L'abandon des Harkis par la France de de Gaulle est-il pardonnable? Retour sur une repentance qui dérange bien plus les antiracistes xénophiles que d'autres "mémoires" indigènes...<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie à la mémoire des Harkis, des Algériens qui ont aidé l'armée française, à l'Elysée, le 20 septembre 2021.
Le président Emmanuel Macron prononce un discours lors d'une cérémonie à la mémoire des Harkis, des Algériens qui ont aidé l'armée française, à l'Elysée, le 20 septembre 2021.
©GONZALO FUENTES / PISCINE / AFP

Géopolitico Scanner

Emmanuel Macron a prononcé un discours, le 20 septembre, envers les Harkis, ces combattants algériens abandonnés par milliers à la fin de la guerre d’Algérie. La demande de pardon faite par Emmanuel Macron aux Harkis et à leurs familles marque une véritable rupture.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Jean-Michel Nogueroles

Jean-Michel Nogueroles

Jean-Michel Nogueroles est Avocat international et économiste de formation. Docteur en droit (Paris 1), Diplômé de Sciences Po (Economie et Finance), Master en économie appliquée de l’Université autonome de Barcelone et Master of Laws de l’université de Berkeley. Vice-président de l’association Harkis, Honneur, Histoire. Candidat aux élections législatives dans la cinquième circonscription des Français de l’étranger. Radicalement républicain – patriote et européen, viscéralement méditerranéen, issu d’une famille rapatriée d’Algérie, ayant la double nationalité française et espagnole.

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Après la récente demande de "pardon" d'Emmanuel Macron aux Harkis, déclaration qui a suscité maints débats et controverses, notamment en raison du fait que le président Français avait quelque temps plus tôt rendu hommage aux bourreaux des Harkis et même dénoncé les "crimes contre l'humanité" de la France en Algérie, notre chroniqueur a rencontré Jean-Michel Nogueroles, avocat international et vice-président de l’association Harkis, Honneur, Histoire, l'un des meilleurs connaisseurs du terrible sort réservé aux Pieds-noirs et aux Harkis en 1962 et qu'Alexandre Del Valle assimile au "péché originel de la Vème République".

Pour lui, le geste mémoriel de Macron va dans le bon sens, et il serait intellectuellement malhonnête de ne pas le saluer sous prétexte que cette réparation est arrivée après des déclarations passées qui ont au contraire alimenté le narratif francophobe et victimisme des nationalistes algériens, ou sous prétexte que ce geste est motivé par des arrière-pensées électorales, moins de 8 mois avant l'échéance présidentielle. Notre avocat-historien y voit donc le début de la reconnaissance - certes tardive - d'une énorme injustice. Toutefois, il estime que le président français "pourrait mieux faire" en allant jusqu'au bout de cette logique réparatrice qui n'est pas selon lui, contrairement à ce qu'a déclaré Eric Zemmour, une énième repentance culpabilisante, mais un devoir de justice et de patriotisme républicain. Car les Harkis étaient des « Français à part entière » et « par le sang versé », des amoureux et des combattants de la France, l'opposé exact des indigénistes d'aujourd'hui animés par une haine du pays. Ils furent honteusement livrés totalement désarmés, en vertu des accords d'Evian, à leurs bourreaux algériens du FLN revanchards.

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Nous avons rencontré ce Niçois de naissance, fils de Pieds noirs d’origine espagnole, à Barcelone, où il réside depuis quelques années. Radicalement républicain par tradition familiale, ce franco-espagnol foncièrement méditerranéen dans l’âme est à l'image de la population européenne d’Algérie qui était composée d’un mélange d'italiens, de Maltais, de Français et d'Espagnols. Ce défenseur de la mémoire des rapatriés est revenu en détail sur le discours d’Emmanuel Macron à propos des Harkis, et il a voulu rétablir un certain nombre de vérités historiques concernant l’horreur qu’ils ont subie.

Alexandre del Valle : Jean-Michel Nogueroles, vous êtes candidat aux élections législatives dans la cinquième circonscription des Français de l’étranger, qui inclut la péninsule ibérique et Monaco, ceci sous les couleurs d'Objectif France, et vous êtes passionné d'histoire politique. Comment avez-vous donc reçu la reconnaissance du drame des Harkis par Macron qui leur a même promis de les dédommager et leur a demandé pardon, ceci peu après avoir fait de même avec leurs bourreaux ?

