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Les nouvelles provocations géopolitiques du "néo-Sultan" Erdogan
©Reuters

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Après que des pays de l’Union européenne aient interdit des meetings politiques de ministres pro-Erdogan en Allemagne, en Belgique, ou en Autriche, dans le cadre de la campagne électorale en vue du référendum constitutionnel turc du 16 avril dernier - qui a donné au président turc les quasi pleins pouvoirs -, le néo-sultan Recep Taiyyp Erdogan avait violemment insulté l’Europe, "continent en train de pourrir", puis menacé les pays précités. Il veut pourtant relancer l’adhésion de son pays à l'Union européenne.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Quelques semaines après avoir déclaré que « plus aucun Européen ne pourra sortir dans la rue en sécurité » lorsque les musulmans d’Europe seront plus puissants et plus nombreux grâce à une natalité combative, la Turquie d’Erdogan qui viole tous les critères démocratiques européens et occupe illégalement 37% de l’île de Chypre puis menace militairement la Grèce à qui elle veut prendre les iles de la mer Egée, vient de déclarer sans vergogne qu’elle veut « poursuivre les négociations d'adhésion avec l’UE. "Notre pays qui fait partie sur les plans historique, géographique et culturel, depuis des siècles de l'Europe, veut poursuivre le processus en vue de l'adhésion à l'Europe, qui est un objectif stratégique", a écrit le président turc Erdogan dans une déclaration solennelle. Poussant le culot jusqu’à son comble, celui qui a bâti sa mutation idéologique « national-islamiste » sur l’alliance électorale avec l’extrême-droite antisémite du parti MHP, pendant politique des terribles milices fascistes des Loups Gris, s’est même permis de culpabiliser cette même Europe complexée - qu’il agresse continuellement et rackette (accords de dupes sur les réfugiés) et dont il exige soumission et respect – en affirmant qu’il ne « veut pas entendre parler de l'extrême-droite, du populisme et du sentiment anti-islam en Europe ».

Extraordinaire démonstration de double-standard et d’accusation miroir de la part de celui qui a réhabilité dans son pays la xénophobie anti-kurde la plus véhémente et la haine la plus décomplexée envers les Juifs et les Chrétiens, le sultan Erdogan a déploré - comme si de rien était et au nom d’une exigence d’introspection à sens unique - que ce « club chrétien » a suspendu des négociations d'adhésion lancées depuis 2005 pour faire plaisir aux voix de plus en plus nombreuses des « islamophobes » et de ceux qui veulent mettre fin de façon définitive aux négociations, fin qu’a pourtant scellée Erdogan lui-même en violant le droit européen.

Fort avec les faibles, faible avec les forts

Par ailleurs, le sultan irascible, qui ne laisse jamais rien passer aux Européens frappés de lâcheté stratégique et d’impuissance volontaire, semble bien moins menaçant et arrogant avec la Russie et les Etats-Unis, dont les leaders Poutine et Trump se laissent bien moins impressionner par lui et qui ont pourtant encore plus contredit les intérêts géopolitiques d’Ankara ces dernières années, notamment en Irak et surtout en Syrie, où les Russes soutiennent les forces du régime de Bachar el Assad et où les Etats-Unis viennent de renforcer leur alliance militaire et stratégique avec les milices kurdes qui combattent le mieux les jihadistes mais qui demeurent l’ennemi stratégique numéro un de la Turquie. Il est vrai que si Vladimir Poutine a su se faire respecter par Erdogan après la crise russo-turque (novembre 2015 : avion russe abattu par l’armée turque) en menaçant Ankara des pires représailles économiques et militaires, Donald Trump ne s’est pas non plus laissé impressionner par les menaces de déflagration proférées par la Turquie en représailles au soutien apporté par l’armée américaine aux Kurdes syriens. En effet, le président américain, certes « ami » de la Turquie, a clairement désigné les Jihadistes comme l’ennemi principal et les Kurdes comme l’allié majeur local, et il ne compte pas perdre les précieuses forces au sol kurdes face à Da’ech pour faire plaisir au sultan d’Ankara. D’évidence, l’Administration Trump est bel et bien en train de mettre en œuvre le pire scénario stratégique possible pour Erdogan en misant à fond (et en réarmant) sur les milices kurdes dans l’optique de l’offensive finale sur Raqqa (capitale de Daech). Ankara a dénoncé une décision "inacceptable" et « affligeante » qu’il espère la voir "rectifiée", rappelant ainsi que les milices kurdes de Syrie du PYD (considéré par Ankara comme une succursale du PKK combattu en Turquie comme une organisation terroriste kurde). Il est vrai que si l’on se place du point de vue de la Turquie, qui mène en effet un combat total contre le séparatisme kurde, son ennemi intérieur existentiel, la victoire de la coalition occidentalo-arabo-kurde à Raqqa contre Da’ech affaiblirait encore plus Ankara face à cet ennemi numéro un, puisque les milices kurdes syriennes du PYD seraient récompensées géopolitiquement - et donc territorialement - en Syrie, soit aux frontières mêmes de la Turquie… Ceci ne ferait par conséquent que galvaniser le moral des frères kurdes de Turquie de l’autre côté de la frontière, véritable cauchemar stratégique pour les nationalistes et stratèges turcs. C’est d’ailleurs en vertu de cette appréhension et du fameux adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami » que la Turquie d’Erdogan a longtemps aidé l’ensemble des islamistes radicaux sunnites en Syrie dont Da’ech lui-même, ennemi direct des Kurdes dont ils se disputent le Nord stratégique du pays.

