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Municipales : les villes dans lesquelles l’abstention risque de poser problème
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23% d'urnes vides

Si certaines communes n'ont aucun candidat aux élections municipales, d'autres vont souffrir d'un fort taux d'abstention de la part de leurs électeurs. A deux semaines des élections municipales, 23% des électeurs prévoient de ne pas se déplacer aux urnes.

Atlantico : Plus des trois quarts des Français (77% exactement) se disent « certains d'aller voter » aux municipales, selon un sondage Harris Interactive pour LCP-Assemblée nationale. Quel est le profil des 23% restants ? L’abstention concerne-t-elle davantage les hommes ou les femmes ? Les classes moyennes ou les classes populaires ? Les jeunes ou les personnes âgées ?

Jean-Yves Dormagen : Permettez moi, tout d'abord, de contester ce chiffre. Il n'y aura pas 77% de participation lors des prochaines municipales. On touche là à un problème majeur des études par sondages : leur incapacité à mesurer la participation électorale. Il y a bien 80 % environ des sondés qui se déclarent "certains d'aller voter". Mais en réalité, ils ne seront que 60 % environ à le faire. Et encore, à condition, que l'abstention ne progresse pas de manière trop significative. Les sondeurs ont donc 20 points de participation en trop dans leurs études. Ce qui est de nature à fausser les intentions de votes publiées jusqu'à présent.

Imaginez un peu que parmi ces 20% qui se disent "certains d'aller voter" mais qui en réalité vont s'abstenir, il y ait une part inégale d'électeurs de gauche et de droite. Imaginez qu'il y ait par exemple plus d'électeurs socialistes déçus par la politique de François Hollande. Si cela devait être le cas, les études par sondages pourraient sous-évaluer le score des listes UMP ou des listes Front National. En ne parvenant pas à anticiper la participation électorale, les sondages prennent le risque d'être contredits par les électeurs les 23 et 30 mars prochains.

Grâce aux remarquables études conduites par l'INSEE directement sur les listes électorales, on connaît très précisément le profil sociologique des abstentionnistes. Prenons comme référence le premier tour des dernières municipales. On ne note quasiment aucune différence de participation entre les hommes et les femmes. En revanche, les écarts par catégories socioprofessionnelles sont importants. Les agriculteurs ont voté à 90 % tandis que les inactifs ne votaient qu'à 53 %. Les cadres ont voté un peu plus que les employés et les ouvriers. Mais c'est surtout sur l'âge que l'on mesure des différences de participation assez vertigineuses. Au premier tour des dernières municipales seuls 41 % des 18-24 ans sont allés voter. A l'inverse, 80 % des 50-64 ans se sont rendus aux urnes. Ce sont les salariés d'âge mur et les retraités qui font les maires. La jeunesse reste largement à l'écart du scrutin municipal.

Jean Petaux : Les travaux sur l’abstention sont désormais anciens en France. Alain Lancelot, qui fut directeur de Sciences Po Paris dans les années 70, a soutenu sa thèse sur ce sujet. Les premiers spécialistes de la « culture politique »  (Gabriel Almond et Sydney Verba entre autres) ont défini trois types de « culture politique » : la culture participative, la culture parochiale et la culture de sujétion. Les individus qui relèvent de la culture politique participative sont ceux qui sont impliqués dans la vie de la cité, du local au global en somme. Ceux-là votent et participent à toutes les élections et vont même au-delà pour certains d’entre eux : ils militent dans des associations de toute nature et vont même jusqu’à adhérer et militer dans les partis politiques. Au milieu au trouve celles et ceux qui sont déterminés par une culture parochiale (« parochial culture » en anglais). C’est un vieux mot français qui a donné « paroissiale ». La culture politique paroissiale est celle qui fait qu’on s’intéresse seulement à son clan, à sa famille, à son village, voire, au plus loin, à sa région. Mais on s’abstiendra totalement de participer à des élections nationales et, naturellement, européennes, au motif que tout ce qui se déroule au-delà d’un horizon immédiat et proche est trop étranger et éloigné. Le dernier type de culture politique : la culture dite de sujétion fait, comme son nom l’indique, que l’acteur social est « sujet ». Il ne comprend rien aux enjeux politiques, fussent-ils locaux. Pour celui-là « les politiques sont tous les mêmes », voire « tous pourris »… Et puis « la politique c’est un truc auquel on ne comprend rien, alors pourquoi s’embêter à aller voter ». C’est donc dans cette frange que l’on trouve le plus grand nombre d’abstentionnistes.

