Voilà pourquoi les excès de la mondialisation ne pourront pas être corrigés sans corriger d’abord ceux de la puissance publique française<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Voilà pourquoi les excès de la mondialisation ne pourront pas être corrigés sans corriger d’abord ceux de la puissance publique française
©Thomas SAMSON / AFP

Relocalisation sous condition

Devant ses insuffisances face à la crise du Covid19, la France doit retrouver sa souveraineté dans de nombreux domaines, notamment sanitaires. Mais avant de mettre fin à une partie de sa mondialisation, elle doit corriger ses défauts internes.

Simone Wapler

Simone Wapler

Simone Wapler est rédactrice en Chef des Publications Agora (analyses et conseils financiers).

Elle est l'auteur de "Comment l'Etat va faire main basse sur votre argent: ... et ce que vous devez faire pour vous en sortir !", paru chez Ixelles Editions en mars 2013.

Voir la bio »
Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

Voir la bio »
Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

Voir la bio »

Atlantico : Quel est le poids de la fiscalité française dans la délocalisation de certaines productions, pourtant essentielles notamment en temps de crise sanitaire ? Comment réunir les conditions fiscales pour un retour de ces productions en France ?

Nicolas Marques :

La fiscalité française pousse aux délocalisations et aux importations. Nous avons la triple spécificité d’avoir des charges sociales, des impôts sur les sociétés et des impôts de production très élevés. Ces fiscalités expliquent la persistance d’un chômage anormal en France. Avec plus de 8 % de chômage, soit 1,5 points de plus que la moyenne européenne, nous avons 500 000 chômeurs en trop par rapport à nos voisins. Pour résorber ce chômage et préserver, voire reconstituer, des capacités de production, nous aurions besoin d’une fiscalité plus clémente.

Le grand public commence à comprendre qu’augmenter les charges sociales conduit les entreprises à des comportements malthusiens de la part des employeurs. Mais il est moins réceptif à l’intérêt pour la collectivité de baisser la fiscalité sur les entreprises. Pourtant, d’un point de vue économique, cette fiscalité pénalise, au-delà des actionnaires, les consommateurs, les salariés et les chômeurs. Elle renchérit les prix de vente, incite à modération salariale et aux délocalisations.

Si l’on veut relocaliser, la priorité est de réduire massivement les impôts de production. La France est la championne en la matière, avec autant d’impôts de production que 23 pays de l’Union européenne, Allemagne comprise. Ces impôts sont particulièrement nocifs. Ils sont calculés en amont du résultat, par exemple sur le chiffre d’affaire, la masse salariale ou la valeur ajoutée. Ils pénalisent les activités en fonction de critères arbitraires, indépendants de leur rentabilité. Cela incite les entreprises à délocaliser les productions à faible valeur ajoutée, ce qui explique pourquoi l’essentiel de la fabrication de masques et matériels de protection se fait à l’étranger.

Les impôts de production français sont aussi particulièrement excessifs dans le domaine du médicament. Ils représentent de l’ordre de 8 % du chiffre d’affaire ce qui, là encore, surenchérit les couts de production. La France est le pays d’Europe dans lequel l’excédent brut d’exploitation de l’industrie pharmaceutique est le plus faible, avec à peine 9 % du chiffre d’affaires, contre 22 % dans l’Union européenne en 2017. Conséquence, les groupes pharmaceutiques sont incités à investir moins et à délocaliser. C’est ce qui explique pourquoi 60 % de la poudre de paracétamol, nécessaire à la fabrication du Doliprane, provient de Chine. 

Simone Wapler : 

Qu’est-ce qui pousse un entrepreneur du secteur privé et concurrentiel à vouloir délocaliser sa production ? Améliorer ses marges et il a deux principaux moyens d’y parvenir :  trouver une main d’œuvre moins chère à savoir-faire équivalent et être moins taxé à la production.

En raison d’une note d’étude du Conseil d’analyse économique (CAE) on a beaucoup parlé il y a un an des « impôts de production », qui frappent une entreprise avant même qu’elle ait rempli son tiroir-caisse en vendant avec profit.  Ces impôts font rentrer dans les caisses de l’État environ 75 Mds€, soit le double de l’impôt sur les sociétés qui, lui, dépend des bénéfices. Ils sont plus élevés en France que partout ailleurs. Délocaliser, c’est donc diminuer ces impôts de production et être moins pénalisé à l’export.