Il est vrai que le président turc ne dispose pas envers les Etats-Unis de puissants moyens de rétorsion et de pression pour forcer Trump à changer de cap, à la différence des Européens pris au piège de leur culpabilité et du chantage sur les réfugiés que la Turquie menace de « faire déferler sur leur sol » s’ils ne « paient pas » toujours plus cher. Certes, Ankara a agité à l’endroit des Etats-Unis la menace de cesser sa coopération au sein de la coalition anti-Daech, par exemple en fermant la base aérienne de l’Otan d’Incirlick ou même en suspendant purement et simplement son partenariat stratégique avec l’OTAN. Mais comme cela est souvent le cas, la Turquie, maîtresse dans l’art du bluff, sait jusqu’où elle peut aller et met rarement ses menaces à exécution, surtout avec plus fort qu’elle, ceci d’autant que l’armée turque dépend de l’Alliance et a besoin d’elle pour son équipement et ses pièces détachées au moins autant et voire plus que l’inverse… Certes, cela la n’empêche pas Ankara, qui sait aussi que les Etats-Unis tiennent à la garder au sein du flanc sud de l’OTAN, hautement stratégique, de faire monter les enchères et de se « venger » tout en avalant la couleuvre kurde, notamment en envisageant de se doter d’une défense anti-aérienne russe (batteries de S-300 et 400) et en se rapprochant de l’OCS, l’organisation de la Coopération de Shanghai, sorte d’anti-OTAN créée par la Chine et la Russie en 2001 pour contrer les Etats-Unis à leurs portes et sur le continent eurasiatique.

Malgré cela, et même si Ankara pourrait accentuer les bombardements déjà réguliers sur les positions des alliés kurdes des Etats-Unis en Syrie, la Turquie d’Erdogan ne peut pas plus risquer une guerre contre l’armée des Etats-Unis et de la coalition en Syrie qu’elle n’a pu déclencher une guerre contre la Russie dans le même théâtre d’opération hautement sismique qu’est la Syrie. Et de même qu’Ankara a préféré une entente pragmatique avec la Russie en Syrie plutôt qu’un clash avec Moscou, ceci quitte à réduire drastiquement ses buts de guerre syriens, de même Erdogan ne peut pas se permettre de rompre avec l’allié américain ou même de renouer avec son alliance anti-kurde avec Da’ech, alliance avec le diable qui a été tant dénoncée par la coalition occidentale, l’Iran, la Russie et les pays arabes les plus anti-islamistes et qui s’est retournée contre Ankara (attentats attribué à l’EI en Turquie). C’est dans ce cadre psychologique et tactique qu’il faut analyser la prochaine rencontre entre le président Erdogan et son homologue américain Donald Trump (encore plus incontrôlable que lui), qui ne compte pas renoncer de sitôt à son alliance avec les Kurdes de Syrie.

