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COP24 : Cette improbable histoire d’amour verte (si, si) qui s’est nouée entre la Pologne et la Chine
©DAVID MCNEW / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Green

La Pologne et la Chine sont entrées dans une logique similaire de diminution de leur dépendance au charbon. La politique européenne est assez chaotique sur ce point et n’encourage pas suffisamment le protectionnisme ou la transition énergétique, ce qui ouvre des portes à l'Empire du milieu.

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou

Jean-Pierre Riou est issu de l'Éducation nationale et s'est spécialisé dans la problématique des énergies renouvelables depuis plusieurs années. Après de nombreux échanges avec des spécialistes de la question, économistes, ingénieurs, chercheurs, experts, il a publié de nombreux articles, dans L'Expansion, la Revue de l'Institut de Recherche Économique et Fiscale (IREF Europe) et Contrepoints.

Jean-Pierre Riou tient également un blog.

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Atlantico : La Pologne et la Chine partagent une passion en commun pour le charbon. Comment cette addiction au charbon se transforme-t-elle en intérêt pour les énergies renouvelables ?

Jean-Pierre Riou : Pologne et Chine dépendent encore majoritairement du charbon. Mais depuis 1990, les efforts polonais et la formidable explosion de l’industrie chinoise en ont clairement fait diverger les trajectoires.

Car en un quart de siècle, la Chine a multiplié par 3,5 sa consommation d’énergie primaire, qui est passée de 871 Mtep en 1990 à plus de 3 milliards en 2017. (Sources Enerdata).

Et le charbon est resté au niveau constant des ¾ de sa fourniture, du fait que la Chine en a triplé la production, passant même d’un solde légèrement exportateur en 1990 à importateur en 2017, avec 254 millions de tonnes.

Ce qui reste une faible part de sa consommation, mais n’en fait pas moins le 1er importateur mondial de charbon devant l’Inde, et le Japon post Fukushima.

En ce quart de siècle, par contre, la Pologne a considérablement réduit sa consommation de charbon en passant de 184 millions de tonnes en 1990 à 129 millions de tonnes en 2017.

Dans le même temps, elle en a réduit la production avec 127 millions de tonnes en 2017 contre 215 millions de tonnes en 1990.

Et du rang de 5ème plus gros exportateur mondial de charbon en 1990, la Pologne en est devenue importatrice en 2017.

Ces 2 nations partagent donc encore cette addiction pour le charbon, qui fournit toujours 80% de l’électricité polonaise, mais la Pologne en a significativement réduit l’usage, dans un contexte de consommation totale d’énergie identique à celle de 1990 (104Mtep), alors que cette consommation totale faisait plus que tripler en Chine.

Des intérêts divergents pour les renouvelables

Il convient tout d’abord de souligner l’importance de l’hydraulique en Chine, qui est le 1er producteur mondial d’hydroélectricité depuis 2011. Aussi bien grâce à sa petite hydraulique dont l’histoire ambitieuse a plus d’un siècle , et connait un regain d’intérêt en tant qu’énergie renouvelable, que par l’hydraulique de barrages tels que celui de la plus grande centrale hydroélectrique au monde des 3 gorges sur le Yangtsé.

Il faut mentionner que c’est cette puissance hydraulique qui confère à la Chine l’essentiel de sa production renouvelable qui lui permet d’en être le leader mondial.

Concernant les énergies renouvelables dites « nouvelles », (EnR) que sont éolien et photovoltaïque, les situations de la Pologne et de la Chine sont diamétralement opposées. Car leur développement en Chine a largement bénéficié des milliards de dollars d’investissements occidentaux , dans le cadre des mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto. Ces mécanismes, qui ont d’ailleurs permis aux occidentaux de polluer à moindre coût grâce aux certificats de réduction d’émissions qu’ils génèrent, ont permis à la Chine de bénéficier d’un transfert de technologies dont elle a su tirer le meilleur parti, puisqu’elle écrase désormais le marché des panneaux photovoltaïques et se taille la part du lion dans l’éolien.

Des éoliennes dangereuses pour la santé

Tandis que la défiance polonaise envers l’éolien s’est notamment manifestée à travers l’avis de son Institut national de santé publique (NIZP) d’août 2016 qui a considéré « que les parcs éoliens situés trop près des immeubles destinés à l’habitat humain permanent sont susceptibles d’avoir un impact négatif sur le bien être et la santé des personnes vivant à proximité ».

Cet avis mentionne notamment une distance de précaution entre « 1,5-3,0 km, sur la base du niveau sonore, en prenant en compte la modulation, les basses fréquences et les niveaux d’infrason ».

Il convient de souligner que cet avis fait référence à l’étude d’une abondante littérature scientifique sur le sujet. Sujet sur lequel les chercheurs polonais ne sont pas en reste, notamment à travers des études concernant les effets physiologiques de l’exposition aux éoliennes sur des élevages d’oies et une autre sur des porcs , en fonction de la distance entre ces machines et leur lieu d’élevage.

La même année, la Pologne adoptait une loi interdisant la construction d’éoliennes à une distance des habitations inférieure à 10 fois la hauteur des machines.

Des assouplissements à cette loi ont cependant été consentis cet automne à l’approche de la COP24.

La Pologne s'intéresse notamment au nucléaire pour assurer sa transition énergétique et réduire ses émissions de gaz à effet de serre. La Chine se place-t-elle en pôle position pour lui fournir ces technologies comparé à d'autres pays européens ?

