Zenguilan l’azerbaïdjanaise, futur carrefour stratégique sur la route de la Soie<!-- --> | Atlantico.fr
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Zenguilan Haut Karabakh Arménie Azerbaïdjan route de la Soie
Zenguilan Haut Karabakh Arménie Azerbaïdjan route de la Soie
©DR / Sébastien Boussois

Reportage

Sébastien Boussois s'est rendu à Zenguilan, l'une des villes les plus isolées du Karabakh.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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C’est une très longue route depuis Bakou, peut-être la plus longue diagonale bitumée du pays et le chemin se fait par étapes pour finir par de la piste et sous escorte policière. D’Est en Sud-Ouest, plus de 350 kilomètres relient la capitale de l’Azerbaïdjan, à l’une des villes les plus isolées du Karabakh, Zenguilan, que le pays a récupéré le 20 octobre 2020, avant même le cessez-le-feu du 10 novembre 2021. Et ce, à la suite d’âpres combats qui ont duré dans la région pendant 44 jours contre les forces pro-arméniennes qui l’occupaient depuis 27 ans. La zone est passée désormais sous contrôle de l’Azerbaïdjan alors qu’après l’effondrement de l’URSS, les réveils nationalistes régionaux avaient poussé l’Arménie, dans leur projet de « Grande Arménie » à occuper ce territoire que Bakou a toujours considéré historiquement comme le sien. Le droit international, à la faveur de quatre résolutions des Nations-Unies, lui donna raison dès 1993 mais il ne fut jamais appliqué. Pendant trente ans, des centaines de milliers de réfugiés ont dû faire une croix sur leur vie d’avant et une partie de leurs racines.

Crédit : DR / Sébastien Boussois

Car alors que 800.000 Azerbaïdjanais sont à l’époque chassés des terres du Karabakh, des centaines de milliers d’Arméniens viennent eux s’y installer. Nous voulions nous rendre dans la ville d’où était originaire ce couple de réfugiés rencontrés à Bakou, Rassül et Agnül, et qui n’aspirait qu’à une chose désormais : rentrer, reconstruire leur maison, reprendre la culture des vignes, et mourir ici. Leur dernier fils était parti combattre à l’hiver dernier contre les Arméniens pour cette terre, comme l’avait fait le père pendant la première guerre du Karabakh où il y avait été blessé à trois reprises. Mais Zenguilan est dans leur sang.

Plusieurs villes comme la fameuse Aghdam, Fizouli, et ici Zenguilan, vont subir le même sort. A la fois l’abandon, la destruction, et parfois la construction et l’installation d’une nouvelle vie arménienne pendant près de trente ans. Mais ce n’est pas toujours le cas : Aghdam a été détruite et personne n’y a jamais habité alors qu’elle était l’une des villes culturelles les plus connues du pays. On venait y piller les pierres pour rebâtir ailleurs et depuis les Arméniens ont tout miné avant de s’enfuir. Lorsque l’on découvre le district de Zenguilan, face à l’âpreté du paysage autour d’Aghdam, on y voit tout autre chose : à quelques kilomètres des Alpes du Caucase, comme l’on appelle ici le paysage montagneux qui caractérise Zenguilan, on fait face aujourd’hui à une ville fantôme comme Aghdam mais qui elle a vécu pendant l’occupation. Les Arméniens y ont vraiment vécu. Il faut dire que l’endroit y est superbe. Du moins, on peut s’y projeter.

Crédit : DR / Sébastien Boussois

Mais avant cela, en découvrant routes et bâtiments, on peut imaginer la violence des combats, les maisons arméniennes aux couleurs chatoyantes construites dans les années 1990, et en même temps le cadre naturel tout à fait généreux et majestueux de ces grandes plaines, de ces champs de vignes, et de la beauté des confins iraniens en arrière-plan. Mais pour y parvenir, il a déjà fallu largement déminer la route d’accès et les alentours. Le gros du village l’a déjà été en deux mois, et il y a désormais des soldats en permanence pour préparer l’avenir. On voit bien en pénétrant dans certaines maisons, que les Arméniens se sont battus, parfois avec le fusil de chasse dont ils disposaient chez eux, avant de fuir. On trouve encore des photos, des cahiers d’école. D’un côté comme de l’autre, la situation est terrible, d’autant plus que toutes ces jeunes générations nées ici n’ont rien demandé.

Crédit : DR / Sébastien Boussois

Car Zenguilan est très bien située pour l’Azerbaïdjan. Il sera le point de départ du futur corridor reliant pour la première fois par la route depuis des décennies la province historique du Nakchivan, d’où est originaire la famille présidentielle Aliyev, et le reste du pays. Le Nakchivan est important pour le pays. Il dispose de frontières avec l’Arménie, la Turquie et l’Iran, et brasse de multiples cultures. C’est ici que l’on a placé la fameuse descente de l’arche de Noé depuis le mont Ararat. C’est devenu un lieu de tourisme. 5500km2 et 400 000 habitants : ce petit territoire enclavé n’était accessible depuis Bakou que par avion. Avec la libération de Zenguilan, les communications devraient être enfin rétablies par la voie terrestre. Mais ce n’est pas tout. L’Azerbaïdjan, qui est une riche terre d’hydrocarbures, est aussi à un carrefour géostratégique historique : celui des routes de la Soie et à la croisée d’influence historique de multiples Empires. Mais la route de la Soie n’appartient pas au passé : elle a ressuscité à la faveur bien sûr des Chinois, mais désormais de tous les pays qu’elle va traverser pour relier l’Europe. Voilà le grand projet pour l’avenir de l’Empire du Milieu pour poursuivre son ascension mondiale. Et Zenguilan est sur ce chemin. On parle déjà de construire une voie ferrée qui à l’avenir relierait la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Tous les plans sont en réalité sur la table et le potentiel important. Mais dans un premier temps, il faudra repeupler et ils sont nombreux à attendre avec impatience ce retour aux sources. Car eux feront partie du succès ou pas de tous ces projets dans les décennies futures. Le gouvernement en a besoin assurément.

Crédit : DR / Sébastien Boussois

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