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Des casseurs aux zadistes en passant par Nuit Debout, l'extrême-gauche est partout dans les médias mais combien de divisions réelles dans les urnes ?
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Ultra-présente tout au long des manifestations contre la loi Travail, la gauche radicale s'était encore donnée rendez-vous sur la place de la Bastille ce mardi. Pour autant, malgré une visibilité hors du commun, cette nébuleuse politique connaît un véritablement tassement électoral.

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque

Sylvain Boulouque est historien, spécialiste du communisme, de l'anarchisme, du syndicalisme et de l'extrême gauche. Il est l'auteur de Mensonges en gilet jaune : Quand les réseaux sociaux et les bobards d'État font l'histoire (Serge Safran éditeur) ou bien encore de La gauche radicale : liens, lieux et luttes (2012-2017), à la Fondapol (Fondation pour l'innovation politique). 

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Atlantico : Ce mardi 5 juillet, la gauche radicale participait à des rassemblements place de la Bastille, à Paris, pour protester contre le retour du texte de la loi Travail à l'Assemblée. Quel portrait peut-on dresser de cette gauche radicale, entre les opposants "durs" à la loi Travail, les casseurs, les zadistes ? Si l'on fait abstraction de leur poids médiatique, quel est leur poids politique réel ? 

Sylvain Boulouque : Il n'y a pas, dans le cadre de l'extrême-gauche, de portrait type du militant. Dans les faits, il existe une forte pluralité des militants de la gauche radicale, dont le poids semble particulièrement important en raison de leur dimension activiste. Parce qu'ils sont des activistes – et c'est là quelque chose d'ancré dans les gènes de la gauche radicale, qui se définit même en partie autour de cela – ils sont en mesure d'exercer une activité militante pratiquement 24h sur 24. C'est ainsi que la gauche radicale parvient à une présence quasi ininterrompue sur les différents terrains d'actions qu'ils privilégient (la rue, certes, mais également les publications où ils peuvent être particulièrement prolifiques). C'est de là que naît le sentiment de nombre et de sur-présence.

Pour autant, leur poids politique réel reste évidemment à pondérer. En vérité, il est même inversement proportionnel à leur activisme, qui leur permet d'occuper le terrain avec une poignée de militants en termes de ressources humaines. Leur nombre est très réduit. Cependant, il m’apparaît important de préciser que nous ne sommes pas, dans le cas de la gauche radicale, dans une configuration comparable à celle des partis politiques plus traditionnels : il n'y a pas de cœur électoral qui se mobiliserait davantage que les autres, tandis que les différentes couches participeraient plus occasionnellement aux mobilisations. Ici, la configuration militante est différente : l'ensemble des gens militent et le font sur toutes les mobilisations. C'est une façon de vivre différente, qui contribue à l'activisme de la gauche radicale et donc, au final, à lui donner une ampleur médiatique et politique largement supérieure à celle que son nombre lui permettrait de prétendre, du point de vue de la mobilisation.

Comment se répartissent-ils d'un point de vue électoral ? Combien d'entre eux votent respectivement pour le Parti communiste, Jean Luc Mélenchon, le NPA ou Lutte ouvrière ?

C'est une question à laquelle il est complexe de répondre, dans la mesure où le nombre d'activistes varie selon les partis concernés. Leur répartition au sein de l'extrême-gauche est très variable.

Sur le plan plus global, il est possible de souligner que la sensibilité d'extrême-gauche représente environ 10 à 12% de la population française. Parmi ces 10 à 12%, on constate qu'ils sont près de 80% à se diriger vers Jean-Luc Mélenchon. NPA et Lutte ouvrière se partagent à peu près équitablement le reste. Toutefois, il reste primordial de préciser que tout un pan des militants, pour des raisons diverses et variées comme le fait de ne pas se reconnaître dans le système en place, ne votent pas. Il n'y a pas, à l'extrême-gauche française, d'unicité. La division y est particulièrement forte et la dimension abstentionniste de cet électorat ne l'est pas moins.

S'il fallait cependant revenir sur la répartition de cet électorat, il est possible de le découper entre ceux qui votent pour Jean-Luc Mélenchon et pour le PC (du fait du partenariat qui associait les deux jusqu'à la dislocation du Front de Gauche), dont la distinction est très compliquée, et entre le NPA et Lutte Ouvrière. Globalement, les deux derniers rassemblent chacun 1% des voix quand le PC et Mélenchon parvenaient à rassembler environ 10%.

Quels sont les différents profils sociologiques représentés au sein cette gauche radicale ? Quelles catégories socio-professionnelles, quelles classes d'âge selon chacune de leurs affinités politiques ?

Sur le plan purement sociologique, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou (NPA) et Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) rassemblent des personnalités assez similaires. On trouve dans leurs électorats des fonctionnaires, aussi bien territoriaux que nationaux. Y figurent également des employés des services publics, comme cela peut-être le cas pour les cheminots, qui ont le statut de la fonction publique. Avec eux, on trouve aussi des employés des secteurs commerciaux divers et variés ainsi que, bien évidemment, un noyau d'ouvriers. Celui-ci est vieillissant et constitue un héritage du Parti communiste, qui continue de voter pour la gauche radicale.

Les fonctionnaires représentent une part très conséquente de cet électorat, mais ils ne sont pas majoritaires dans le vote de la gauche radicale. Il s'agit essentiellement d'employés, provenant des services publics comme du privé.

On constate des différences plus importantes entre les candidats mentionnés sur la question de l'âge des électeurs. Philippe Poutou séduit notamment un électorat âgé de 25 à 40 ans, à forte composante estudiantine. Jean-Luc Mélenchon, pour sa part, construit davantage son vote autour d'une forte proportion d'ouvriers, résidus du Parti communiste. Il peut également compter sur le monde enseignant où il est particulièrement représenté. En matière d'âge, précisément, 2012 permet de constater qu'il touche essentiellement les + de 50 ans et les 18-35 ans. Ce sont ses deux segments forts.

La gauche radicale connaît-elle aujourd'hui un tassement ? Quelles ont été les évolutions de ces différents courants au cours de ces dernières années ? Comment explique-t-on leur hyper-visibilité médiatique et la surestimation de leur poids politique ? 

Effectivement, la gauche radicale souffre aujourd'hui d'une certaine forme d'effet ciseaux : d'une part elle jouit d'une visibilité très importante, du fait de son activisme mais aussi parce qu'elle demeure ancrée dans un univers socioculturel particulièrement cultivé et capable de relayer médiatiquement ses propos. D'autre part, et c'est un deuxième élément très important, elle périclite dans le reste de la population. Son écho est en baisse auprès du reste des Français et son audience est plus importante que ne l'est réellement son influence. Cette surreprésentation, en dépit du déclin de la gauche radicale dans l'opinion et dans les votes ne représente pas de risque particulier pour elle, en-dehors de la possibilité – sur le long terme – d'une usure de certains de ses militants face à un combat qui ne semble pas avancer.

Ce déclin est ancien et ne date pas de la précédente élection présidentielle : en vérité, il faut remonter à la chute du Mur de Berlin. Depuis la fin du communisme, l'extrême-gauche recule. Elle disposait d'un certain nombre de bastions, d'éléments de forces qui se sont maintenus jusqu'à présent, mais qui ont néanmoins tendance à se rétracter au fur et à mesure. Les banlieues rouges, dont il ne reste presque plus que Saint-Denis, en sont le parfait exemple.

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