Le fil à retordre israélien ou l’ennemi existentiel sioniste pour séduire le monde islamique

Au-delà de l’Union européenne, de la Russie et des Etats-Unis, trois drôles d’alliés qu’Ankara critique et irrite de plus en plus, la Turquie néo-ottomane post-kémaliste en voie de « national-islamisation » en veut aussi beaucoup à Israël, avec qui la réconciliation n’aura pas duré plus d’un an (suite à la grave crise de 2010 (affaire de la flotille de Gaza). Ainsi, les nouvelles provocations panislamistes et irrédentistes du sultan Recep Tayyip Erdogan qui a invité les « musulmans du monde entier à aller soutenir au mont du Temple de Jérusalem les Palestiniens génocidés par Israël » n’ont pas été appréciées par le Premier Ministre Benjamin Netanyahou, qui, à l’instar de Vladimir Poutine, sait que la Turquie d’Erdogan ne respecte pas la faiblesse et teste toujours les capacités de résistance et de réactions de ses partenaires, alliés ou amis. Erdogan - qui doit ses derniers succès électoraux et sa popularité auprès de l’extrême-droite turque à ses propos racistes anti-kurdes, anti-juifs et anti-européens - a d’ailleurs une fois de plus qualifié Israël de « raciste et discriminatoire », déclarant même durant l'ouverture du International Forum on Al-Quds Waqfs à Istanbul que « chaque jour d'occupation de Jérusalem est une insulte pour nous tous »…. En représailles, l’Etat hébreux a fait convoquer l’ambassadeur turc en Israël, Kemal Okem, tandis que le ministère israélien des Affaires étrangères a répondu à l’adresse du néo-sultan turc que « ceux qui violent systématiquement les droits de l'homme dans leur propre pays ne devraient pas faire la morale à la seule démocratie de la région. Israël protège la liberté de culte pour les juifs, les musulmans et les chrétiens, et continuera à le faire en dépit des diffamations infondées à son égard ». Et lorsqu’Erdogan a dénoncé, lors d'une rencontre à Istanbul avec le Premier ministre de l'Autorité palestinienne Rami Hamdallah, la « judaïsation de Jérusalem et de la Palestine », les officiels Israéliens ont répondu derechef: « Il est surprenant qu'Erdogan, qui dirige un État qui a occupé Israël pendant 400 ans, nous fasse la leçon sur la façon de gérer notre ville », dixit le maire de Jérusalem Nir Barkat. L’Europe, qui ne cesse de se laisser insulter, menacer, culpabiliser et diaboliser par la Turquie d’Erdogan, devrait s’inspirer de la façon dont Israël ou la Russie ont systématiquement su répondre du tac au tac et sans complexe aux provocations et attaques d’Erdogan, véritable animal politique qui ne comprends que les rapports de force et qui méprise par-dessus tout la faiblesse « provocatrice » et tentatrice des Européens frappés d’impuissance volontaire et de haine de soi.

Retour dans l’Union européenne, zone molle pour Erdogan

Obligé de s’excuser auprès de Vladimir Poutine durant l’été 2016, contraint de ronger son frein devant le président américain qui arme ses ennemis kurdes, et voyant dans Netanyahou un dur à cuir difficile à intimider et qui rend les coups, Erdogan va inévitablement se « rattraper » et laver son honneur sur le dos du « ventre mou européen », maillon faible de la civilisation occidentale qu’il déteste et sur lequel il est bien plus facile de frapper sans trop de risques que sur les Etats-Unis, la Russie ou Israël… C’est ainsi que le néo-sultan Erdogan, qui n’a pas digéré les interdictions de meetings en Allemagne et en Belgique lors de sa campagne référendaire sur ses pleins pouvoirs, a lancé une nouvelle provocation à l’occasion du prochain sommet de l’Otan qui se tiendra à Bruxelles les 24 et 25 mai prochains : Recep Erdogan envisage en effet de se rendre dans la capitale belge et européenne un ou deux jours plus tôt, dans le but d’y tenir une grande conférence auprès de l’importante communauté turque-musulmane de Belgique, celle qui a le plus voté en sa faveur durant les dernières consultations électorales. Plus arrogant et culoté que jamais, l’hyper-président-sultan tiendra alors un meeting de campagne en vue d’un nouveau référendum turc visant cette fois-ci à rétablir la peine de mort dans son pays, pied de nez incroyable de la part de celui qui exige de faire entrer la Turquie dans l’Union européenne tout en sachant que l’abolition de la peine de mort fait partie des causes de refus non-négociables pour l’intégration dans l’UE…

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