Jean-Michel Nogueroles : Le discours du président de la République du 20 septembre constitue à certains égards une avancée mais laisse néanmoins flotter un parfum d’ambiguïté, un flou politique. Comme le rappelait Albert Camus « mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. » Faire état d’un « manquement » de la France à elle-même, alors qu’il s’agit de crimes d’une extrême gravité dont les Français n’ont pas été informés, dessert à mon sens l’objectif de nécessaire clarification pour les générations futures, sans laquelle aucune réparation envers nos concitoyens et aucune réconciliation des mémoires ne sera véritablement possible.

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Ce qui s’est passé en Algérie, après l’entrée en vigueur des accords d’Evian le 19 mars 1962 - que l’on célèbre de manière erronée comme la date de l’arrêt des combats - constitue tout simplement un scandale absolu presque totalement méconnu (sauf des initiés), dont la portée historique et juridique n’a pas encore été véritablement appréciée. La grande majorité des Français musulmans, engagés du côté de la France et restés en Algérie ont été massacrés à la suite des accords d’Evian. Selon une note du Général Porret (note pour le cabinet du Ministre en date du 4 avril 1977), en sa qualité de chef du Service Historique du ministère de la Défense, le nombre de victimes des massacres par l’ALN/FLN de Harkis et autres français musulmans, après le cessez-le-feu, serait d’environ 150.000 personnes (certains historiens évoquent un nombre plus réduit d’au moins 50.000 victimes). Compte tenu de l’ampleur de ces massacres prévisibles commis par le FLN contre les Français musulmans (préalablement engagés du côté de la France au cours de la guerre), compte tenu du désarmement des Harkis sur ordre du gouvernement français de l’époque et compte tenu du refus strict de ce dernier de les rapatrier (menaçant de sanctionner tout officier qui désobéirait – voir les directives secrètes du 12 mai 1962 des ministres Louis Joxe et Pierre Messmer), il serait juste et raisonnable de reconnaître enfin aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’un simple « manquement ». En outre, ce n’est en aucun cas un « manquement » de la part de la France car les vaste majorité des Français en 1962 n’en ont rien su...  On a tellement cherché à cacher cette réalité-là aux Français que les milliers de familles de Harkis qui ont pu échapper aux massacres (grâce à la désobéissance d’officiers français courageux) et arriver jusqu’en France, ont été scandaleusement parquées dans des camps gardés (anciennement dédiés aux républicains espagnols puis aux juifs arrêtes par Vichy). Ces familles de Harkis n’en sont sorties qu’à partir de 1974, grâce à l’action du président Valery Giscard d’Estaing relayée par son ministre de l’intérieur, Ministre Poniatowski. S’il y a donc des responsabilités à rechercher, elles sont celles du pouvoir exécutif qui dirigeait la France entre avril et septembre 1962 (doté exceptionnellement de pouvoirs étendus en vertu de l’article 16 de notre Constitution) mais en aucun cas des citoyens français ou de la France en général. Cela serait salutaire que cette vérité soit enfin officiellement reconnue et que l’on ait le courage de nommer les choses !

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ADV : Que répondez-vous à ceux qui disent que le pouvoir gaulliste de l’époque aurait été contraint d’abandonner pieds noirs et Harkis et qu’ils ont fait "ce qu’ils ont pu" ?

