La Tunisie déstabilisée par les tensions avec les migrants<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des jeunes Tunisiens bloquent la route aux migrants lors de tensions à Sfax après l'enterrement d'un jeune Tunisien poignardé lors d'une échauffourée entre des habitants et des migrants d'Afrique subsaharienne, le 4 juillet 2023
Des jeunes Tunisiens bloquent la route aux migrants lors de tensions à Sfax après l'enterrement d'un jeune Tunisien poignardé lors d'une échauffourée entre des habitants et des migrants d'Afrique subsaharienne, le 4 juillet 2023
©HOUSSEM ZOUARI / AFP

Géopolitico Scanner

La mort d’un Tunisien dans des heurts avec des migrants africains est venue s’ajouter à un durcissement généralisé de l’attitude vis-à-vis des migrants dans le pays.

Salah El Gharbi

Salah El Gharbi

Salah El Gharbi est tunisien, universitaire, professeur de littérature française, il travaille essentiellement sur les textes de théâtre. Il est aussi romancier.

Voir la bio »

Atlantico : Un Tunisien a été tué ce lundi 3 juillet dans des heurts avec des migrants africains à Sfax, dans un contexte où l'immigration clandestine suscite de vives tensions depuis des mois. Comment ce drame est-il vécu en Tunisie ? Les tensions pourraient-elles encore monter d’un cran ?  A quel point le pays est-il déstabilisé par la situation actuelle ?

Salah El Gharbi : La mort d’un homme de 38 ans, qui aurait été poignardé par trois migrants camerounais, a plongé la ville de Sfax dans une situation de violence inouïe opposant des migrants subsahariens à des riverains. Cet incident dramatique traduit bien du degré de la tension qui dure depuis des mois entre les deux communautés, alimentée par le nombre croissant des nouveaux migrants clandestins venus du sud algérien, utilisant Sfax comme lieu de transit pour l’Italie.

D’ans l’ensemble, l’opinion est partagée entre ceux qui dénoncent le caractère discriminatoire du comportement des habitants qui ne cachent leur hostilité vis-à-vis de ces migrants et ceux qui appellent l’autorité à refouler ces derniers, devenus, selon eux, sources de troubles. Même si le calme est revenu, la situation reste précaire surtout que, à la suite des pourparlers entre les autorités tunisiennes et européennes, les côtes sont moins poreuses puisque l’on assiste, depuis quelques jours, à l’augmentation du nombre d’arrestations de migrants d’Afrique subsaharienne en mer, ce qui ne va pas aider l’impatience des autres migrants, candidats à la traversée du méditerranée.

Le président Kais Saied dénonce l’immigration clandestine en la présentant comme une menace démographique pour son pays. Quelle est la réalité de la menace ? Comment est-elle instrumentalisée ?

À Lire Aussi

La France, ses émeutiers et ses bugs d’intégration : quelques vérités bien senties venues du Maghreb

Une bonne majorité des soutiens du présidentsont des anti- migrants, actifs sur les réseaux sociaux. C’est plutôt à eux que s’adresse le discours de Kaïs Saied. Face à la réaction du camp « libéral » de l’opinionà l’intérieur comme à l’extérieur, ce dernier a dû rétropédaler. En fait, la supposée menace démographique n’est qu’un élément de discours.

D’ailleurs, aujourd’hui, tout le monde s’étonne et cherche à comprendre comment ces migrants, venus du sud algérien, puissent traverser les frontières clandestinement sans être inquiétés alors que le moindre frémissement à l’intérieur du pays indispose les autorités, par exemple. En fait, tant qu’il y a des filières de passeurs, soutenues par des forces souterraines, profitant du désordre ambiant et vivant du trafic des migrants, le flux va continuer. D’ailleurs, le trafic n’a jamais été aussi florissant qu’au cours de ces deux dernières années.

Ces crises qui agitent la Tunisie, berceau du printemps arabe, inquiètent profondément l'Occident. Dans quelle mesure ces inquiétudes sont-elles fondées ? Quels sont les risques potentiels pour l’Occident, l’Europe en tête ?

L’Europe est assez solide et n’a pas de raison de s’inquiéter.Il est vrai que la transition démocratique est en crise et que la gestation va être dure et lente. Le changementa été brutal. La population n’y était pas suffisamment prête. Durant cette décennie, on abeaucoup appris. Il va y avoir une période de flottement avant que la situation ne se stabilise. Le cafouillage qu’on connait aujourd’hui n’est que provisoire, du moins, je l’espère.

À Lire Aussi

La Tunisie, une grenade dégoupillée aux portes de l’Europe ?

Alors que des dissidents et des opposants politiques, dont Rached Ghannouchi, le principal chef de l'opposition du pays, ont été emprisonnés et que des limites sont imposées à la liberté d'expression, faut-il s’attendre à un durcissement du pouvoir et un basculement de la Tunisie vers un autoritarisme renforcé ?

Dans les pays du Tiers-monde, quand le pouvoir souffre d’un déficit de légitimité politique, il devient nerveux, agressif et n’a qu’une seule obsession qui celle de se sanctuariser. Pour y parvenir, il est réduit à faire des concessions, pour devenir in fine otage de la force brutale et pour asseoir son autorité, sans se douter qu’en tournant le dos au droit au profit de la force inique, il se fragilise. La Tunisieest un pays du tiers monde. Aujourd’hui, l’autoritarisme du système est stérile, le pays étant frappé d’immobilisme. Jusqu’à quand ? Je reste malgré tout optimiste.

La Tunisie peut-elle aujourd’hui faire l’économie d’un accord avec le FMI notamment face au défi migratoire ?

On vit depuis plus d’un an avec le feuilleton du FMI. On y va. On n‘y va pas. La décision semble avoir été tranchée par le calendrier électoral. Les présidentielles sont prévues pour 2024. Et ça tombe mal pour le président qui cherche à se présenter pour un second mandat. S’il cautionnait les recommandations du FMI, en diminuant le taux des subventions de l’Etat pour certains produits, il risquerait de faire des mécontents parmi ses soutiens. Par conséquent, il est tétanisé et réduit à faire du sur place, cherchant à gagner du temps dans l’espoir que la crise puisse passer sous l’effet d’un quelconque miracle. On a un pouvoir bicéphale : un président qui temporise et un gouvernement qui bricole, tout en naviguant à vue. Faute de courage politique, la crise ne pourrait que s’aggraver.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !