La France pays modéré en Europe : ce que les Français pensent de l’Islam et des musulmans et pourquoi cela n’est pas la même chose<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
La France pays modéré en Europe : ce que les Français pensent de l’Islam et des musulmans et pourquoi cela n’est pas la même chose
©

Politico Scanner

Une étude du Pew Research Center publiée récemment souligne que 29% des Français ont une vision défavorable des musulmans, soit l'un des taux de rejet les plus bas de toute l'UE. Une relative bonne image qui peut s’expliquer par différents facteurs.

Bernard Godard

Bernard Godard

Bernard Godard a été fonctionnaire jusqu'en 2008 au ministère de l'intérieur : d'abord officier de police aux RGX jusqu'en 1997, puis chargé de mission en cabinet ministériel (1997-2002) puis au Bureau central des cultes en charge des relations avec le culte musulman.
 
Il est l'auteur de La question musulmane parue en février 2015 chez Fayard, mais également co-auteur du Dictionnaire géopolitique de  l'islamisme (Bayard 2009) sous la  direction d'Antoine Sfeir et de Les musulmans en France (Robert Laffont, 2007 réédition Hachette pluriel  2009) avec Sylvie Taussig.
Voir la bio »

Atlantico : Selon une étude du Pew Research Center publiée la semaine dernière (voir ici), 29% des Français ont une vision défavorable des musulmans, soit l'un des taux de rejet les plus bas de toute l'Union européenne. Comment interpréter ce chiffre ? Que révèle-t-il de la société française au regard du contexte qu'elle traverse ? 

Bernard Godard : Ce chiffre de 29% est à rapprocher du 29% qui considérait que les musulmans représentaient une menace par  le terrorisme (sondage Atlantico/Ifop de novembre 2015) ou du 29% des Français de confession juive qui déclaraient à IPSOS (sondage pour la Fondation du judaïsme) en janvier 2016 qu'ils ont rencontré un problème avec un maghrébin. Il est rassurant en ce que les Français au final considèrent l'appartenance religieuse comme secondaire par rapport à l'adhésion à la République. On avait déjà  appris au travers d'un sondage du Pew en 2006, effectué en Allemagne, au Royaume-Uni et en France que cette dernière était le pays où les musulmans mettaient leur appartenance à la Nation comme prioritaire par rapport à leur  appartenance religieuse. De manière surprenante, on apprend dans ce sondage que les sympathisants du Front  National ne sont "que" 39% à refuser une place pour l'islam en France, alors que 50% des sympathisants de l'extrême droite sont hostiles à l'islam en Allemagne.

En fait, les Français, à l'occasion des attentats ont appris à  faire le distinguo entre  une vague  menace de "remplacement" des natifs d'Europe par une immigration obsédante, d'une part et une menace terroriste aux racines djihadistes ou encore un communautarisme  musulman qui s'imposerait, d'autre part.  Cela dit beaucoup, au travers de l'acceptation du culte musulman, d'une confiance dans notre système laïque qui  permet à  toutes les  religions de coexister. En revanche, cela  ne dit  pas  non plus, par exemple, si on est  pour l'existence d'une mosquée dans une ville,  ou si on supporte difficilement des revendications concernant des  pratiques identitaires au nom de l'islam. Mais, il semble acquis que les Français non musulmans considèrent que leurs concitoyens musulmans sont des victimes eux aussi  du  terrorisme.

Un sondage publié en avril dernier (voir ici) affirmait par ailleurs que la défiance envers la place de l'islam en France progressait parmi les Français. Au vu du contexte actuel, la bonne image relative de l'islam en France (par rapport à ses voisins européens) peut-elle s'effriter dans un avenir proche ? Comment l'image de l'Islam peut-elle différer de celle des musulmans de France ?