JMN : Je ne le pense pas, car l’abandon de l’Algérie qui a été livrée au FLN (instaurant une dictature militaire de parti unique) fut un choix politique pleinement assumé par le Général De Gaulle. Ce choix en faveur d’une Algérie FLN est devenu progressivement perceptible (d’abord au sein de l’armée) à partir du mois de juin 1960 : date à laquelle le président De Gaulle fit échouer la tentative de reddition, dans le cadre de la « paix des braves », des maquis du FLN (à l’intérieur de l’Algérie) - proposée par le commandant Si Salah de la 4ème Wilaya du FLN.  Alors qu’il discutait secrètement avec Si Salah en vue d’une reddition générale (Si Salah ayant été reçu à l’Elysée dans la nuit du 10 juin 1960) – De Gaulle préféra lancer un appel radiodiffusé le 14 juin 1960 au gouvernement auto-proclamé de la République Algérienne (le « GPRA ») basé à Tunis. Cet appel public fut perçu, par une bonne partie de l’armée et par le FLN, comme le sabordage des négociation directes en cours avec les combattants FLN de l’intérieur. Le commandant Si Salah, à la suite de cet appel radiodiffusé lancé par De Gaulle, a été arrêté par ses propres lieutenants. Il finit par être exécuté dans des circonstances qui demeurent assez troubles (abattu par erreur par un commando de choc de l’armée française alors qu’il était prisonnier du FLN ?). Le Président De Gaulle a donc fait un choix politique de plus en plus clair en faveur de la sécession de l’Algérie et du GPRA du FLN comme interlocuteur unique, plutôt que de poursuivre sa politique initialement annoncée de décolonisation de l’Algérie dans un cadre fédéral rattaché à la France. Pour mémoire, cette dernière solution, qualifiée « d’indépendance-association », avait été mise en avant lors du discours du président De Gaulle du 16 septembre 1959 - réitérant son offre de « paix des braves » dirigée aux maquis du FLN (à l’intérieur de l’Algérie) tout en préconisant l’auto-détermination afin de valider par voie de référendum cette solution politique française lorsque la paix serait revenue.

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ADV : Certains refusent de mettre dans le même sac pieds noirs et Harkis, mais d’autres y souscrivent, ou encore disent que les rapatriés sont les Français ou les Européens d’Algérie seulement. Qu'en est-il vraiment ?

JMN : Ceux que l’on appelle les pieds-noirs – ces européens rapatriés d’Algérie, pour la plupart français nés en Algérie – et ceux que l’on appelle les Harkis, ces Français de confession musulmane rapatriés d’Algérie - après s’être engagés du côté de la France parce qu’ils souhaitaient tout simplement demeurer Français – sont, selon le prisme républicain qui est celui de la France et dont je suis très fier, tous pleinement Français et ce, quelles que soient leurs origines et leurs confessions. C’est cette complexité historique qui échappe encore et qui est souvent omise dans les explications succinctes que l’on donne concernant l’engagement des Harkis au cours de la guerre d’Algérie. En effet, les Harkis ne sont pas des « Algériens engagés du côté de la France » au cours de la guerre d’Algérie. Les Harkis sont bien des « citoyens français à part entière », de confession musulmane, qui habitaient en Algérie (composée de départements français) et qui souhaitaient tout simplement demeurer français (ce que les musulmans d’Algérie étaient pleinement devenus, selon les mots prononcés par le Général De Gaulle le 4 juin 1958, et en vertu d’une ordonnance du 15 novembre 1958). La raison principale de leur engagement massif a été la mise en œuvre à partir de 1958 d’un projet politique ambitieux (esquissé dès 1955), porté par le Gouvernement français, pour une « Algérie nouvelle » décolonisée dans le cadre de la République Française (tout comme la Polynésie Française ou la Martinique).

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Selon un rapport officiel (cité par Benjamin Stora dans Histoire de la guerre d’Algérie - La Découverte – 1992, page 80), établi par le Contrôleur général aux armées Christian de Saint-Salvy et transmis à l'O.N.U le 13 mars 1962 (soit cinq jours avant la signature des Accords d’Evian) : on comptait en Algérie, 263 000 Français musulmans d’Algérie directement engagés du côté français (60 000 militaires réguliers, 153 000 supplétifs, dont 58 000 harkis (supplétifs de l’armée), 20.000 moghaznis (éléments de police locale), 15.000 membres de Groupes mobiles de protection rurale (GMPR, assimilés aux CRS), et 60.000 membres groupes civils d’auto-défense, et 50 000 notables francophiles (élus, anciens combattants et fonctionnaires), qui représentaient avec leurs familles, près de 1 500 000 personnes, potentiellement menacées sur environ 8 millions de musulmans d’Algérie.

Selon le ministère algérien des Anciens combattants, il y a eu au total 132.290 Algériens qui ont servi dans l'ALN(Armée de Libération Nationale – branche armée du FLN), dont 71.392 ont été tués (source citée par Maurice Faivre dans « Les combattants musulmans de la guerre d’Algérie, des soldats sacrifiés », Paris – Harmattan – 1995, p. 125). Cet état de fait (au total, deux fois plus de Français musulmans d’Algérie engagés du côté de la France que de musulmans algériens engagés dans l’ALN) ne résulte pas d’un hasard ! Les propositions politiques émanant du sommet de l’Etat (président de la République et gouvernement), relayées notamment par l’armée auprès de la population musulmane d’Algérie, ont été la principale raison de cet engagement massif. Le slogan d’une « Algérie nouvelle » était devenu le mot d’ordre de toute une armée et d’une administration, se présentant désormais comme post-coloniales. Cet élément est sans doute essentiel : l’Algérie, en majeure partie rurale, était sous-développée économiquement et la France pouvait être légitimement perçue comme meilleure garante de l’avenir des générations futures, en vue de la réalisation d’un objectif de développement, dans le respect des droits civiques et de la dignité de tous. C’est bien cela qui a massivement convaincu les Français musulmans d’Algérie qui se sont ouvertement engagés du côté de la France ! La violence terroriste « révolutionnaire » du FLN y était sans doute aussi pour beaucoup.

ADV : A côté des gaullistes, le socialiste maire de Marseille Gaston Deferre ou la militante de gauche Gisèle Halimi n’ont pas été tendres dans le passé avec les pieds noirs et les Harkis..., comment expliquez-vous ce double standard en matière d’antiracisme ?

JMN : Les pieds-noirs ont parfois été mal accueillis en métropole mais aussi parfois très bien accueillis. Il ne faut pas généraliser. Il est évident qu’aujourd’hui, la question de l’appartenance des pieds-noirs à la communauté nationale ne se pose pas et semble même décalée. On pourrait toujours citer, afin d’illustrer votre question, les déclarations remarquées du maire de Marseille, Gaston Deferre, en juillet 1962, faisant la une des journaux Paris-Presse et Le Méridional : « Que les pieds-noirs aillent se réadapter ailleurs ! ». En tant que fils de pieds-noirs, je préfère ne pas commenter ce qui est devenu tout autant ridicule que méprisable. Les Harkis rapatriés (qui avaient pu échapper aux massacres) ont hélas subi un traitement extrêmement différent de celui des pieds-noirs puisque l’on a voulu occulter ce qu’ils représentaient (un groupe important de Français musulmans d’Algérie attachés à la France), jusqu’à vouloir cacher leur existence, en les maintenant à l’abri des regards, au mépris des principes juridiques les plus fondamentaux, dans des camps gardés pendant plus de 12 ans.

C’est la prise de conscience de ce traitement fort inégal et totalement injuste, qui est à l’origine de mon engagement associatif militant pour rétablir l’honneur et la mémoire des Harkis. C’est la raison pour laquelle, je me suis récemment senti obligé de publier une tribune chez votre confrère FILD, concernant la question de l’éventuelle panthéonisation de la militante politique Gisèle Halimi. Pour mémoire, interrogée, au micro de France Inter le 3 mai 2010, sur le fait de savoir si la femme ne serait pas parfois selon elle la meilleure ennemie de la femme, Gisèle Halimi avait répondu : « oui, cela arrive hélas … Moi, j’ai appelé ça, en référence à la guerre d’Algérie, les femmes harkis, les femmes harkis malheureusement cela existe ». Ce mépris et ces insultes envers nos compatriotes, Français musulmans rapatriés d’Algérie, assimilés par certaines élites, se prétendant progressistes, à des « traîtres », sont tout à fait insupportables. Cela mérite d’être affirmé avec force. Ces jugements à l’emporte-pièce sont avant tout simplistes et surtout erronés. Ils se contentent d’appliquer, avec beaucoup de facilité, un modèle simplificateur de prêt-à-penser hegelo-marxiste (la dialectique du maître et de l’esclave transposée aux « colonisés » et aux « colonisateurs ») dans un espace-temps (celui de l’Algérie de 1958-1962) dont le grand enchevêtrement humain échappe encore. Ils n’intègrent pas la complexité historique, sociologique, ethnique et confessionnelle de l’Algérie à cette époque (très bien décrite, notamment, par Albert Camus – Actuelle III – Chronique algérienne – 1958 ou encore par Germaine Tillon – L’Algérie en 1957). Au demeurant, l’ampleur du massacre massif de ces Français abandonnés devrait au moins appeler à un minimum de retenue sinon de respect. Pour mémoire, le gouvernement français d’alors - qui ne voulait pas du rapatriement des Français musulmans – a tout fait pour l’empêcher. Louis Joxe, ministre d’État aux Affaires algériennes, adresse au Haut-Commissaire de la République en Algérie un télégramme n°1676 avec les mentions « très secret », « priorité absolu » en date du 12 mai 1962 :