La Pologne mise effectivement sur le nucléaire pour effectuer une sortie progressive du charbon. Dans une tribune traduite en anglais et français, son ministre de l’énergie Krzysztof Tchorzewski a clairement marqué sa défiance envers les énergies intermittentes que sont solaire et éolien en rappelant que ces énergies avaient cruellement fait défaut lors des derniers records de consommation du pays. Et il renouvelle sa confiance dans la fiabilité et l’intérêt économique du nucléaire.

C’est pourquoi le ministre annonce, dans cette même tribune, le plan de mise en service de 6 centrales nucléaires à partir de 2033, à raison d’une tous les 2 ans. Et confie que son projet prévoit également, à terme, le recours aux petits réacteurs modulaires (SMR) et aux réacteurs à très haute température (HTR) de 4ème génération qui permettent également la cogénération de chaleur industrielle.

Krzysztof Tchorzzwski y voit l’opportunité pour le pays, qui comporte déjà 300 entités compétentes dans ce domaine, de développer des emplois hautement qualifiés.

Et envisage même un « saut de civilisation » pour la Pologne grâce à la possibilité d’utiliser les HTR pour la production du carburant du futur : l’hydrogène.

Concernant les partenariats technologiques, le président polonais de la COP24, Michal Kurtryka, est un ancien élève de notre école Polytechnique. Dans son entretient publié dans la revue cette école « La jaune et la rouge » , il fait comprendre que toutes les options restent ouvertes en ce qui concerne ce partenariat en déclarant que la Pologne " consultera la France, les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud sur la technologie de l'atome".

Pour autant, rien ne permet d’imaginer que la Chine serait boudée.

En effet, le programme nucléaire chinois est particulièrement ambitieux et novateur afin de lui permettre d’exporter ses compétences dans ce domaine dans le monde entier. Et c’est ainsi que le premier EPR en fonctionnement est chinois, depuis la mise en service de celui de Taishan en juin dernier, en partenariat avec EDF.

Mais la Chine ne se contente pas de la technologie française et « creuse l’écart » dans le nucléaire de troisième génération avec la connexion au réseau de 3 AP 1000 américains ces derniers mois, tandis qu’elle devrait exporter son propre modèle, le Hualong One notamment au Royaume Uni [17].

Parallèlement, elle investit massivement dans la recherche et lance déjà la construction d’un réacteur de 4ème génération [18] à Xiapu et bat record sur record dans la recherche sur la fusion nucléaire en venant de porter un plasma à la température prodigieuse de 100 millions de degré [19].

On connaît les difficultés actuelles de la filière nucléaire françaises liées à l’absence de toute nouvelle mise en œuvre sur son propre sol depuis 20 ans. Le succès de son EPR à travers sa collaboration avec la Chine est de nature à la remettre sur rail. La réussite de ses chantiers de Flamanville, Hinkley Point et de Holkiluoto sera déterminante pour son carnet de commande.

Dors et déjà, le litige opposant Areva (désormais Orano) à son client finlandais TVO s’est réglé dans les meilleurs termes.

L'Union Européenne peine à développer une politique cohérente de transition énergétique. Comment pourrait-elle mettre en place une politique plus protectionniste et harmonieuse pour se protéger des influences, notamment chinoises ?

L’Union européenne ne semble pas avoir pris la mesure du risque auquel elle s’expose en subventionnant lourdement sa politique de développement des énergies renouvelables.

A titre d’exemple, la Cour des Comptes a chiffré à 121 milliards d’euros les sommes engagées par la France dans le soutien des seuls contrats déjà passés pour les énergies renouvelables, et « la charge annuelle de ces engagements passés ne diminuera significativement qu’à partir de 2030 », jusqu’en 2044. Date à laquelle il sera exclus de prolonger l’utilisation des équipements.

(Source Cour des Comptes)

Or, la Chine qui détient déjà les plus grosses parts du marché éolien et photovoltaïque jouit d’un quasi monopole sur les terres rares nécessaires à leur fabrication.

Ce qui lui permet désormais d’investir massivement dans l’éolien européen, et même d’entreprendre d’acheter l’Europe de l’énergie, actuellement affaiblie par les conséquences de sa propre utopie concernant l’intermittence de production.

Contrairement à l’Allemagne, la France ne dispose plus de la moindre ressource fossile exploitable sur son sol. Pourtant, son parc nucléaire, qui en a fait le premier producteur mondial d’électricité de 1990 à 2008 et la maintient dans le trio de tête depuis, lui confère une indépendance énergétique bien supérieure à celle-ci, avec 54,1% contre 38,1% pour l’Allemagne selon la Commission européenne.

Le développement des énergies renouvelables intermittentes en Europe fera dépendre son énergie à la fois du matériel chinois pour son renouvellement et du gaz russe pour en lisser la production.

Mais il pénalisera surtout la rentabilité du nucléaire français, alors contraint de faire varier sa production en fonction des aléas du vent et du soleil, ainsi que le relève le rapport franco allemand Agora Iddri  « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » , qui précise à la fois que « En 2030, un parc nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique » et donc prévient que « En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. »

Dans le cadre de la coopération européenne de l’énergie, il semble pourtant évident que le rôle du parc électrique français, qui est déjà décarboné pour plus de 90% de sa production, consiste à sécuriser les efforts entrepris par l’Allemagne pour remplacer son charbon par des énergies intermittentes et non risquer la pérennité de son propre modèle en étant inféodé aux énergies intermittentes.

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