Deuxième point, lorsqu’on évoque le prix de la main d’œuvre en France, peu de gens relient son coût à la fiscalité, et pourtant… Pour décider d’engager ou non, un entrepreneur fonde sa décision sur le salaire complet : le salaire net, plus les charges sociales salariales plus les charges patronales. Ces charges sociales représentent le coût d’assurances (maladie, chômage, accident du travail, vieillesse) contractées en France auprès d’un assureur unique et en situation de monopole étatique. Il s’agit donc bien d’impôts et non d’assurances. Les mauvaises performances de l’État en tant qu’assureur social en position de monopole expliquent en grande partie que le coût du travail soit supérieur en France à celui d’autres pays où les travailleurs jouissent d’une protection comparable.

On oublie que la France a refusé de mettre les assurances sociales en situation de concurrence comme le demandaient les traités internationaux qu’elle a signés en adhérant à l’Union européenne. A la lumière de cette crise sanitaire, on voit que la Sécurité sociale n’est pas la merveilleuse machine qu’on nous vante. D’autre pays font mieux que nous avec une organisation plus décentralisée et dans lesquels médecines privée et publique coopèrent. Bonne occasion de rappeler que le monopole de l’État est plus difficile à lever que le monopole privé car l’État a aussi le monopole de forger les lois qui éloigneront la concurrence.

Évidemment, pour prendre la décision de délocaliser, une myriade d’autres critères sont analysés par notre entrepreneur : risque de change, coût des transports, droit de la propriété, infrastructures, stabilité fiscale du pays envisagé,… Nous parlons d’humains et l’économie ne se résume pas à de petits personnages stéréotypés dénués d’émotions comme certains voudraient nous le faire croire ; on pourrait donc même rajouter qui sait, une grand-mère portugaise ou un aïeul polonais, le souvenir d’un amour de jeunesse…Toutefois, la fiscalité pesant sur la production et les salaires restent les deux paramètres prépondérants.

Oui, la baisse des impôts serait donc probablement un facteur de relocalisation de production mais encore faut-il qu’il s’agisse d’une baisse durable, substantielle qui adresse les problèmes de fond. Le signe serait qu’une vaste majorité réclame appelle de ses vœux pas seulement une baisse d’impôts mais une baisse des dépenses publiques et donc du poids de l’État.

Quant à savoir ce que sont les productions essentielles, c’est une notion variable et très complexe. Aujourd’hui, nous sommes focalisés sur les masques ou le gel mais demain, ce pourrait être l’amidon, ou le sulfate du cuivre, ou que sais-je encore. Aucun pays ne produit tout ce qui lui est essentiel, nous vivons dans un monde d’échanges et de fabrications sophistiqués. La question est plutôt d’avoir une industrie réactive quand il y a un besoin urgent à satisfaire. Le contrôle des prix voulu par Bruno Le Maire a encore démontré son ineptie tant sur les masques que sur le gel. De grands groupes ou même des PME ont démontré en revanche qu’ils pouvaient adapter rapidement des chaines de production. Pour cela, il faut évidemment que règlementations et normes ne soient pas un carcan.

L'administration française et notamment les normes imposées aux entreprises, a-t-elle eu un impact dans la délocalisation de ces productions ? 

Nicolas Marques : 

Nos règlementations sont en effet une source de rigidités. Elles complexifient l’action des entreprises dans tout une série de domaines, des investissements à la gestion du personnel. Selon la banque mondiale, la France est seulement 32ème en matière de facilité à conduire une activité économique, ce qui nous place entre la Chine et la Turquie, après une grande partie de voisins européens. La surrèglementation française se surajoute à la tendance réglementaire européenne. Dans beaucoup de domaines nous sur-transcrivons les directives, ce qui contribue à renforcer notre carcan réglementaire. 

A cela s’ajoute un interventionnisme capitalistique intéressé ou moralisateur. La loi « Florange » et les droits de vote double, l’obligation de domiciliation fiscale en France des patrons des grandes entreprises, les interférences publiques en matière de dividendes exaspèrent et poussent les entreprises à s’expatrier. Ce n’est pas un hasard si Airbus et STMicroelectronics sont de nationalité néerlandaise et si le futur groupe Fiat Chrysler-PSA devrait les rejoindre. Nos voisins néerlandais sont 25ème dans l’indice de liberté économique de l’Institut Fraser, là où la France est seulement 50ème sur 162. Ajoutons que ce mouvement touche les entreprises de toute taille, nombre de dirigeants de PME ont fait le choix de migrer en Belgique ou Suisse pour se mettre, au moins à titre personnel, à l’abri de la bureaucratie française. 

Simone Wapler :

Un exemple concret. Je réside dans une région viticole. Récemment, la législation a renforcé les normes sanitaires pour l’accueil des vendangeurs : nombre de mètres carrés minimal par lit, pas de lit superposé, quota de sanitaires, sanitaires hommes et femmes distincts (visiblement, la théorie du genre n’est pas universelle), etc.

Un vigneron de ma connaissance qui hésitait à payer les travaux de mise en conformité d’un de ses bâtiments a été abordé par un prestataire européen qui lui a dit en substance « Toi, vouloir combien d’hommes à quelle date ? Toi signer là un seul contrat et moi te fournir main d’œuvre ». Ses trente vendangeurs sont arrivés à la date prévue, ils se sont logés au camping du coin. Le contrat  a été rempli à sa pleine satisfaction, il n’envisage plus de revenir à l’ancien système.  Il s’agit de délocalisation d’un travail saisonnier par appel à une main d’œuvre étrangère. Les cas pullulent dans toutes les industries et dans tous les métiers qui poussent à délocaliser ; il suffit pour s’en convaincre de discuter avec des gens travaillant dans le secteur privé concurrentiel.

Trop souvent, hélas, les normes ne sont qu’un protectionnisme sans taxe, des barrières à l’entrée dans le grand jeu de la concurrence. Des barrières nationales ou internationales ou des barrières érigées par des multinationales souhaitant protéger leurs marchés respectifs. Honnêtement, quel est le consommateur qui prend connaissance de ce qui est écrit sur les 10 cm d’étiquettes textiles désormais cousues dans les vêtements importés ? Que protègent ces étiquettes ? Le consommateur ? Soyons sérieux ! Y-a-t-il moins d’électrocutés dans le cadre domestique du fait du « marquage CE » du moindre appareil électrique ? Comme le dit un jeune chef d’entreprise de mon entourage :  « en France tu as deux boulots : ton métier plus l’administratif qui tourne autour ».

Michel Maffesoli :

Il ne faut pas oublier que l’industrialisation de la France s’est faite sous l’égide de l’État. On peut même dire que notre pays est le pays le plus étatiste des pays capitalistes. Pensons aux grandes manufactures royales, mais également à l’attention dès Henri IV au développement raisonné de l’agriculture. 

En même temps qu’il crée ces industries, l’État impose des normes. On peut d’ailleurs se référer à une des grandes « inventions » de la Révolution française, le système métrique, c’est-à-dire l’unification, la normalisation des systèmes de poids et mesures. 

Très clairement ce volontarisme étatique et cette normalisation ont été facteurs de progrès. De même que le service public à la française, le développement de l’État social ont amélioré le bien-être des populations. En matière de santé, la sécurité sociale permettant à tous d’avoir accès aux soins, l’assainissement et l’amélioration de l’hygiène publique ont été d’indéniables progrès. 

Mais cette excellence de l’administration a eu tendance, au fil du temps, à devenir une suradministration. L’instituant devient institution. La normalisation devient un frein à l’initiative des divers groupes. L’Etat se veut seul représentant de l’intérêt collectif au mépris des intérêts communautaires. On le sait la Révolution, ce fut aussi la loi Le Chapelier (Juin 1791) interdisant les corporations et faisant régresser la transmission des savoirs et l’enracinement dans les traditions. 

Comme je l’ai dit, il y a 40 ans dans mon livre La Violence totalitaire, le service public est devenu une antiphrase, le public au service de l’Etat. Ce que j’ai nommé l’idéologie du service public. 

