Dividendes : mais que compte donc faire Benoît Hamon contre le "coût du capital" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Benoît Hamon a appelé à considérer "la baisse du coût du capital" comme une contrepartie possible au pacte de responsabilité.
Benoît Hamon a appelé à considérer "la baisse du coût du capital" comme une contrepartie possible au pacte de responsabilité.
©AFP

Ca va couper chérie

A l'heure où les chefs d'entreprises français augmentent la distribution de dividendes de 50%, Benoît Hamon, le ministre délégué à l'Economie sociale, appelle à considérer "la baisse du coût du capital" comme une contrepartie possible au pacte de responsabilité.

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : Le ministre délégué à l'Economie sociale, Benoît Hamon, a appelé à considérer "la baisse du coût du capital" comme une contrepartie possible au pacte de responsabilité. Cette réduction est-elle réalisable en France, à l'instar de ce qui s'est fait en Allemagne ?

Jean-Charles Simon :  Je crois qu’il y a ici d’abord une confusion, au moins dans les termes et par rapport à l’usage habituel de la notion de "coût du capital". Si je comprends bien, la référence de Benoît Hamon est une étude réalisée à la demande de la CGT "sur le coût et le surcoût du capital" et dont les concepts sont, pour le moins, hétérodoxes. Il semble d’ailleurs que cette étude revendique l’originalité de son approche.

En fait, ce qui saute aux yeux dans la comparaison franco-allemande s’agissant de l’évolution du partage de la valeur ajoutée depuis 15 ou 20 ans, c’est au contraire une déformation très défavorable au travail en Allemagne, donc en faveur du capital. Tandis qu’en France, cette répartition primaire de la valeur ajoutée des entreprises est restée plutôt stable, avec même une dégradation de la marge brute des entreprises au cours des dernières années, puisqu’elle est tombée au troisième trimestre 2013 à son plus bas depuis  2005. En niveau, une comparaison à prendre certes avec précaution, le taux de marge des sociétés non financières en France (le champ de référence) est ainsi inférieur de 12 points à celui observé en Allemagne, alors que l’écart n’était que de 5 points en 1995.

Comment expliquer que les entrepreneurs allemands aient consenti une baisse des taux de distribution de dividendes de 10 % alors que, sur la même période, les chefs d'entreprises français augmentaient les distributions de 50 % ?

On en revient au sujet de la source et de la méthodologie retenues ici. De manière plus classique, si on prend par exemple les travaux du rapport de Jean-Philippe Cotis, alors directeur général de l’Insee, demandé en 2009 au cœur de la crise par l’exécutif pour analyser le sujet du partage de la valeur ajoutée, on constate qu’il n’y a pas de modification de la rentabilité des actions au cours des dernières années en France.

En revanche, la part de l’excédent brut d’exploitation consacrée à la distribution nette de dividendes a effectivement progressé depuis 20 ans. Mais tout simplement car les dividendes se sont en fait substitués pour partie aux intérêts, au fur et à mesure de l’évolution des modes de financement des entreprises. Au total, le cumul des intérêts et des dividendes versés par les entreprises s’ajuste avec un décalage dans le temps par rapport à l’activité. Mais il n’a pas de vraie tendance : son pic récent était d’un peu plus de 30 % de la marge brute en 2009, un niveau qui était déjà celui observé au milieu des années 90. Marge brute dont on rappelle qu’elle est en France inférieure d’environ 30 % à ce qu’elle représente en Allemagne… 

Selon Benoît Hamon, "si on demande aux salariés de faire des efforts sur le coût du travail, ça veut dire que la sécurité sociale sera moins financée ou financée différemment (...). Il faut donc réfléchir à la façon dont le coût du capital doit baisser aussi". Que compte-t-il concrètement faire contre le "coût du capital" ? Quelles seraient les conséquences, et à quelle échelle ? 

Face aux difficultés du financement de notre protection sociale, et à la part considérable qu’il représente dans le coût du travail, il y a toujours eu des avocats des assiettes de substitution. Tantôt la TVA, tantôt, pour certains, les revenus du capital. Et parfois les deux… Mais il y a un problème de marges de manœuvre et de diagnostic. Entre des prélèvements sociaux de 15,5% sur les gains et revenus du capital (sans la moindre contrepartie en droits sociaux, contrairement aux cotisations sur les salaires) et leur imposition désormais au barème de l’impôt sur le revenu, sans parler des prélèvements sur la transmission et la détention, la France fait carton plein sur le capital, déjà en partie pour soutenir la protection sociale. Demander plus, ce serait peser encore davantage sur le rendement de l’épargne des ménages, déjà très faible pour les placements avec garanties, et bien entendu sur le capital productif, donc sur l’activité d’aujourd’hui et de demain. Surtout, les masses en jeu sont incomparables. La protection sociale, c’est aujourd’hui près d’un tiers du PIB. En comparaison, doubler l’ISF, ce qui doit aller au-delà des espérances des promoteurs de telles orientations, rapporterait moins de 1% de ce montant… Et encore, seulement sur le papier. Il faut revenir aux réalités : à un tel niveau, le problème de la protection sociale n’est plus son assiette de financement, mais tout simplement son coût et son périmètre.

Benoit Hamon est-il dans le vrai quand il déclare que la distribution des dividendes impacte les marges des entreprises ? Est-ce une raison suffisante pour s'y attaquer ?

C’est bien sûr une erreur si on parle des marges brutes, agrégat de référence défini précisément en amont des intérêts, de l’effort d’investissement (la formation brute de capital fixe), de l’impôt sur les sociétés et des dividendes. Et dont on a rappelé qu’elles avaient au contraire diminué récemment au profit de la part de la valeur ajoutée consacrée au coût du travail.

Et s’agissant de l’emploi de cette marge brute, au-delà de la substitution progressive entre intérêts et dividendes déjà mentionnée, il n’y a rien de notable. Le ratio des investissements sur l’excédent brut d’exploitation a même augmenté entre 2008 et 2012 car les premiers ont un peu moins chuté que le second…

Cette nouvelle proposition de contrepartie ne vient-elle pas affaiblir encore davantage le pacte de responsabilité, jugé irréalisable par de nombreux acteurs et observateurs ?

Le "pacte de responsabilité" est en lui-même un concept bien étrange. Et sûrement d’abord un objet politique. Si on considère que les entreprises françaises ont des marges très faibles et en recul, ce qui paraît avéré aujourd’hui, alors il faut améliorer leur situation. Donc, pour ce qui concerne l’Etat, diminuer les prélèvements sur leurs coûts de production. C’est-à-dire baisser les cotisations sociales et  les impôts dits "de production" en comptabilité nationale – en gros, tous les prélèvements que supportent les entreprises hormis l’impôt sur les sociétés. On ne voit pas, encore une fois s’il est question de diagnostic et non d’habillage, pourquoi il faudrait des contreparties à cette évolution. Devoir en imposer signifierait que rendre des marges de manœuvre aux entreprises n’est pas vraiment une nécessité, puisqu'elles seraient suspectes de les utiliser à tort et à travers… Une contradiction interne, en somme.

Propos recueillis par Marianne Murat

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