Il veut jouer les arbitres du match de la téléphonie mobile… Petite leçon de concurrence à l’usage d’Arnaud Montebourg<!-- --> | Atlantico.fr
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Arnaud Montebourg a déclaré qu'il était en faveur d'un rapprochement des opérateurs de téléphonie mobile.
Arnaud Montebourg a déclaré qu'il était en faveur d'un rapprochement des opérateurs de téléphonie mobile.
©Reuters

Rentrée des classes

Pour respecter les règles de concurrence et parce qu'il n'a pas besoin de deux réseaux mobiles, l'opérateur de téléphonie Bouygues - candidat au rachat de son concurrent SFR - est entré en négociations exclusives avec Free. Arnaud Montebourg a déclaré qu'il était en faveur d'un rapprochement des opérateurs de téléphonie mobile à condition qu'il n'y ait aucun plan social.

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Atlantico : Dans une interview donnée au "Parisien Dimanche" - "Aujourd'hui en France", Arnaud Montebourg déclare qu'il est en faveur d'un rapprochement des opérateurs de téléphonie mobile à condition qu'il n'y ait aucun plan social, zéro départ volontaire et pas de licenciement. Cette vision de l'économie est-elle solide ? Est-elle crédible ? Est-elle réaliste ?

Erwan Le Noan : Arnaud Montebourg a une vision très extensive de son travail de ministre qui, visiblement, l’amène à se considérer PDG de chacune des entreprises de France. En conséquence, il prend l’habitude de dire ce que devraient faire les entreprises, sous quelles conditions, quelles devraient être leurs stratégies et tout cela évidemment avec de l’argent qui ne lui appartient pas. Si des entreprises fusionnent, c’est qu’elles envisagent certainement des gains de productivité : il serait assez compréhensible qu’il existe des doublons, des redondances puisque leurs activités sont semblables. C’est aux entreprises de le décider et d’en tirer les conséquences. Que Monsieur Montebourg ait des préférences pour un secteur industriel est tout à fait légitime ; ce qui l’est beaucoup moins, ce sont ces injonctions comminatoires.  

"La concurrence par la destruction s’arrêtera si nous revenons à trois opérateurs mobile tout en maintenant des prix bas". Que signifie concrètement l'expression "concurrence par la destruction" ? Cette déclaration du ministre n'est-elle pas contradictoire ?

La "concurrence par la destruction", ça ne veut pas dire grand chose. On comprend que Monsieur Montebourg désigne par là ce qui serait selon lui une spirale du "moins disant", de la baisse obsédée des coûts et de la perturbation indigne des vieux modèles. C’est un tableau très noir et tout à fait caricatural. La concurrence conduit les opérateurs économiques à être toujours plus efficaces, ce qui a pour conséquence de les amener à proposer des produits toujours moins chers aux consommateurs. Ils peuvent aussi innover, pour renforcer la qualité de leurs offres et donc reconstituer des marges. La concurrence détruit, c’est vrai : les modèles anciens, dépassés, qui ne sont pas capables de répondre aux nouvelles demandes. Mais surtout, la concurrence crée : de nouveaux produits, de nouvelles offres, de nouvelles combinaisons économiques. La concurrence est le moteur de l’économie : sans elle, l’économie stagne et les gens s’appauvrissent. 

La concurrence n'est-elle pas également une source d'emplois ? A qui profite la concurrence ?

La concurrence a des effets ambivalents sur l’emploi selon où l’on se place et quand on se situe. A court terme, elle en détruit dans les secteurs qui n’ont pas su s’adapter : la concurrence de l’électricité a certainement fait du mal à ceux qui travaillaient dans les machines à vapeur. Mais à long terme, la concurrence crée des emplois en redéployant les gains dans l’ensemble de l’économie : des emplois sont créés dans les nouveaux secteurs, les consommateurs dépensent dans d’autres et entretiennent l’activité. Quoiqu’il en soit, le but de l’entreprise, contrairement à ce que Monsieur Montebourg semble prétendre, ce n’est pas de faire de l’emploi quoi qu’il arrive. Le but de l’entreprise est d’abord de faire du profit : c’est cela qui lui permet de se développer, puis d’embaucher ; mais il ne faut pas inverser les relations.  

Selon le ministre, moins d'opérateurs mettrait fin à la guerre des prix. Le problème réside-t-il réellement dans le nombre d'opérateurs de téléphonie mobile ?

Si le ministre veut dire que la concurrence disparaitrait, il n’y a pas de quoi se réjouir (surtout que l’expression de "guerre" n’est vraiment pas bonne). S’il veut dire que l’économie serait plus efficace, tout en restant concurrentielle, avec trois opérateurs, c’est très bien – mais cela reste à démontrer. Toute la question est de savoir si la concurrence est déterminée par le nombre d’opérateurs : c’est ce que pensent, généralement, les autorités de concurrence ; la théorie économique (l’école autrichienne par exemple) enseigne que ce n’est pas systématiquement le cas. 

Le ministre du Redressement productif demande, entre autres, aux opérateurs "la stabilisation du secteur". Est-ce la finalité d'un secteur que d'être stable ? A quel avenir peut prétendre un secteur qui se stabilise ?

Un secteur économique "stable", c’est a priori un secteur qui se meurt. S’il est stable, c’est que les opérateurs n’innovent plus, que les acteurs en place sont protégés des nouveaux entrants ; c’est un secteur de rentier. Un secteur comme celui-ci est promis au déclin. L’économie est un processus dynamique, en évolution constante. La déstabilisation des modèles d’hier est le lot commun, sain et bénéfique de l’économie.  

Au nom du gouvernement, Arnaud Montebourg souhaite "déjà que les candidats améliorent ces offres [de reprise] au regard de nos exigences". Quelle est la logique des contreparties exigées ? Est-ce à l'Etat de s'immiscer dans la gestion des entreprises ? Le peut-il dans ce cas précis ?

L’Etat n’a pas à se mettre à la place des dirigeants d’entreprise, surtout quand on sait comment il est lui-même un grand modèle de saine gestion. L’exception serait quand il est actionnaire d’une entreprise, ce qui est le cas d’Orange (mais pas des autres entreprises du secteur). La meilleure contrepartie que l’Etat puisse souhaiter, c’est une économie qui fonctionne bien, une concurrence saine et vive, qui garantisse des gains de pouvoir d’achat pour les consommateurs, des emplois et des rentrées fiscales.

Propos recueillis par Marianne Murat 

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