Zone euro : ce que les écarts de taux entre États européens révèlent des biais idéologiques de la BCE<!-- --> | Atlantico.fr
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Le marché fait le même constat que la BCE n'est pas disposée à vraiment aider l'Italie en cas de besoin.
Le marché fait le même constat que la BCE n'est pas disposée à vraiment aider l'Italie en cas de besoin.
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Mauvais signaux envoyés

L'écart de taux entre l'Italie et l'Allemagne grandit de plus en plus.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : Les écarts de taux entre l'Allemagne et l'Italie restent importants. Le spread - c'est-à-dire l'écart de taux - entre l'Italie et l'Allemagne avait même bondi à 200 points de base fin septembre. Que se passe-t-il aujourd'hui sur les marchés ? Comment cela se passe depuis que la BCE a une politique monétaire restrictive ?

Don Diego De La Vega : Le problème, c'est qu'au départ, ce spread était une nouveauté, puisque dans les premières années d'existence de l'euro, le spread était très réduit. Cela était logique compte tenu du fait que on est dans une Union monétaire, donc cela supposait une solidarité en cas de problème.

Le spread s'est élargi au moment de la crise de 2008 et il n'est jamais revenu à la normale. Ce spread apparaît comme « naturel » aujourd’hui, autour de 180 points de base entre les taux à 10 ans allemand et italien. Et cela reste une anomalie. Cela signifie que le « whatever it takes » de Mario Draghi n'a jamais été vraiment appliqué. C'était l'ancêtre du « quoi qu'il en coûte », la version monétaire 2011-2012 de la BCE.

Cela montre également que le dispositif en gestation depuis deux ans pour prévenir un problème sur ce spread n'a jamais abouti et il est toujours à l'état de conception. Avec le début de « quantitative tightening », on donne l’impression que l'on s'accommode complètement de ce spread.

Or il n'y a pas de raison pour que ce spread soit aussi important. La dette italienne est une dette très liquide. C'est une dette de qualité parce que le pays enregistre des excédents primaires de façon quasi systématique depuis 1994. Il n'y a que deux années où il n'a pas enregistré d'excellents primaires, c'est 2009 et 2020, autrement dit des situations tout à fait extrêmes. Le spread devrait être à 30 ou 50 points de base. Les Italiens sont vertueux sur la question budgétaire. Globalement, ce ne sont pas eux les champions du déficit. Les champions du déficit, ce sont les Français et les Allemands. Les Français pour leurs dépenses effrénées, et les Allemands logent une bonne partie de leurs dépenses dans des véhicules spéciaux qui sont des véhicules ad hoc, hors comptabilité officielle. C'est ce qu'on appelle le hors bilan. Si on réintégrait ces véhicules type investissement dans les dépenses allemandes, ils seraient à 10 % de déficit par an actuellement.

De plus, il y a un fort taux de détention nationale de la dette. Si vous êtes un ménage italien, vous pouvez acheter directement de la dette d’Etat alors que je ne connais pas beaucoup de particuliers français qui détiennent des OAT.

Après ce constat, comment peut-on expliquer alors qu'il y ait autant d'écarts ?

Le marché fait le même constat que moi, à savoir que la BCE n'est pas disposée à vraiment aider l'Italie en cas de besoin. Le marché joue son rôle. On lui fait comprendre que la dette italienne et la dette allemande, ça ne vaut pas la même chose. Et donc il applique.

Le spread n’est jamais revenu à 50 points de base parce que le marché suspecte qu'en cas de crise, la BCE ne fera pas tout ce qu'il faut pour canaliser le spread.

C’est à la BCE d’envoyer des signaux positifs ?

Elle l’a fait entre 2012 et 2015. À partir de début 2015, on a véritablement commencé à acheter des actifs. Il y a eu une période où elle l'a fait, mais ça n'a pas duré. Ils ont essayé de normaliser le bilan de la BCE dès qu'ils ont pu. Depuis un an et demi, on est encore sur un discours qui est carrément hostile. C’est une stratégie de la tension. Il y a un petit peu de chantage implicite. On laisse une ambiguïté de façon à maintenir la pression sur l'Italie, et notamment depuis qu'on affirme que les Italiens se mettent à « mal voter ».

Et dans quelle mesure ce spread impacte l'Italie, les finances italiennes et le citoyen italien au quotidien ?

Avec l'euro, il est lui est impossible de dévaluer, comme cela lui était possible avec la lire italienne contre le Deutschmark. C'est une situation très pénible, d'où la montée des contestations en Italie. Le pays n'a pas de croissance depuis 25 ans, la croissance du PIB par tête est nulle depuis 1997.

Du côté des élites italiennes, il y a une réelle acceptation de l’ordre allemand, elles restent ainsi très mainstream. Il n'y a pas de véritable rébellion de la technostructure italienne, (ministère des Finances, budget, etc.).

Les ménages italiens, eux, sont confrontés à des taux élevés. Si le taux BCE est à 4 %, cela signifie que les BTP italiens sont à 5%. Et ceci est le taux sans risque. Ça veut dire que le ménage ou une PME italienne se finance à combien ? Plutôt à 6, 7 ou 8%. Avec une croissance réelle nulle depuis des dizaines d’années, la dette ne peut qu’augmenter, alors même que le pays est vertueux d'un point de vue budgétaire.

L’Etat italien, les ménages et les entreprises sont beaucoup plus vertueux qu’en France, mais les écarts de taux et le décalage entre la croissance nominale et les conditions de financement réelles font que mécaniquement la dette augmente alors même que le pays est vertueux.

Cela entretient la logique déflationniste. L’Etat, les ménages et les entreprises sont obligés de consacrer une énorme partie de leur budget aux intérêts de la dette.

Cela veut dire qu'en zone euro, au vu de la politique de la BCE, autant ne pas être vertueux alors ?

C'est exactement ça. La vertu ne paye plus de nos jours.

La vertu est un peu suspecte aujourd'hui à mes yeux, puisqu' elle est défendue par des gens qui sont tout sauf vertueux. Il n’y a pas que sur ce sujet que les Allemands imposent aux autres la bêtise de leurs choix politiques. C'est valable aussi sur le terrain migratoire, sur le terrain énergétique. Pensez à tous ceux qui nous vendaient la stratégie allemande de sortie du nucléaire, propagande qui a duré pendant dix ans en Europe, avec un ensemble de petites officines subventionnées, qui se sont répandues notamment en France, pour nous faire croire que le modèle allemand énergétique était extrêmement vertueux. À l'arrivée, on s'aperçoit qu'ils ont dû rétablir des usines à gaz et des usines à charbon et importer du GNL texan.

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