Cela paraît contradictoire mais ne l'est pas tant que ça. La circonspection des Français vis à vis le l'islam, qui est une réalité, il ne faut pas s'en cacher, vise avant tout la visibilité de l'islam dans l'espace public mais pas les musulmans eux-mêmes. Les "muslims", catégorie ethno-religieuse dans beaucoup de pays européens, ne l'est pas chez nous. Depuis plus de 50 ans, la France possède la proportion la plus importante de musulmans (de culture et de foi) en Europe. Les Français ont appris à connaître leurs concitoyens de foi musulmane, leur diversité, leurs perceptions de la société dans laquelle ils vivent. Le sondage que vous évoquez avait trait à une comparaison entre  l'Allemagne et la France. La société allemande n'a pas accepté de  plein gré l'afflux d'immigrés venant  de Syrie  ou d'Afghanistan. En outre le mouvement populiste Pegida a essayé de profiter du choc provoqué par les agressions contre des femmes par des demandeurs d'asile durant les fêtes de fin d'année à Cologne. Donc il  faut resituer les sondages dans leur contexte.

Quant à l'image de l'islam en général en France, elle dépendra  des efforts que tous ceux qui  sont concernés par elle, en feront : les cadres religieux,  les  islamologues, les hommes de foi en général, les politiques, les  journalistes et les enseignants bien sûr. La question n'est  pas de minimiser les textes religieux musulmans vis à vis de leur contenu "guerrier", mais  d'affirmer la distance nécessaire à la lecture des textes sacrés, d'affirmer la volonté d'appartenir à la communauté humaine, de mettre en avant ce qui réunit plutôt que ce qui sépare.  Même si 71 % des sondés n'ont pas forcément une opinion défavorable de l'islam, les gens sont inquiets des manifestations de type identitaire. Ils ont surement conscience que ces manifestations (demande de menus halal, port du voile ou, pour une minorité, développement d'un salafisme en rupture de  tout lien social) ne sont pas le fait des musulmans en général qui veulent vivre leur foi paisiblement. De la même manière le djihadisme atteint indistinctement tous les français, musulmans ou pas. Les Français ont malheureusement compris avec tous ces événements que la variable religieuse n'était pas un déclencheur suffisant pour pousser les criminels aux actes terroristes. Le récent drame de Nice nous l'a cruellement appris.

En 2006, le Pew Research Center (voir ici) indiquait que la proportion de français musulmans se considérant comme citoyens nationaux avant d'être des musulmans était la plus élevée des pays européens. Comment a pu évolué cette tendance depuis ces 10 dernières années ? 

L'enquête de 2006 avait effectivement mis en exergue le plus grand sentiment d'appartenance des musulmans français à leur pays. En dix ans, est que les choses ont tant changé que ça ? Deux phénomènes ont changé un peu la donne : 
- la mise en place à partir de 2007 de l'affirmation d'une "identité nationale" qui sommait tous les français de se couler dans un moule de type "maurassien" qui plaçait les musulmans, entre autres,  un peu trop "visibles"  de se faire plus discrets. Si la sécularisation des musulmans - celle de l'islam en France se fera, mais plus lentement - est un phénomène irréversible, les sommations de ce type ne font que ralentir le processus.
- une sorte d'affirmation identitaire dont certains aspects ne sont pas forcément une preuve de refus d'intégration (généralisation du port du voile chez certaine jeunes filles) mais dont d'autres (fondamentalisme salafiste ou refus de la laïcité au travail ou à l'école) sont inquiétants.
Cela a pu entre autres développer des sentiments de non appartenance à la nation française, c'est une réalité  qui peut être inquiétante. Le sentiment du "eux" (les "Français")  et nous (les "muslims") est porteur de rupture qui peut complètement à la marge verser dans le djihadisme. Le sentiment de victimisation, réel ou supposé et la popularité des thèses conspirationnistes font le reste. Mais il ne faut pas tout de même verser dans le pessimisme.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Pas le même passé colonial, pas les mêmes choix sur l'immigration... mais le même terrorisme en Belgique qu'en France : ce que les attentats de Bruxelles nous apprennent sur l'islam radical et son rapport à l'EuropeComment les autorités et la plupart des médias ont retardé la prise de conscience sur l’islamisme depuis les années 2000

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !