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Vladimir Poutine reçu par Alexis Tsipras : comment la Grèce joue la carte russe (et réciproquement) pour mieux faire pression sur l’UE
©Capture d'écran Youtube

Vladimir chez Alexis

Du 27 au 28 mai, Vladimir Poutine sera en visite officielle en Grèce et rencontrera le Premier ministre Alexis Tsipras. Athènes et Moscou, qui entretiennent toutes deux, pour des raisons différentes, une relation tendue avec l'UE, pourraient profiter de cette occasion pour envoyer un message fort aux Européens et rapprocher leurs positions.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Vladimir Poutine est en visite officielle en Grèce jusqu'au vendredi 28 mai. Il rencontrera son homologue Prokopis Pavlopoulos ainsi que le Premier ministre Alexis Tsipras. Alors que la Grèce semble condamnée à une austérité sans fin pour continuer à bénéficier des prêts de l'Eurogroupe, dans quelle mesure pourrait-elle "jouer la carte russe" pour faire pression sur l'UE ?

Guillaume Lagane : Il y a historiquement une grande proximité entre la Grèce et la Russie.

Tout d'abord, ce sont deux pays dont la majorité de la population est chrétienne orthodoxe (97% des Grecs sont orthodoxes).

Existe également une parenté stratégique, historique puisque ce sont deux Etats qui ont eu pendant des siècles le même ennemi : la Turquie. La Russie au XIXe siècle a soutenu l'indépendance de la Grèce. De leur côté, les Grecs ont participé à des coalitions du côté de la Russie : lors de la guerre de Crimée (1853-1856), il y avait un contingent grec contre la France et l'Angleterre ; en 1918, à la fin de la Première Guerre Mondiale, les Grecs ont envoyé des troupes dans le sud de la Russie pour lutter avec les blancs contre les bolcheviks. Cette alliance stratégique est donc très ancienne.

Pour autant, depuis que la Grèce est rentrée dans l'Union européenne et dans l'OTAN, elle s'est quelque peu éloignée de cette alliance avec la Russie. Maintenant qu'elle rencontre de grandes difficultés financières, il est fort peu probable que Moscou se substitue aux Européens ou au FMI pour venir en aide à la Grèce car cela impliquerait d'apporter de l'argent frais à un pays qui en manque cruellement. Or, la Russie, du fait de la chute du prix du pétrole et des difficultés liées aux sanctions occidentales, voit son économie fortement ralentie. Fondamentalement, la Russie a plus intérêt à avoir une Grèce qui reste dans l'Union, quitte à avoir une sorte de cheval de Troie qui sert ses intérêts, plutôt qu'à la faire sortir de l'Union et à l'englober dans un ensemble orthodoxe ou eurasiatique.

Néanmoins, il est évident que cette visite de Vladimir Poutine envoie un message fort à l'Union. La Grèce a toujours tenté de jouer des rivalités des grandes puissances. Au XIXe siècle, elle jouait l’Allemagne contre l’Angleterre, avec un succès d’ailleurs tout relatif. Aujourd’hui, par cette visite, la Grèce montre qu'elle n'est pas seule, qu'elle a d'autres alliés en-dehors de l'Union et que faute d'une aide européenne substantielle et d’une réduction de sa dette, elle pourrait être tentée par un rapprochement avec la Russie.

Bien sûr, il faut raison garder. Les Grecs savent à quoi s’en tenir sur les intentions réelles de la Russie. Ils sont réalistes et veulent avant tout rester en Europe. Ils savent du reste que l'Union européenne ne les lâchera pas : à l'heure de la menace du Brexit, il n'est pas dans l'intérêt de l'Union d'avoir cet été une nouvelle crise des finances publiques de la Grèce.

Il s'agit de la première visite de Vladimir Poutine dans un pays de l'UE en six mois, la dernière rencontre bilatérale avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban remontant à février 2015. Alors que les sanctions contre la Russie sont toujours en vigueur, les clivages au sein de l'Europe sur la ligne à adopter vis-à-vis de Moscou semblent s'accentuer. Quelles sont ces divergences et quelle est la position de la Grèce à ce sujet ?  

Ce n'est pas un hasard si le dernier voyage de Poutine en Europe a eu lieu dans la Hongrie de Viktor Orban. En effet, dans la lignée de ses prises de position en faveur d’une "démocratie non libérale", Viktor Orban est un partisan du régime russe. Pour la Hongrie, c'est une nouveauté, car c'est un pays historiquement opposé à la Russie (on se souvient du soulèvement de Budapest en 1956). Pour la Grèce, c'est moins surprenant car, comme indiqué plus haut, il existe une profondeur historique dans la relation grecquo-russe. La Grèce est le seul Etat membre de l'OTAN (qu'elle a rejoint en 1952) à avoir continué à acheter du matériel russe pour son armée. Et puis surtout, et c'est d'ailleurs un point commun avec la Hongrie, elle très dépendante de Moscou d'un point de vue énergétique puisqu'elle achète 60% de son gaz à la Russie.