Mais du même coup comme les élections municipales sont par définition « localisées » elles sont très « participatives », en tous les cas relativement bien plus que les élections européennes. Sans compter, comme l’a très bien montré Annie Collowald dans ses travaux, que l’espace d’agrégation du vote (le territoire communal) et l’espace institutionnel (l’institution municipale) étant très aisément « intelligibles » par les électeurs (tout comme peuvent l’être, à une toute autre échelle, les présidentielles) : les électeurs s’y retrouvent et n’ont pas de difficulté à voter. Reste un dernier groupe parmi les 23 % d’abstentionnistes estimés par le sondage que vous évoquez : les déçus de la majorité présidentielle issue des urnes en mai 2012 qui vont « voter avec leurs pieds » en refusant de se déplacer pour voter pour une liste se référant au PS ou à EELV. Ceux-là vont marquer leur désamour et leur déception en s’abstenant. Tout comme certains électeurs de l’UMP voire de Nicolas Sarkozy en 2012 risquent de sanctionner les candidats de la droite républicaine compte tenu des derniers événements advenus. Du point de vue du « genre », les femmes sont traditionnellement moins abstentionnistes que les hommes et plus on vieillit plus on vote : l’abstention est souvent importante chez les jeunes urbains,  avec un biais important pour cette mesure dans cette frange de la population puisque si les jeunes sont automatiquement inscrits sur les listes électorales depuis 2000, à l’âge de 18 ans, ils peuvent vite se faire radier au gré de leurs déménagements, de leurs études, etc., et ils ne se réinscrivent souvent pas sur les listes de leur nouveau domicile....

Où sont-ils censés voter ? Dans des grandes villes ? Des métropoles ? A la campagne ? Des villages ?

Jean-Yves Dormagen : On vote nettement plus dans les campagnes que dans les villes. Cela tient à toute une série de facteurs, pas nécessairement politiques. D'ailleurs les élections sont très peu politisées dans les villages alors qu'elles le sont beaucoup dans les grandes villes. Dans les villages, les électeurs sont encore soumis à des formes de contrôle social. S'abstenir est plus visible et donc la contrainte qui pèse sur les citoyens-électeurs est plus forte. A l'inverse, dans les villes l'abstention est totalement anonyme et donc l'objet d'une faible stigmatisation sociale. Il existe également un problème majeur de malinscription en milieu urbain. Beaucoup d'habitants, tout particulièrement dans les grandes villes, ne sont pas inscrits sur leur lieu de résidence. C'est tout particulièrement le cas des jeunes dans les villes universitaires.

Dans des villes comme Montpellier, Bordeaux, Toulouse... les 18-24 ans représentent plus de 20 % de la population mais moins de 7 % des inscrits sur les listes électorales. Ces jeunes qui vivent à Montpellier, Bordeaux ou Toulouse sont inscrits ailleurs. La plupart d'entre eux ne feront pas de procuration ou ne prendront pas le train pour aller voter le 23 mars. Cette malinscription génère donc beaucoup d'abstention. Enfin, il faut se rendre compte que les électeurs connaissent assez mal l'offre électorale au niveau local, tout particulièrement dans les grandes villes. En général, le maire bénéficie d'un très haut niveau de notoriété, mais les autres candidats sont assez mal identifiés. A part les classes d'âges les plus âgées qui lisent encore la Presse Quotidienne Régionale et sont mieux informées, les plus jeunes connaissent très mal les têtes de liste des différents partis. Tous ces phénomènes sont encore accentués par la grande mobilité que l'on observe en milieu urbain. Les néo-habitants cumulent problème d'inscription sur les listes et mauvaises connaissances de l'offre politique locale.

