à 26 ans, qu’il va concrétiser son ambition. Le jeune homme habite désormais un studio dans le XVIIIe"arrondissement de Paris. Le loyer est élevé mais il dit gagner près de 2 500 euros par mois en fabriquant à la chaîne, sur des moules en plâtre, des armatures métalliques pour des renforts de dentiers. Après son école de prothésiste dentaire, il s’est bien inséré dans la vie active. Rien, dans son apparence, ne trahit le feu intérieur du jihad qui le consume en permanence. Son allure ressemble à celle de n’importe quel jeune de banlieue. Le cheveu très court, la barbe rasée de près, jean et baskets. Sa tenue ne revendique rien de son islamisme. « Je passe inaperçu, je reste pas dehors. Moi ma vie, elle est simple. Métro, boulot, dodo. Ma famille et ma religion. Tout simplement. » Grand, athlétique, avenant, Yassine s’autorise même à fumer dans la rue. Tabac et haschisch sont les dernières scories de sa vie d’avant dont il peine à se défaire. Mais au fond, cette addiction l’arrange bien. En théorie, l’islam interdit la cigarette, mais le jeune homme ne tient pas à se faire remarquer. Et lorsqu’il s’agit de ruser pour dissimuler ses intentions, fumer peut devenir licite. Poli, affable et souriant, Yassine plaisante souvent dans un accent de banlieue. Si certains de ses amis sont tombés dans la petite délinquance, lui assure être inconnu des services de police. On vient même de lui proposer un travail difficile à refuser. Fort de ses dix années d’expérience en prothèse dentaire, une société émiratie lui a fait une offre : s’installer pendant deux ans à Dubai pour former des apprentis à la technique du grattage de couronnes, bridges, et autres châssis métalliques pour un salaire avoisinant les 5 000 euros par mois. « Je me suis dit, là, Allah est en train de tester ma sincérité. Est-ce que je vais choisir le luxe et ce bas monde, ou bien je vais rester sur son sentier alors que je suis déjà en train de tout quitter pour Lui. Je suis resté sur ma position j’ai dit “on s’en fout”. On part. Et tout ce que tu délaisses par amour d’Allah sur son sentier, Allah Il le remplace par quelque chose de meilleur et c’est là où tu vois ta conviction. » Car cette proposition se télescope avec un autre projet qui le hante depuis des mois : partir pour la Syrie, que Yassine préfère appeler le Sham 1, et où, selon l’Onu, la guerre civile a déjà provoqué plus de 100 000 morts en deux ans.

Extrait de "Les français jihadistes", aux éditions Les Arènes, de David Thomson, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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