« Les renseignements qui me parviennent sur les rapatriements prématurés de supplétifs (terme militaire désignant les Harkis) indiquent l’existence de véritables réseaux tissés sur l’Algérie et la métropole dont la partie algérienne a souvent pour origine un chef de SAS (…). Les supplétifs débarqués en métropole en dehors du plan général de rapatriement seront en principe renvoyés en Algérie… Je n’ignore pas que ce renvoi peut être interprété par les propagandistes de la sédition comme un refus d’assurer l’avenir de ceux qui nous sont demeurés fidèles. Il conviendra donc d’éviter de donner la moindre publicité à cette mesure mais ce qu’il faut surtout obtenir c’est que le Gouvernement ne soit plus amené à prendre une telle décision. Signée : Louis Joxe ».

Pierre Messmer, ministre des Armées, relaye immédiatement, aux autorités militaires, la directive de Louis Joxe, dans un autre télégramme n°1334 en date du 12 mai 1962, envoyé au Général Commandant supérieur interarmées (le Général Fourquet) à Réghaia en Algérie et au Haut-Commissariat en Algérie, le 12 mai 1962 :

« Il me revient que plusieurs groupes d’anciens harkis seraient récemment arrivés en métropole – stop – [...] Dès maintenant toutefois je vous prie : [...] Primo – d’effectuer sans délai enquête en vue déterminer conditions départ d’Algérie de ces groupes incontrôlés et sanctionner officiers qui pourraient en être à l’origine. – stop – [...] informer vos subordonnés que, à compter du 20 mai, seront refoulés sur l’Algérie tous anciens supplétifs qui arriveraient en métropole sans autorisation de ma part, accordée après consultation des départements ministériels intéressés Signé : P. Messmer. »

Interpellé sur le sujet par des représentants de l’association Harkis Honneur Histoire en 2003 à Nice (dont votre serviteur), Pierre Messmer reconnaîtra avoir bien été l’auteur de cette directive (ce qu’il réitéra ensuite au cours d’interviews devant des journalistes). Il se justifia en rappelant qu’il avait « obéi aux ordres ». Mais allons au bout des choses : aux ordres de qui ? Dans C’était De Gaulle, tome I (page196), Alain Peyrefitte rapporte les échanges qui ont eu lieu au Conseil des ministres du 25 juillet 1962 :

Pierre Messmer, Ministre des armées, demande : « Des harkis et des fonctionnaires musulmans, les moghaznis, se disent menacés, d’où des demandes qui viennent à la fois des autorités civiles et militaires. Il faut prendre une position de principe. ».

De Gaulle répond : « On ne peut pas accepter de replier tous les musulmans qui viendraient à déclarer qu’ils ne s’entendront pas avec leur gouvernement ! Le terme de rapatriés ne s’applique évidemment pas aux musulmans : ils ne retournent pas dans la terre de leurs pères. Dans leur cas, il ne saurait s’agir que de réfugiés ! Mais on ne peut les recevoir en France comme tels que s’ils couraient un danger ! ».

Pour le président De Gaulle, la question était donc claire : les Harkis ne pouvaient être rapatriés car ils n’étaient pas de (vrais) Français… Cette déclaration en Conseil des ministres est d’autant plus consternante et choquante qu’elle a arrêté la position du gouvernement français, en contrevenant aux dispositions juridiques applicables et aux principes républicains et de droit humanitaire les plus fondamentaux.

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