Ateliers du monde : la grande bascule industrielle de la Chine vers l’Inde se poursuit <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre indien Narendra Modi serrant la main du PDG d'Apple Tim Cook lors de leur rencontre à New Delhi en avril 2023.
Le Premier ministre indien Narendra Modi serrant la main du PDG d'Apple Tim Cook lors de leur rencontre à New Delhi en avril 2023.
©PIB / AFP

Géopolitico Scanner

Apple a doublé sa production d’iPhone en Inde en l’espace d’un an. La production a atteint 14 milliards de dollars.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Apple a assemblé pour 14 milliards de dollars d’iPhones sur le dernier exercice en Inde. Est-ce le signe que les grands groupes américains se détournent de la Chine pour son ambitieux voisin ?

Jean-Marc Siroën : D'ores et déjà, l'Inde représente près de 15 % de la livraison mondiale des iPhones d'Apple. En 2023, l'Inde a reçu plus d'investissements directs étrangers (IDE) que la Chine où ils se sont effondrés avec même un solde négatif. Reste à savoir s'il s'agit d'un accident de parcours ou d'un phénomène durable.

Au regard des "fondamentaux" de l'IDE, leur ralentissement en Chine, notamment dans le secteur industriel d'assemblage, qui est celui d'Apple, devait avoir lieu indépendamment même des évolutions de la politique chinoise et des tensions géopolitiques qui en ont rajouté : hausse des salaires en Chine qui restent très bas en Inde, vieillissement de la population chinoise bien plus jeune en Inde, rentabilité de plus en plus faible des investissements.

Si les IDE chinois se détournent de la Chine, l'Inde n'est pas la seule à en bénéficier même si, du fait de sa taille, l'évolution s'y voit mieux. C'est tout le sud-est asiatique qui en profite, le Vietnam, la Malaisie, les Philippines... 

Est-ce que les politiques chinoises, favorisant la technologie locale, expliquent le désintérêt des groupes américains ?

En partie oui. Le modèle chinois d'industrialisation reposait sur une spécialisation à un stade aval de la chaîne de valeur, celui de l'assemblage. La technologie qui se situait en amont restait en grande partie localisée dans le pays d'origine. Dès lors que, dans les années 2010, la Chine qui anticipait les limites de ce modèle a décidé de produire elle-même sa technologie, le recours aux investissements étrangers avait moins de raison d'être. Si en plus, les Etats-Unis et autres pays investisseurs prennent des mesures pour limiter les transferts de technologie, comme ils le font aujourd'hui notamment pour les semi-conducteurs, on dissuade les investissements étrangers.

Mais le développement de technologies locales très soutenues par le gouvernement chinois est loin de tout expliquer. La transition du modèle chinois n'est pas pleinement réussie malgré quelques percées spectaculaires comme les voitures et batteries électriques. Avec des taux de croissance décevants, la Chine n'est plus la terre d'avenir qu'elle fut.

La gestion chinoise de la crise du COVID a agi comme un révélateur. Le confinement sévère et trop longtemps prolongé a montré aux investisseurs que le gouvernement n'hésitait à prendre des mesures drastiques quelles qu'en soient les conséquences pour elles. D'une manière générale, la crise sanitaire montrait la vulnérabilité des chaînes de valeurs et la nécessité de diversifier les risques ce qui impliquait quasi-mécaniquement un retrait de la Chine qui concentrait une part de la production jugée excessive. On peut ajouter à cela l'évolution nationaliste et autoritaire du gouvernement chinois qui, tout en proclamant sa volonté d'ouverture au monde a fait exactement l'inverse et, de l'autre côté du Pacifique, une tentation protectionniste et isolationniste forte. Sans oublier les tensions en mer de Chine au sujet de Taiwan (et pas seulement) qui n'arrangent pas les choses.

Quels sont les avantages de l'Inde qui en fait le nouvel atelier du monde ?

Il ne l'est pas encore et, si c'est le cas, elle pourrait partager ce statut avec d'autres pays asiatiques et peut-être même avec des pays africains.

Un des principaux avantages de l'Inde, qui peut être aussi un inconvénient, est que le pays est beaucoup plus pauvre et beaucoup plus jeune que la Chine. Son PIB par tête est 5 fois plus faible que celui de son voisin avec de fortes inégalités, une démographie toujours pas maîtrisée et donc un niveau de pauvreté élevé. Assez cyniquement, cela signifie des salaires beaucoup plus bas ce qui explique l'attrait que le pays peut exercer sur des firmes comme Apple. Les perspectives de croissance sont maintenant plus fortes en Inde qu'en Chine ce qui est un atout supplémentaire pour attirer des capitaux.

De fait, l'Inde se voit comme la nouvelle Chine et s'inspire de son modèle qui, épuisé chez son voisin, resterait efficace chez elle moyennant quelques adaptations comme miser davantage sur les services. L'Inde doit ainsi jouer sur une forme de mondialisation qui soit compatible avec son nationalisme et sa longue tradition protectionniste -ce qui n'est pas simple- en développant ses infrastructures et en investissant dans l'éducation avec un risque de surendettement.

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