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Qui est le maître du temps ?
Qui est le maître du temps ?
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Le grand horloger

On oublie de se poser certaines questions, comme celle de savoir qui est le grand instigateur du rythme de nos vies. Réponse : il est partout...

Noel Dimarcq

Noel Dimarcq

Noel Dimarcq est Directeur du SYRTE, laboratoire de recherche de l'Observatoire de Paris, du CNRS, de l'Université Pierre & Marie Curie et du Laboratoire National de Métrologie et d'Essais.

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Atlantico : Quelle est la référence de l'heure mondiale ? Par qui nos smartphones, les places financières, les opérations militaires sont-ils rythmés ?

Noel Dimarcq : Aujourd'hui la référence internationale est l'UTC, ou temps universel coordonné, qui est construit par le Bureau international des poids et mesures (BIPM), installé à Sèvres, à l'ouest de Paris. C'est lui qui construit une référence de temps à partir de la comparaison entre un très grand nombre d'horloges atomiques réparties sur la terre entière. Si on n'avait qu'une seule horloge, ce serait ennuyeux, car elle pourrait se dérégler, voire s'arrêter. Le temps continuerait de s'écouler sans que ladite horloge ne mesure plus rien. Pour obtenir des résultats qui soient les plus fiables possibles, le BIPM utilise des comparaisons faites entre des horloges situées tout autour de la terre, au nombre de 400 environ. Ce sont via des satellites GPS ou de télécommunications que sont effectuées les comparaisons. Si une de ces 400 horloges commence à trop dériver, elle est retirée de la moyenne globale.

Pour simplifier, on peut dire que le BIPM construit une sorte "d'horloge moyenne" qui réalise le temps atomique UTC. Seul problème : le BIPM fournit ce temps après un délai de quelques semaines, ce qui signifie que la référence internationale n'est pas disponible en temps réel sous la forme d'un signal physique. Par conséquent chaque pays construit une réalisation en temps réel d'UTC.  En France, c'est l'UTC (OP), pour Observatoire de Paris. Et chacun d'entre eux fait en sorte que son échelle de temps réalisée soit la plus proche possible de l'UTC du BIPM. En temps réel, cette échelle de temps peut être diffusée aux utilisateurs via l'horloge parlante, la radio, internet… Les différences entre les meilleures réalisations nationales d'UTC sont minimes, de l'ordre de quelques milliardièmes de seconde.

Ajoutons qu'à côté du temps atomique extrêmement stable, l'échelle de temps liée à la rotation de la Terre a tendance à dériver, car elle présente des fluctuations dues à des effets de marées, à des phénomènes océaniques et atmosphériques, etc. C'est pourquoi on a inventé les secondes intercalaires ; tous les deux ans en moyenne, on doit rajouter une seconde dans toutes les échelles de temps atomique, afin que la différence entre le temps atomique et le temps lié à la rotation de la Terre ne dérive pas trop. Tous les pays rajoutent alors au même instant une seconde dans une minute qui dure ainsi 61 secondes. Pour la France, cette opération est effectuée soit dans la nuit du 30 juin au 1er juillet, soit dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier.

Par quel processus historique en est-on arrivé à ce système mondial ?

Pendant longtemps, le temps a été fourni par les astronomes. C'était l'astronomie, et donc la rotation de la terre, qui régissait la chose. Même en France, jusqu'à la fin du 19ème siècle, le temps n'était pas unifié. Entre Brest, Paris et Strasbourg, l'heure solaire n'était pas la même. Dans le courant du XIXe siècle, le besoin d'unifier l'heure dans les pays s'est imposé avec le développement des transports ferroviaires. L'heure des horloges du lieu de départ ne correspondant pas à l'heure des horloges du lieu d'arrivée, des problèmes se posaient pour les correspondances. Les Américains et les Anglais ont dès lors œuvré pour une unification de l'heure, et la France, qui dans un premier temps était réticente, a adhéré en 1891.

Chez nous, la référence a été donnée par le méridien de Paris, qui traverse l'Observatoire de Paris. Le méridien de Greenwich existait en parallèle, et c'est ce dernier qui l'a emporté après de longues discussions pour devenir la référence internationale. A partir de 1971, l'échelle de temps international (UTC) a remplacé les échelles de temps astronomiques au travers de l'introduction de l'atome de césium, c'est-à-dire des horloges atomiques. Notons que même si aujourd'hui les échelles de temps sont atomiques, lorsqu'on reçoit un SMS ou un mail, l'heure est encore en GMT, c'est-à-dire, calquée sur le méridien de Greenwich, qui est encore lié à la rotation de la Terre. Le poids de l'histoire reste donc important.

L'utilisateur n'a pas besoin de disposer directement d'une horloge atomique dans son téléphone ou son ordinateur, car on peut disséminer le temps par des moyens électromagnétiques. Les moyens de diffusion doivent être très bien conçus, car il faut prendre en compte le temps de propagation, avec des décalages pouvant aller jusqu'à plusieurs dizaines de millisecondes. Dans la vie quotidienne ce n'est pas handicapant, mais cela peut poser un problème pour des applications nécessitant plus de précision. C'est pourquoi on passe par des satellites pour comparer les temps de toutes les horloges atomiques, et parvenir à une incertitude qui est de l'ordre du milliardième de seconde. Ce décalage infime, qui pourrait être jugé inutile, est très important pour les GPS, par exemple. Une erreur d'un milliardième de seconde entraîne une erreur de 30 cm dans le positionnement du GPS.

De quelle manière les horloges atomiques sont-elles réparties dans le monde ?

La corrélation est forte entre le niveau d'industrialisation du pays et le nombre d'horloges qui contribuent. Pour améliorer la performance des horloges atomiques, l'échelle de temps est étalonnée par des horloges de très hautes performances développées dans les laboratoires, qui n'ont pas besoin de fonctionner en continu. Leur niveau de précision va au-delà de 16 chiffres après la virgule. Ce sont donc les grands laboratoires de métrologie qui sont influents en la matière. Dans l'étalonnage du temps atomique international, le poids de la France  est d'environ 40 %. Sont également bien positionnés les Etats-Unis, l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, le Japon, etc. Les pays d'Amérique du Sud et d'Afrique, eux, y contribuent moins.

L'heure est donc exclusivement une affaire d'arbitraire ?

On peut parler d'arbitraire dans la mesure où tous ces appareils ne mesurent pas le temps mais des durées à partir d'un moment de référence. De même, il est de toute façon arbitraire de dire qu'il est midi lorsque le Soleil est au plus haut dans le ciel, que les fuseaux horaires existent, ou que Brest et Paris sont à la même heure. Ce qui est important est que tous les pays utilisent une référence de temps universelle, comme celle offerte par les atomes de césium dans les horloges atomiques.

Existe-t-il des pays ou des régions qui échappent à cette heure de référence ?

Aucun pays n'y échappe, pas même la Corée du Nord. Un récepteur GPS, où qu'il soit, est rattaché au temps du GPS, qui est lui-même lié au temps international. Le fait que tout soit synchronisé ne veut pas dire que toutes les échelles de temps donnent la même heure, mais que s'il y a des différences, elles sont particulièrement bien suivies et contrôlées. Par exemple les décalages horaires, en Inde, peuvent être d'une demi-heure. L'essentiel est d'être d'accord sur la référence.

Les points de faiblesse dans le système n'existent donc pas ?

Pour ce qui est de la réalisation de la référence internationale, il n'y a pas de faiblesse. On peut en trouver au niveau des utilisateurs, par contre. Chacun se contente de faire confiance à ce qui s'affiche sur son écran d'ordinateur ou de GPS. Si la réception du signal de synchronisation est détériorée ou brouillée, comme cela a déjà été observé sur des récepteurs GPS, l'échelle de temps locale de l'utilisateur est perturbée. C'est pourquoi tous les grands pays industrialisés ont développé des systèmes complémentaires de GPS, qui permettent de garantir la confiance dans le signal reçu en fournir un signal "d'intégrité".

Propos recueillis par Gilles Boutin

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