Jean Petaux :  Traditionnellement les campagnes sont plus civiques que les villes. Ainsi en Aquitaine, parmi les cinq départements de cette région, la Gironde et au sein de ce territoire, la métropole bordelaise, sont les plus abstentionnistes. La Dordogne et les Landes en revanche votent parfois 3 ou 4 points en plus que le taux de votants à l’échelon national. Mais là aussi on constate désormais une évolution. Elle montre une convergence entre la poussée du vote FN en zone rurale et la montée de l’abstention. C’est tout à fait évident en Dordogne et dans le Lot-et-Garonne aux dernières présidentielles, et même dès 2002 pour ce dernier département. Il y a une logique à cela : les électeurs montrent leur refus du jeu politique traditionnel soit en votant à l’extrême-droite (ils expriment leur rejet en le criant : ils font « Voice » comme l’a dit le grand sociologue Albert O. Hirschman) ou ils s’excluent du jeu politique en s’abstenant (ils font « Exit », pour reprendre, encore, le vocabulaire d’Hirschman).

Certaines villes risquent-elles d'être davantage concernées par le problème ? Lesquelles ? Sont-elles traditionnellement plus à gauche ou plus à droite ?

Jean-Yves Dormagen : Oui, comme je viens de vous le dire, plus les villes sont de taille importante et plus elles cumulent les facteurs d'abstention : population plus jeune, plus grand turnover de la population, moindre connaissance des élus et des politiques locaux... En revanche, il n'y a pas d'étude à l'heure actuelle qui établisse que les villes de gauche seraient plus ou moins touchées par l'abstention que les villes de droite.

Jean Petaux :  Les villes de tradition socialiste (Lille, Arras, Mérignac), celles qui sont dirigées par des équipes socialistes alliées aux communistes et aux radicaux de gauche depuis 1977 par exemple (je pense à de nombreuses villes de l’ouest de la France comme Angers, Rennes, Nantes, Lorient, Quimper, etc.) risquent de connaître une abstention plus forte, au détriment, encore une fois de la gauche. Dans le sud-ouest, l’abstention risque d’être plus forte que de coutume à Pau tout simplement parce que la gauche va avoir du mal à « faire le plein » des voix et malgré une offre électorale riche avec la candidature de Bayrou (soutenu par l’UMP locale) contre Habib (portant les couleurs du PS). En revanche, pour indiquer que l’abstention ne touchera pas que des villes où la gauche est sortante, je ne serais pas étonné qu’elle soit assez forte à Bordeaux, tout simplement parce que face à une victoire d’Alain Juppé très largement annoncée, il n’est pas impossible que l’électorat de droite considère que « la messe est dite » et qu’il vaut mieux aller bronzer sur ce qui reste des plages de la côte Atlantique après deux mois de tempêtes quasi-ininterrompues… C’est d’ailleurs avec un tel raisonnement que les « non-électeurs » d’Alain Juppé aux législatives de 2007 sur la 2ème circonscription de la Gironde, ont eu la mauvaise surprise de le voir battu à la députation par Michèle Delaunay, candidate PS. Toujours dans des villes où la droite est sortante mais où les maires ne se représentent pas : Bayonne (retrait de Grenet) et Biarritz (retrait de Borotra), les électeurs de droite, peu satisfaits de voir les tiraillements parcourant les rangs des successeurs de ces deux grandes figures politiques locales risquent, aussi, de marquer leur mécontentement en restant chez eux… au moins au premier tour !

Du coup, quelles conséquences électorales cette abstention risque-t-elle d'avoir ? Quelles forces politiques risque-t-elle de favoriser ? Certains candidats, parmi les plus médiatiques, sont-ils à cet égard plus vulnérables ?

Jean-Yves Dormagen : Comme les sondages ne parviennent pas à anticiper l'abstention, ils ne parviennent pas non plus à bien identifier son impact politique. Nous n'avons qu'une certitude : l'abstention sera élevée lors de ces municipales. Qui va-t-elle pénaliser en priorité ? Il est difficile de l'affirmer sur des bases scientifiques. On peut malgré tout se livrer à quelques hypothèses. Force est d'abord de constater que le camp du premier ministre en exercice a perdu systématiquement toutes les élections, locales comme nationales, depuis 1978. Il n'y a qu'une exception à la règle : 2007. Et cela en raison de la capacité de Nicolas Sarkozy à se présenter comme le candidat "de la rupture" bien plus que comme le candidat de la majorité sortante.

