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La France pays modéré en Europe : ce que les Français pensent de l’Islam et des musulmans et pourquoi cela n’est pas la même chose
Une étude du Pew Research Center publiée récemment souligne que 29% des Français ont une vision défavorable des musulmans, soit l'un des taux de rejet les plus bas de toute l'UE. Une relative bonne image qui peut s’expliquer par différents facteurs.
Bernard Godard
Atlantico : Selon une étude du Pew Research Center publiée la semaine dernière (voir ici), 29% des Français ont une vision défavorable des musulmans, soit l'un des taux de rejet les plus bas de toute l'Union européenne. Comment interpréter ce chiffre ? Que révèle-t-il de la société française au regard du contexte qu'elle traverse ?
Bernard Godard : Ce chiffre de 29% est à rapprocher du 29% qui considérait que les musulmans représentaient une menace par le terrorisme (sondage Atlantico/Ifop de novembre 2015) ou du 29% des Français de confession juive qui déclaraient à IPSOS (sondage pour la Fondation du judaïsme) en janvier 2016 qu'ils ont rencontré un problème avec un maghrébin. Il est rassurant en ce que les Français au final considèrent l'appartenance religieuse comme secondaire par rapport à l'adhésion à la République. On avait déjà appris au travers d'un sondage du Pew en 2006, effectué en Allemagne, au Royaume-Uni et en France que cette dernière était le pays où les musulmans mettaient leur appartenance à la Nation comme prioritaire par rapport à leur appartenance religieuse. De manière surprenante, on apprend dans ce sondage que les sympathisants du Front National ne sont "que" 39% à refuser une place pour l'islam en France, alors que 50% des sympathisants de l'extrême droite sont hostiles à l'islam en Allemagne.
En fait, les Français, à l'occasion des attentats ont appris à faire le distinguo entre une vague menace de "remplacement" des natifs d'Europe par une immigration obsédante, d'une part et une menace terroriste aux racines djihadistes ou encore un communautarisme musulman qui s'imposerait, d'autre part. Cela dit beaucoup, au travers de l'acceptation du culte musulman, d'une confiance dans notre système laïque qui permet à toutes les religions de coexister. En revanche, cela ne dit pas non plus, par exemple, si on est pour l'existence d'une mosquée dans une ville, ou si on supporte difficilement des revendications concernant des pratiques identitaires au nom de l'islam. Mais, il semble acquis que les Français non musulmans considèrent que leurs concitoyens musulmans sont des victimes eux aussi du terrorisme.
Un sondage publié en avril dernier (voir ici) affirmait par ailleurs que la défiance envers la place de l'islam en France progressait parmi les Français. Au vu du contexte actuel, la bonne image relative de l'islam en France (par rapport à ses voisins européens) peut-elle s'effriter dans un avenir proche ? Comment l'image de l'Islam peut-elle différer de celle des musulmans de France ?
Cela paraît contradictoire mais ne l'est pas tant que ça. La circonspection des Français vis à vis le l'islam, qui est une réalité, il ne faut pas s'en cacher, vise avant tout la visibilité de l'islam dans l'espace public mais pas les musulmans eux-mêmes. Les "muslims", catégorie ethno-religieuse dans beaucoup de pays européens, ne l'est pas chez nous. Depuis plus de 50 ans, la France possède la proportion la plus importante de musulmans (de culture et de foi) en Europe. Les Français ont appris à connaître leurs concitoyens de foi musulmane, leur diversité, leurs perceptions de la société dans laquelle ils vivent. Le sondage que vous évoquez avait trait à une comparaison entre l'Allemagne et la France. La société allemande n'a pas accepté de plein gré l'afflux d'immigrés venant de Syrie ou d'Afghanistan. En outre le mouvement populiste Pegida a essayé de profiter du choc provoqué par les agressions contre des femmes par des demandeurs d'asile durant les fêtes de fin d'année à Cologne. Donc il faut resituer les sondages dans leur contexte.
Quant à l'image de l'islam en général en France, elle dépendra des efforts que tous ceux qui sont concernés par elle, en feront : les cadres religieux, les islamologues, les hommes de foi en général, les politiques, les journalistes et les enseignants bien sûr. La question n'est pas de minimiser les textes religieux musulmans vis à vis de leur contenu "guerrier", mais d'affirmer la distance nécessaire à la lecture des textes sacrés, d'affirmer la volonté d'appartenir à la communauté humaine, de mettre en avant ce qui réunit plutôt que ce qui sépare. Même si 71 % des sondés n'ont pas forcément une opinion défavorable de l'islam, les gens sont inquiets des manifestations de type identitaire. Ils ont surement conscience que ces manifestations (demande de menus halal, port du voile ou, pour une minorité, développement d'un salafisme en rupture de tout lien social) ne sont pas le fait des musulmans en général qui veulent vivre leur foi paisiblement. De la même manière le djihadisme atteint indistinctement tous les français, musulmans ou pas. Les Français ont malheureusement compris avec tous ces événements que la variable religieuse n'était pas un déclencheur suffisant pour pousser les criminels aux actes terroristes. Le récent drame de Nice nous l'a cruellement appris.
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