Les normes telles que nous les connaissons maintenant sont en quelque sorte les héritières de cette volonté révolutionnaire de « faire du passé table rase », de faire de l’administration de l’Etat la seule représentante du bien public, du bien commun. Or quand une tradition n’est pas enracinée, quand une règle n’est pas entée dans une communauté de vie et de pensée, elles ne peuvent plus être facteur de dynamisme. Ce qui était la puissance de la tradition devient pouvoir normatif et répressif.

Cette suradministration, c’est-à-dire la volonté de l’État et de ses hauts fonctionnaires et hommes politiques de régir la vie quotidienne dans ses moindres détails se constate dans divers domaines de la vie sociale. Dans le secteur universitaire que je connais bien la formation a laissé la place à des parcours procédurés qui, comme le disait déjà en 1940 Marc Bloch ne permettent pas de former les gens, mais uniquement de les préparer à des examens et des concours. Dans le secteur de la santé, la volonté de normalisation aboutit à ce que le professeur Raoult nomme un « méthodologisme », c’est-à-dire que la procédure abstraite prend le pas sur la clinique dans ses aspects humains et concrets. Dans le secteur économique, il est certain que les exemples du poids bureaucratique imposé aux entreprises sous les prétexte de protection de la santé, de l’environnement, des salariés ne manquent pas non plus. La lenteur des décisions, la complexité des autorisations, effets du centralisme et de la lourdeur hiérarchique constituent très clairement un frein à l’initiative et au dynamisme entrepreneurial. 

Ce qu’il faut remarquer c’est que la volonté de protection, l’importance excessive accordée au principe de précaution aboutissent à l’effet contraire, ce qu’on appelle une hétérotélie, un effet pervers. La saga récente des masques en donna maints exemples, jusqu’à refuser des livraisons de masques commandées régionalement parce que l’Etat central n’avait pas donné son aval ! 

Bien sûr les délocalisations sont aussi dues à l’inégalité des conditions de salariat selon les pays, on ne peut pas le cacher. Et si relocalisation il y a, cela ne pourra pas se faire sans une réorientation de la consommation, de la quantité vers la qualité. 

Mais il s’agit exactement là d’une tendance de la postmodernité que cette crise  va mettre en exergue : non plus l’attachement au quantitatif pur, au toujours plus de biens et de services, mais un retour vers du qualitatif, vers des objets et des services adaptés, singuliers et surtout locaux. 

Acheter moins mais acheter de meilleure qualité. Privilégier les circuits courts, les échanges locaux plutôt qu’importer des quantités d’objets inutiles. Et peut-être même, c’est ce que je constate dans le petit village du Sud de la France où je suis resté confiné, la revanche du commerce local (la petite épicerie) en lien avec des producteurs locaux sur la grande surface. 

En somme, l'impression générale est que les systèmes fiscaux et administratifs de la puissance publique française sont trop "lourds", faut-il aller vers une simplification globale pour espérer retrouver une autonomie dans certains secteurs clés ? 

Nicolas Marques : 

Il faudrait aller vers des simplifications globales. La fiscalité et la surrèglementation française étouffent l’économie, en poussant les entreprises et les individus à s’exiler. Cette inflation fiscale et réglementaire pénalise toute la société, bien au-delà de la production de biens et services marchands. 

On en pâtit même dans la lutte contre le coronavirus, entravée par des normes tatillonnes, contradictoires et contreproductives. Alors que nous manquons de masques, l’Etat s’est arrogé le droit de réquisitionner les stocks, productions et importations à venir. Etant lui-même prisonnier de règles d’achat public inadaptées, il n’a pas réussi à se procurer en direct les matériels de protections qui manquent. Notre surrèglementation se retourne aussi contre nous lorsqu’il s’agit déployer une politique massive de tests. Jusqu’au 7 mars, la quasi-totalité des laboratoires privés de biologie médicales privés n’avait pas le droit de faire des tests de dépistage pour des raisons normatives. De même, il a fallu attendre le 5 avril pour que les laboratoires vétérinaires publics soient autorisés à intervenir, alors qu’ils disposent de capacités de test massives et connaissent de longue date les coronavirus.