Derrière cette loi d'airain de l'échec des sortants, il y a indubitablement des phénomènes de mobilisation différentielle. Dit autrement, c'est parce que les électeurs de la majorité sortante s'abstiennent plus que les électeurs de l'opposition que les sortants sont systématiquement battus. On devrait donc enregistrer les 23 et 30 mars un recul des listes de gauche, dû en grande partie au fait que l'électorat de gauche sera sans doute le plus difficile à mobiliser. Les facteurs sociologiques comptent aussi. Plus votre électorat est jeune, plus votre électorat est populaire et plus les chances qu'ils s'abstiennent sont élevées. Or les sondages font apparaître un électorat Front National très jeune et populaire. Si ces études sont exactes, c'est donc le Front National qui devait le plus pâtir de l'abstention sociologique. En résumé, l'abstention devrait être plutôt favorable à l'UMP.

Jean Petaux : Mécaniquement plus l’abstention est élevée plus les plus petites formations politiques augmentent en pourcentage leur score. Elles mobilisent leur électorat quand les autres partis politiques (les plus importants) comptent un maximum d’abstentionnistes. Cela vaut surtout d’ailleurs dans des élections à un seul tour comme les Européennes. En 1994 c’est ainsi que la liste Tapie a « talonné » la liste Rocard en obtenant 2,5% de voix de moins. En 1999 c’est ainsi que le tandem Pasqua-de Villiers (13,05%) a ridiculisé la liste conduite par Nicolas Sarkozy pour le RPR (12,82%) quand Philippe Seguin, tête de liste initial,  avait même réussi la prouesse de quitter le navire pendant la campagne... Et en 2009 la liste Europe-Ecologie-Les Verts a quasiment fait jeu égal avec la liste PS en obtenant 16,28% des suffrages exprimés quand le PS a tout juste recueilli 16,48%... Pour les municipales un tel transfert vers les petites formations politiques est nettement plus compliqué. D’abord parce qu’elles ne se présentent pas dans toutes villes et villages de France bien sûr, ensuite parce que la « prime au sortant » vient nettement réduire la part du vote protestataire qui n’a aucun obstacle par contre pour s’exprimer librement aux élections européennes considérées comme un véritable défouloire et où la participation est passée de 60,7% aux premières élections organisées en 1979 à 40,5% aux dernières, en 2009, soit plus de 20% de chute en 30 ans… Quant à savoir si les candidats les plus médiatiques, aux municipales, sont les plus vulnérables cela me semble un rapprochement osé… Etant médiatiques, ils sont par définition plus « éclairés » par les flashs et les projecteurs des médias donc plus observables et observés… Vous connaissez l’histoire de l’idiot qui regarde le doigt au lieu de regarder la Lune… Ou de celui qui cherche ses clefs perdues sous le réverbère parce que c’est là que la lumière luit… Les candidats les plus médiatiques seront soumis aux votes de leurs concitoyens comme les autres, moins exposés, et tous aussi vulnérables comme on peut l’être dans le cadre d’une élection démocratique et concurrentielle.

L'UMP devrait donc gagner de nombreuses villes ?

Jean-Yves Dormagen : De nombreux facteurs viennent compliquer tout pronostic électoral. Il n'est pas impossible, par exemple, que les récentes affaires qui alimentent la chronique politique fasse progresser l'abstention au sein de l'électorat de droite ou favorisent le basculement d'une fraction de cet électorat sur les listes présentées par le FN. Autre facteur à prendre en compte, les maires sortants sont en général bien identifiés et plutôt appréciés. Le maire est, en effet, la seule figure parmi les élus qui jouit d'une bonne côte de popularité. Or nombre de sortants sont des socialistes, ce qui pourrait partiellement atténuer les effets "du vote et de l'abstention sanctions". Enfin, la radicalisation d'une fraction de l'électorat de droite pourrait conduire le Front National à des scores élevés dans le cadre de triangulaire périlleuses pour l'UMP. Il n'est pas exclu dans ce contexte que la gauche, même en recul et même en devenant minoritaire, conserve nombre des villes qu'elle détient aujourd'hui. L'abstention différentielle et le score du Front National seront bien les deux clefs principales de l'équation électorale à venir.

Propos recueillis par Marianne Murat

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