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Radio France : pas d’émissions pendant huit jours, mais c’est pour notre bien
©Reuters

Silence radio

La radio est à peu près le seul secteur où le public fait objectivement mieux que le privé. Lui couper le sifflet et refuser tout changement est-il vraiment le meilleur moyen de l’empêcher de plonger ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

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A chaque grève un peu longue de Radio France, c’est la même chose : on ré-explore les fréquences non-présélectionnées de sa chaîne et on redécouvre à quel point le service public est supérieur, en qualité comme en diversité, au reste de la bande FM. C’est intéressant parce que ce n’est pas si fréquent, cette supériorité objective du public sur le privé. On est souvent aussi bien soigné dans une clinique que dans un hôpital, on n’étudie pas plus mal dans un établissement “sous contrat” que dans une école gérée par l’EN, on a plus de chance de recevoir un colis à l’heure s’il est déposé par Kiala à l’épicerie du quartier que s’il arrive par la Poste… Mais on n’a pas souvent l’occasion d’entendre un débat philosophique un peu pointu ou une mélodie paysanne de Bartok dans les émissions de Jean-Marc Morandini ou les libres antennes de Jean-Jacques Bourdin.

Oh, je n’ai rien contre Europe 1, RTL ou RMC, qui font très bien ce que leurs auditeurs et surtout leurs annonceurs attendent d’eux, mais leurs matinales bruyantes entrecoupées de réclames pour le jambon sans couenne chez Carrefour et les voitures toutes options chez Volkswagen me font mal aux oreilles. Ce n’est pas du snobisme, c’est une inclination personnelle.

Mais à chaque grève de Radio France, lorsque mes rendez-vous sonores habituels sont remplacés par de la musique enregistrée et que j’apprends qu’il suffit en fait d’une poignée de grévistes (ce coup-ci, à peu près 7% des quelque 5 000 salariés de la maison) pour bouleverser mes habitudes et me pourrir le petit-déjeuner pendant huit jours, je me demande la chose suivante : est-ce que les 93% de non-grévistes sont en désaccord avec les jusqu'au-boutistes ou est-ce qu’ils s’abritent derrière eux sans prendre de risque ?

Les raisons du conflit ? Silence radio


On ne sait pas. Ça n’est jamais expliqué clairement, au-delà du fameux “En raison d’un appel à la grève par plusieurs organisations syndicales bla bla bla…”, le mystère est toujours total sur les raisons de fond de ces mouvements, les débats internes à la “maison ronde”, les conflits de pouvoir et les stratégies spécifiques des uns et des autres. Officiellement bien sûr, on a bien compris que “certaines catégories de personnels” n’aimaient pas le nouveau boss (trop jeune, trop libéral, trop gestionnaire, trop tout ce ce qu’on veut en fait) et ses goûts en matière de décoration intérieure. Mais on a aussi compris, par la bande, que Fleur Pellerin était plus ou moins chargée de virer Mathieu Gallet et qu’il y avait du rififi entre le CSA et le gouvernement dans la perspective de la nomination d’un nouveau président de France télévisions. Les histoires de moquettes neuves et de lambris en bois précieurx, on le voit, sont assez secondaires dans l’affaire même si c’est à peu près l’essentiel de ce qu’investigue Le Canard enchaîné et de ce que les bien-intentionnés outragés likent sur Facebook.

Dans cette partie de billard à bandes multiples, lorsque les syndicats publient des tribunes dans une presse complaisante pour m’expliquer que si je ne peux pas écouter France inter, France culture ou France musique, c’est pour mon bien, ça me rappelle un peu trop les fois où on m’interdit de prendre le train ou le métro pour m’aider à me déplacer. Je ne vais pas réutiliser la métaphore usée de la “prise d’otages”, dont on sait bien à quel point elle est grotesque par les temps qui courent, ma vie n’étant pas menacée par une pub pour la banque truc et une imitation pas marrante de Nicolas Canteloup, mais il y a tout de même quelque chose de frustrant à être instrumentalisé par des intérêts sans rapport avec la qualité des émissions que j’apprécie.

Je ne sais pas si Mathieu Gallet est vraiment le type idéal pour changer ce qui doit l’être à Radio France, rationaliser les pratiques, foutre en l’air les archaïsmes organisationnels et RH hérités de l’ORTF, réduire des coûts incontrôlés, bref, remettre de l’ordre dans la baraque et, après tout, je m’en fiche un peu. Lui ou un autre… Mais je sais que ni la poignée de techniciens corporatistes qui tiennent surtout à ce que rien ne change même si c’est le plus sûr moyen d’arriver à la catastrophe, ni un gouvernement surtout préoccupé de contrôler ce qui se passe avenue Kennedy façon Peyrefitte ne se préoccupent vraiment de mon bonheur d’auditeur (et de contribuable, ce qui n’est pas antinomique). S’il y avait des émissions de philo plutôt qu'une playlist ces jours-ci sur mes stations préférées, ça ferait d’ailleurs un bon sujet

Tiens, je me demande si je ne vais pas appeler Jean-Jacques Bourdin pour gueuler un bon coup. Ça me soulagera. Puis j’irai m’acheter de tranches de jambon sans couenne à Carrefour avec ma Volkswagen parce qu’il parait qu’il y a une super promo en ce moment. 

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