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WeEuropeans, 30 000 propositions dans 27 pays : pourquoi les attentes des Européens ne sont pas celles qu’on croit
©Flickr - fdecomite

Referendum

A la suite d'une consultation WeEuropeans.eu menéepar Civico Europa et Make.org dans tous les pays d'Europe, les 10 propositions pour l'avenir de l'Europe les plus portées dans chaque pays ont été publiées. Les résultats marquent une tendance nette : les Européens veulent reprendre le contrôle sur une Europe dont ils estiment qu'elle marche surtout pour les puissants.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Guillaume Klossa

Guillaume Klossa

Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.

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Atlantico : Ces 270 propositions sont soumises pendant deux semaines à tous. En France, ces 10 propositions sur lesquelles les Français interrogés se sont prononcés touchent particulièrement aux questions d'écologie ou de démocratie. Alors qu'on pourrait considérer que l'Europe connaît depuis quelques un moment critique, ces propositions, contre lesquels il parait difficile de s'élever vous semblent-elles refléter le renouveau démocratique qu'on attend de l'Union européenne, à la veille des élections ? Mais d’abord comment expliquer que des sujets comme les migrations, la lutte contre le terrorisme ou l’emploi ne soient pas ou très peu présents ?

Guillaume Klossa : Si vous regardez les derniers eurobaromètres, les sujets comme les migrations ou la lutte contre le terrorisme ne sont plus perçus comme aussi préoccupantes par les citoyens européens. Dès lors que ces préoccupations sont moins présentes dans l’actualité et qu’elles ne font pas l’objet d’une crise comme cela a pu être le cas de 2015 à 2017, les citoyens se concentrent sur des problématiques qui sont plus en lien avec leur quotidien, leur environnement ou leurs perspectives d’avenir, notre consultation WeEuropeans reflète cette réalité.  Par ailleurs, pour l’emploi, et à part quelques pays comme le nôtre ou l’Italie, nous sommes dans une période plutôt favorable dans la plupart des états membres, le taux d'emplois est le plus élevé depuis 2007. Les relations sociales sont plus "détendues".  Et c'est donc naturellement qu'émergent cinq grandes préoccupations mises en évidence par la consultation WeEuropeans menée par Make.org and Civico Europa. Ces préoccupations sont en grande partie partagées par les citoyens européens même si elles renvoient à des réalités nationales différentes. Il s’agit de l'environnement et de la qualité de vie, très présentes, de la dimension sociale avec l'avenir de la santé et des retraites par exemple, de la justice fiscale avec un souci que les grandes entreprises européennes internationales soient régies par les mêmes règles que les autres, l'éducation et la recherche, et enfin le sujet démocratique avec un accent sur l'exemplarité des politiques. Il y a bien sûr des exceptions : l'Italie, la Pologne, et la Hongrie, où les thématiques de l'immigration et de la lutte contre le terrorisme sont présentes, mais pas dans les premières préoccupations des citoyens, contrairement à ce qu’on eût pu escompter.

Raul Magni-Berton : Ce que j'ai lu, en France et ailleurs, est que les propositions sont en effet très centré sur l'écologie. Mais ensuite, il y a plutôt des questions de justice fiscale. Or, effectivement, écologie et fiscalité sont deux thèmes très présents dans les pays d'Europe occidentale. Cela peut paraitre étrange parce que les personnes qui participent à ce genre d'initiative ne représentent pas l'ensemble des citoyens européens, mais plutôt ceux qui sont le plus portés vers des revendications à l'échelle européenne. On pourrait donc penser que leur revendications ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des autres. D'ailleurs, les revendications liées aux droits individuels et à la démocratie sont probablement un peu moins visibles que ne le sont dans les arènes nationales. Cependant, il reste que l'écologie et la fiscalité sont bien des enjeux auxquels beaucoup de citoyens accordent une grande importance aujourd'hui, et pas seulement en France. 

Qu’est-ce qui différencie votre consultation d’un sondage traditionnel ?

Guillaume Klossa : Il y a trois choses, notre consultation, qui est une consultation transnationale et multilingue, renvoie à une question ouverte « Comment réinventer concrètement l’Europe ?», alors que les sondages qui font remonter l'immigration et la sécurité sont généralement fondées sur des questions fermées. Deuxième chose, l’ampleur de la consultation, 34 millions de personnes ont été touchées, 1,5 millions y ont participé activement, plus de 30000 propositions ont été faite. On remarque que les modèles de réaction démocratique citoyens sont à peu près les mêmes quels que soient les pays. Les rapports entre nombres de gens touchés, de participants actifs et le nombre propositions sont assez comparables en l’état actuel de la consultation qui se poursuit. Il y a des modalités communes de réaction de citoyens européens à la consultation, mais attendons les résultats finaux pour en tirer des enseignements. Enfin, troisième élément, les dix propositions fédérant les plus de citoyens européens seront présentées aux représentants de la société civile et aux dirigeants européens de tous les partis lors du Congrès WeEuropeans qui se tiendra le 22 mars prochain au Parlement européen.  

Contestation du rôle privilégié qu'aurait les entreprises, les lobbys dans le microcosme européen... si cette enquête est plus optimiste, ne retranscrit-elle pas une volonté de retrouver l'individu citoyen au coeur de la démocratie européenne ? Ne s'agit-il pas d'un appel lancé à l'UE pour qu'elle soit actrice dans la mondialisation, plus passive comme elle a pu être perçue ces dernières années ?

Guillaume Klossa :Très certainement, il y a un désir de transformation et de participation des citoyens à la réinvention du projet européen. C'est la raison qui a motivé Civico et Make à réaliser cette consultation qui est une expérimentation de grande ampleur de nouvelles formes de participation démocratique. Notre conviction, c’est qu’il faut inventer des modalités démocratiques qui permettent aux citoyens de participer de manière continue au débat public et qui confortent la démocratie représentative. S’il faut réinventer l’Europe, peut-être faut-il pour le faire réinventer également la démocratie et mieux articuler démocratie nationale et démocratie européenne, la démocratie est un modèle vivant qui ne s'est pas arrêté à la chute du mur en 1989.

Les propositions semblent se concentrer sur l'incapacité de l'UE à les protéger des vices de la mondialisation. Les Français attendent-ils avant tout une reprise de contrôle de la part d'instances jugées trop liées aux lobbys, aux entreprises, mais éloignées de leur quotidien ?

Raul Magni-Berton : Il est clair qu'il n'y a plus grand monde enthousiaste de l'Union Européenne. Le débat, aujourd'hui, se fait plutôt entre ceux qui veulent la réformer et ceux qui veulent s'en débarrasser. Mais, fondamentalement, il faudrait préciser ce que sont les "vices de la mondialisation". Le premier vice est le problème des externalités. Notre économie est de plus en plus dépendante des autres, et ce que les autres font va avoir des effets sur nous. Cela réduit le nombre de décisions que nous pouvons prendre, et accroit les effets dominos que chaque décision prise dans d'autres pays aura sur nous. Le deuxième est le problème de la réciprocité. Dans un monde de plus en plus mobile, l'aide aux entreprises et aux individus devient inutile si les entreprises, quand elles réussissent, délocalisent pour des raisons fiscales. Pour pouvoir "donner ce qu'on a reçu", il faut qu'il y a n'y ait pas autant de concurrence fiscale. Et, effectivement, l'Union Européenne n'a pas répondu à ces deux grands défis. Il faut noter, aussi, que les problèmes liés à l'environnement relèvent des externalités, et les problèmes de fiscalité relèvent de la réciprocité. 

Quels autres enseignements peut-on selon vous tirer de cette grande consultation ?

Raul Magni-Berton : Ce que je vois n'est pas surprenant. L'enseignement principal, donc, est que la consultation a été faite assez correctement. Un deuxième enseignement est que les propositions qui apparaissent dans les différents pays européens - au moins occidentaux - sont similaires.  Il n'y a pas de spécificités particulières d'un pays en particulier. Enfin, le troisième enseignement est qu'il y a quand même des millions de personnes qui ont participé d'une manière ou de l'autre à ces consultations, alors que cela n'aura pas d'impact majeur. Imaginons que ces pétitions donnent lieu à des décisions réelles, le chiffre des participants se multiplierait par cent. Je soupçonne donc que ces inutiles consultations produisent pas mal de frustration au sein des populations européennes. 

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