Malheureusement, l’expérience montre que nous ne sommes pas les plus efficaces lorsqu’il s’agit d’alléger les contraintes administratives. En dépit des efforts déployés par l’actuel gouvernement, la France est 41ème et dernière dans l’Indice de flexibilité de l’emploi publié par le Lithuanian Free Market Institute, avec la méthodologie de la Banque Mondiale. 

De même, la remise à plat et la réduction des impôts de production se fait attendre. Ce sujet est sur la table depuis des années, mais l’on reste au stade des effets d’annonce. Dans le plan d’urgence gouvernemental, il n’y a aucun gel d’impôt de production. Pourtant, la lente agonie de l’économie française risque de s’accélérer dramatiquement avec la pandémie et le confinement. Une partie significative de l’économie est à l’arrêt, chose que l’on ne constate pas chez en Allemagne. Si les impôts de production ne sont pas massivement réduits, les discours sur l’intérêt de relocaliser les productions resteront des vœux pieux. 

Simone Wapler :

L’ultralibéralisme que certains dénoncent en France est une fiction puisque nous vivons dans une économie administrée par l’État puisque 55,6% de notre PIB dépend des dépenses publiques. Notre pays est champion du monde des impôts toutes catégories et - car l’un va avec l’autre.

Or, l’économie administrée est moins performante que l’économie concurrentielle. C’est un fait, pas de l’idéologie. Il suffit de comparer la Corée du Nord et la Corée du Sud (ou en leur temps la RFA et la RDA).  La France est moins performante économiquement que d’autres pays pourtant aussi civilisés qu’elle mais dans lesquels l’État ne se mêle pas de tout. Même notre système de santé - prétendument le meilleur du monde - a été récemment pris en défaut d’inefficacité. Comme quoi, le plus cher du monde ne veut pas dire le meilleur du monde. 

Face à ce constat, on entend hélas réclamer plus d’étatisme, plus d’intervention, plus de zombies maintenus en survie artificielle, plus d’irresponsabilité, plus d’argent gratuit, plus de relances. Même le syndicat patronal représentatif du capitalisme de copinage réclame des nationalisations ! Où sont les voix qui réclament moins d’État (donc moins de taxe, moins d’administration, moins de réglementation) ? Ces voix sont inaudibles. Tant qu’elles le resteront, nous serons victimes de ce que j’ai appelé la « rage de l’impôt ».

Récemment, le recours au confinement a été justifié par le fait que nous serions « indisciplinés » au contraire des Allemands, Suisses, Suédois, etc. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’irresponsabilité. La France est un merveilleux pays où les gens ont un budget vacances mais pas de budget santé (puisque c’est « gratuit »). Dans mon dernier livre, je parle d’une puissante réforme : le versement du salaire complet assorti d’une obligation d’assurance sociale (que ce soit la Sécurité sociale ou tout autre assureur agréé dans l’Union européenne. L’URSSAF se bornerait à contrôler que les salariés soient assurés et les salariés seraient responsabilisés sur les coûts sociaux.

Oui la puissance publique est trop lourde, le carcan administratif trop rigide ; oui il faudrait simplifier, choisir ce que doit faire l’État ; la vocation de l’argent des contribuables est-elle de subventionner de la presse que personne ne lit, des spectacles dont personne ne veut payer les billets, des syndicats auquel personne ne souhaite s’affilier ?

La simplification et l’autonomie supposent d’endosser des responsabilités plutôt que de s’abriter derrière un Cerfa. Pas d’autonomie sans responsabilité comme il n’y a pas de vrai capitalisme sans concurrence ni même sans faillite. Les volontaires pour endosser des responsabilités sont-ils majoritaires dans notre pays ? Difficile à dire dans une démocratie ultra-centralisée où la seule latitude des électeurs consiste désormais à élire des représentants qui choisiront pour eux sur tous les sujets sans être tenus pour responsables de leurs erreurs.