Hongrie et Grèce ont donc une position similaire, critiquent les sanctions européennes et ne sont pas favorables au fait que l'affaire ukrainienne (position paradoxale pour les Grecs, puis qu’après tout les Ukrainiens aussi sont orthodoxes) envenime les relations entre la Russie et l'Union.

En ce qui concerne la ligne à adopter vis-à-vis de la Russie, les positions sont effectivement très divergentes au sein de l'Union et l'on distingue plusieurs groupes de pays.  

Certains pays sont très en pointe dans la mobilisation contre la Russie, tels les pays d'Europe orientale, qui étant frontaliers de la Russie et ayant connu l’occupation russe ou soviétique se sentent menacés par les rêves de grandeur de Vladimir Poutine. La Pologne et les pays baltes, qui accueilleront désormais une brigade "en rotation" de l’OTAN, sont particulièrement inquiets des agissements de la Russie. Ils sont rejoints dans cette position par des pays atlantistes comme le Royaume-Uni ou le Danemark.

Parmi les pays du "camp russe", outre la Grèce et la Hongrie, on trouve des pays que le "modèle russe" attire, souvent gouvernés par l’ultra-droite, comme la Slovaquie, ou encore l'Italie qui, par pur réalisme économique (l'Italie étant un grand importateur de gaz russe), est en faveur d'une normalisation avec Moscou.

Certains pays, enfin, sont soit moins concernés par cet enjeu (on peut penser au Portugal ou à l'Espagne), soit sur une position un peu médiane, comme la France et l'Allemagne. Ces derniers ont l'obligation, pour des raisons politiques, de ne pas laisser passer l'annexion de la Crimée mais veulent dans le même temps conserver des relations spéciales avec la Russie. Dans le cas de l'Allemagne, cela est lié à des raisons énergétiques (le gaz qui passe par la Baltique) et, dans le cas de la France, c'est lié à sa traditionnelle position de puissance intermédiaire entre les pro-Américains classiques et une position plus neutraliste, très en vogue aujourd’hui à l’extrême-gauche (Mélenchon) ou dans une partie de la droite (chez Fillon par exemple), dans la lignée de l'Europe "de l'Atlantique à l'Oural" un temps imaginée par De Gaulle. 

Dans ce contexte, la Russie cherche-t-elle, elle aussi, à faire pression sur l'UE en accentuant les divisions entre Etats membre sur la ligne à adopter à son égard ? Se dirige-t-on vers la fin des "règles de jeu unilatérales" souhaitées par Vladimir Poutine ? 

La visite de Vladimir Poutine s'inscrit dans une stratégie russe ancienne qui consiste à diviser les Européens. Fondamentalement, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Russie a pour stratégie d'attirer vers elle les pays européens et de les éloigner des Etats-Unis. Il ne s’agit pas de contraindre les Européens à changer leur modèle politico-économique mais de les "finlandiser", c’est-à-dire de s’assurer de leur passivité face aux agissements de la Russie. C’est l’esprit de cette visite, qui veut souligner les divisions de l’Union face à la question russe, deux mois avant un sommet de l’OTAN qui se tiendra en juillet à Varsovie, où il sera question du déploiement d’un bouclier anti-missile que les Russes jugent menaçants.

Il n'est pas étonnant que, pour cette visite, Vladimir Poutine ait choisi la Grèce. C'est un pays qui, à plusieurs reprises, a eu maille à partir avec les Etats-Unis. Plusieurs crises en attestent. Pendant la guerre civile grecque entre 1946 et 1949, les Occidentaux ont soutenu le camp des monarchistes contre celui des communistes. Entre 1974 et 1980, l'occupation par la Turquie de la partie nord de Chypre a poussé la Grèce à se retirer de l'OTAN et les Etats-Unis ont été incriminés par les Grecs (comme par les Turcs d’ailleurs) pour ne pas les avoir suffisamment soutenus. Enfin, dans les années 1990, la Grèce désapprouvait la politique occidentale en Yougoslavie et soutenait plutôt la Serbie. A chacune de ces crises, la Grèce s'est donc rapprochée des positions russes et s'est éloignée des Occidentaux. C’est peut-être un tel message que va porter Poutine à Alexis Tsipras.  

Propos recueillis par Emilia Capitaine

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