Xi Jinping, l’homme qui voulait (re)devenir empereur de Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping lors du 20e Congrès du Parti communiste chinois le 16 octobre 2022.
Xi Jinping lors du 20e Congrès du Parti communiste chinois le 16 octobre 2022.
©Noel CELIS / AFP

XXème Congrès du Parti communiste chinois

Une caractéristique majeure de l'histoire chinoise est la fréquence à laquelle l'élite a réussi à restaurer le pouvoir impérial après des périodes d’effondrements du pays. L'agenda de Xi est du reste beaucoup plus proche de celui de la Chine impériale que de celui d’un leader révolutionnaire à la Mao. Son ambition est de remettre le pays au cœur d'un système sinocentrique refondé.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : La Chine ouvre ce dimanche le XXe Congrès du Parti communiste chinois. Sauf surprise, Xi Jinping sera réélu. Dans quelle mesure l’agenda du Xi Jinping pour le pays a-t-il à voir avec la vision d’une Chine impériale ? 

Emmanuel Lincot : Dans ses revendications territoriales, que ce soit en mer de Chine ou vis-à-vis de Taïwan, mais aussi sur la frontière sino-indienne ou encore en Asie centrale avec l'installation d'une base au Tadjikistan, cela dit le souci de la Chine de renouer avec une configuration impériale avec la manifestation d'une présence sur les marches de cet étranger proche. Dans le discours même, c'est aussi pour Xi Jinping une façon d'imprimer sa marque par la redéfinition d'un nouvel ordre mondial comme il l'a rappelé aux côtés de Vladimir Poutine au sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai à Samarkand (Ouzbékistan), les 15 et 16 septembre dernier. Sa gouvernance totalitaire, le contrôle absolu qu'il exerce sur le Parti et en retour la coercition du Parti sur la société civile nous permet de dire qu'il a, plus que Mao lui-même, renoué avec le legs d'une pensée légiste héritée de l'antiquité qui n'a cessé au cours des dynasties impériales de vouloir faire prévaloir la raison d'État sur toute autre considération. La manière même d'établir un continuum entre la Chine impériale et le régime actuel pleinement acquis au marxisme-léninisme démontre une volonté pour Xi Jinping de s'inscrire dans la construction d'une œuvre politique qui relève avant tout de son attachement à une révolution conservatrice. A l'instar de celle dont se réclame Vladimir Poutine, elle est à la fois anti-moderne et anti-occidentale.

Quels sont les échos de la Chine impériale que l’on retrouve dans celle de Xi Jinping ?

Dans sa posture, Xi Jinping n'est-il pas qualifié d'"empereur rouge" ? Pour autant, n'était sa volonté de puissance, la Chine totalitaire et communiste est totalement étrangère au pouvoir impérial tel qu'il s'est construit sur plusieurs siècles. Bien qu'ayant été plus d'une fois tenté par des conquêtes ou la démesure de ses dirigeants, le pouvoir impérial n'en était pas moins quelque peu jugulé par un contre-pouvoir, celui des lettrés. Aujourd'hui, le pouvoir des intellectuels est réduit à néant. Leurs capacités d'expression se sont considérablement limité au cours de ces dernières années. Une chape de plomb s'est abattue sur le pays. Les références à l'empire sont donc purement politiques et visent à gommer les aspérités liées à un passé qui ne passe pas. Je veux parler du "siècle de la honte" comme on le qualifie en Chine, des humiliations subies face à l'Occident et que l'on s'efforce de rappeler dans une hypermnésie collective et ce, pour faire en revanche oublier les crimes perpétrés par le régime communiste depuis l'arrivée au pouvoir de ses dirigeants. Ces crimes sont la déportation des intellectuels durant le Mouvement des Cent Fleurs (1956-57), le Grand Bond en avant (1958-1962), la Révolution culturelle (1966-76) ou encore Tiananmen (1989) sans compter l'arbitraire qui s'exerce quotidiennement tant vis à vis des Han que des minorités ethniques. 

On compare souvent Xi Jinping à Mao, sa figure et ses ambitions sont-elles en réalité plus proches de celles des empereurs ?

La trajectoire de ces deux hommes est très différente. Leur pedigree tout autant. Mao est un paysan qui longtemps a vécu dans la clandestinité. Xi est un fils de grand bourgeois de la nomenclatura rouge, certes déchu à un moment de sa carrière (les années soixante) mais ce dernier n'en a pas moins ouvert son fils à une certaine connaissance du monde et en l'occurrence du monde soviétique. Enfin, Xi a été sensibilisé à l'ouverture économique initiée par Deng Xiaoping vis à vis de l'Occident. En somme, Xi est un hybride marqué sans doute par le syndrome de Stockholm et mu par un sentiment de revanche à la fois pour sa famille (son père a été humilié par les Gardes Rouges, sa sœur s'est suicidée) et pour la Chine. C'est un homme violent, impitoyable à l'encontre de ses opposants. Bo Xilai, en 2012, en a fait les frais mais aussi toute une partie de l'armée et du Parti qui ont été depuis purgés. En cela, il est aux antipodes de l'image de l'empereur idéalisé en tant qu'incarnation de la sagesse. On ne lui connait aucune passion pour les arts par exemple même si son épouse a été cantatrice dans l'armée. C'est un technocrate besogneux, un monstre froid, sans état d'âme dont le côté bonhomme fait irrésistiblement penser au "petit père des Peuples", Joseph Staline.

Quel est le destin que Xi Jinping veut donner à la Chine avec son "rêve chinois" ? A quel point recherche-t-il un système sinocentrique et impérialiste ?

C’est un destin hégémonique bafouant la souveraineté, économique dans un premier temps, des États tenus en vassalité par la Chine. Ceci s'observe dans le cas du Cambodge, du Sri Lanka, du Pakistan ou de certains pays européens comme la Hongrie. Le "rêve chinois" est évidemment aux antipodes d'un respect de l'égalité entre États. Le "rêve chinois" vise à contrôler les richesses d'autrui, à privilégier les intérêts de la Chine non seulement contre les pays du Sud mais aussi contre l'Occident. Le destin que Xi Jinping veut donner à son pays est funeste car ses prétentions ne peuvent que rencontrer de la résistance et des réticences fortes. La radicalité américaine à l'encontre de la Chine n'ira pas en s'améliorant et le drame pour un Xi Jinping comme un Vladimir Poutine est de leur prêter des intentions rationnelles. Elles ne le sont pas et conduiront le pays vers une situation chaotique.

A-t-il les moyens de ses ambitions ? Essaie-t-il à tout le moins de se les donner ? Ce Congrès va-t-il le renforcer ?

Tout dépendra du soutien de l'armée qui reste la grande muette. Le suivra-t-elle dans une confrontation contre les États-Unis ? Parviendra-t-elle à modérer les velléités de conquête de Taïwan ? Difficile de se prononcer mais assurément les déboires de l'armée russe sont suivis de près en Chine. Pékin peut y voir une opportunité : l'affaiblissement de l'Occident menacé, rappelons-le, sur trois fronts: Ukraine, Corée et Taïwan. Moyennant le soutien de la Chine à la Russie par ailleurs, Pékin pourra exiger des compensations (territoriales, la Russie par exemple et / ou des facilités d'exploitation des ressources du grand Nord). Le temps travaille donc à l'avantage de la Chine et loin de l'affaiblir le Congrès renforcera le Parti qui sera alors totalement acquis à Xi Jinping.

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