Michel Maffesoli :

La simplification de l’administration et du droit fiscal, social, économique est un marronnier de l’administration française. Moderniser l’État, simplifier les règles, dégraisser l’appareil législatif et normatif, passer d’un État prescripteur à un État stratège, voilà autant de slogans agités dans les cercles de la haute administration depuis plus de trente ans. Mais cette volonté de simplification est de fait une « posture », un pur effet de communication. D’une certaine manière l’Etat français et les élites qui le dirigent correspondent bien à cette phrase de Nietzsche : « Le mensonge qui s’échappe de sa bouche : ‘Moi, l’État, je suis le peuple’ !  »

Il ne faut pas oublier que cette suradministration est la conséquence inévitable de quelques-uns des grands principes sur lesquels s’est construit notre État. Le premier est sans conteste la centralisation dans sa figure la plus rigoureuse : celle qui exige qu’en tout point du territoire soient appliquées des règles identiques : en matière sociale, d’éducation, économique voire culturelle. Cet égalitarisme cache d’ailleurs souvent une main-mise des élites parisiennes sur le pays et des inégalités de fait. 

On a vu pendant l’hiver 2018 – 2019 comment ce centralisme et cette volonté que tout le pays marche au pas cadencé ont provoqué soulèvements populaires voire rébellions violentes. On voit en ce moment comment le centralisme et la hiérarchisation forcenée de l’administration aboutissent à paralyser l’appareil de soins et de prévention.  Mais une simplification et un retour à l’autonomie des collectivités locales, des entreprises, des mouvements associatifs, des services éducatifs et sociaux impliquerait une vraie révolution dans notre pays jacobin.  Il ne s’agit pas de concocter le énième plan de simplification, annonce purement cosmétique, mais d’accorder une réelle autonomie dans nombre de secteurs aux collectivités territoriales, aux établissements d’éducation, de santé et bien sûr aux entreprises. Autonomie, c’est-à-dire que ces différentes communautés, établissements de santé, sociaux, entreprises, universités énoncent leurs propres règles. On est loin de la logique du soupçon, de l’assurance arrogante selon laquelle seuls quelques-uns savent ce qui est bon pour tous. 

Passer du contrôle a priori à la confiance. Considérer que le peuple est juge et bon juge de ce qui est bon pour lui. Un tel changement ne se fera pas facilement. Il sera la résultante de plusieurs crises. Crise au sens étymologique du terme. La crise est jugement et crible. Elle juge les effets néfastes d’un certain nombre de valeurs : ainsi de l’égalitarisme entendu comme uniformité sur tout le territoire ; du progressisme entendu comme acquisition de toujours plus de biens matériels ; de la surprotection qui tue les solidarités et les initiatives de proximité. 

Soulèvements, crises sanitaires et sans doute d’autres formes de rassemblements populaires seront nécessaires pour que le peuple redécouvre à la fois sa puissance et sa capacité à énoncer des règles du vivre ensemble autres qu’un carcan normatif et frileux. On peut voir d’ores et déjà se développer à divers niveaux et dans divers secteurs une quête spirituelle, dont les chemins sont divers, retour à une tradition catholique, intérêt pour les philosophies orientales, engagements dans divers mouvements solidaires etc. qui montre bien que nous changeons d’époque. Ce que je nomme dans mon prochain livre, la nostalgie du sacré.   

D’une certaine manière, et je sens bien que ce que je dis n’est pas facile, la simplification ne sera pas accordée d’en haut, elle se fait d’ores et déjà, au jour le jour, par ces différentes formes de secessio plebis que sont les transgressions et infractions aux règles, les refus de participer aussi bien aux élections politiques qu’à diverses formes de démocratie représentative, telle les instances syndicales. La spontanéité et l’immédiateté tant décriées des réseaux sociaux traduisent bien, pour le meilleur et pour le pire, cette recherche du concret le plus extrême et cette méfiance par rapport au pouvoir normatif et prescripteur. 

Ce que vous appelez le retour d’une certaine autonomie s’inscrit dans ce que j’ai appelé le relativisme postmoderne. Là où l’époque moderne voyait une vérité unique, celle d’une seule religion, d’un seule loi, d’une seule conception du bien commun, l’époque postmoderne revient au polythéisme des valeurs. Non plus une vérité unique, mais une constellation alétheiologique, une mise en relation des vérités entre elles. C’est cela le relativisme, non pas une indifférenciation, mais une mise en relation. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !