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Violences contre les religions : ce que les chiffres des actes anti-musulmans ne devraient pas nous empêcher de voir par ailleurs
©Reuters

Yeux bandés

Selon la Délégation interministérielle à la Lutte contre le racisme et l'antisémitisme, les actes anti-musulmans en France auraient triplé en un an. En 2015, plus de 400 actes ont été ainsi recensés sur le territoire. Des chiffres regrettables certes, mais qui peuvent faire l'objet d'exagération, fruit de notre mauvaise conscience.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Quelle analyse peut-on faire de ces chiffres ? Quelle réalité se cache derrière ceux-ci ?

Guylain Chevrier : En 2015, on parle de plus de 400 actes ant-musulmans officiellement recensés en France. Soit plus 200 % par rapport aux 133 comptabilisés l'an passé, tel que le révèle la Délégation interministérielle à la Lutte contre le racisme et l'antisémitisme (Dilcra). Avec en point d'orgue, les événements pour le moins regrettables d'Ajaccio. On parle dans ce domaine d’une « année particulièrement noire ». Permettez-moi tout d’abord de partir de ces derniers événements, qui sont dans le traitement politique et médiatique une sorte de point d’orgue d’une surenchère qui s’expose sans retenue ici. On peut sans détour parler là d’un amalgame assez scandaleux. On découvre aujourd'hui que le nationalisme corse est anti-arabe, ce qui est une véritable gageure, car ce qui était scandé par les manifestants en cause, n’était pas à l’adresse de l’islam mais d’individus selon leur origine, « dehors les arabes ». Une situation qui n’a rien de nouveau sur l'île, alors que nos politiques ont laissé le nationalisme corse s’installer à la tête de l’exécutif régional, en étant obsédés par le FN au point de ne pas voir cela venir. On ne paie ici, rien qui n’aille avec les enjeux généraux des relations entre religion et société et particulièrement islam et République, mais les conséquences d’un aveuglement qui a conduit à la situation d’un nationalisme repenti considéré comme fréquentable, qui hier a promu le crime contre la République jusqu'à assassiner un préfet, qui comme tout nationalisme droit dans ses bottes, rejette les différences.

On doit tout de même souligner que le caractère alarmiste systématiquement donné à ces faits, pour l’essentiel des menaces, des attaques aux biens, quasiment pas ou très peu d’attaques aux personnes, devrait interroger. Il y a là la volonté d’un effet grossissant qui d’ailleurs ne trompe personne, en dehors de nos compatriotes musulmans chez lesquels on est en train de créer un sentiment de peur tout à fait inutile et dangereux, car poussant dans le sens d’un repli voire d’une mise à part dont on ne mesure pas toutes les conséquences. Une peur qui pourrait par exemple être favorable à une victimisation justifiant encore un peu plus la radicalisation de certains, par effet contraire au but affiché ou recherché, qui serait celui de prévenir les violences en les dénonçant. Si on tente d’apprécier effectivement le nombre d’actes identifiés comme anti-musulmans au regard de ce que représentent les musulmans en France, cinq à six millions de personnes, dans une France de près de 67 millions d’habitants, dans un contexte qui est celui d’attentats perpétrés au nom de cette religion, on peut dire que les choses sont formidablement contenues. Il n’y a aucun mouvement général de rejet en dehors du phénomène corse que j’ai décrit plus haut, qui est d’une toute autre nature et ne concerne bien sûr pas tous les Corses non plus.

Le nombre d’actes, s’il est en augmentation de façon tout à fait condamnable, n’est absolument pas en rapport avec le niveau quasi paroxystique de la dénonciation, à l’image d’un Abdallah Zekri, président de l'Observatoire contre l'islamophobie, rattaché au CFCM (Conseil français du culte musulman) ou encore du Collectif contre l'islamophobie en France. Ces derniers ne cessent de présenter les musulmans comme rejetés et persécutés en France, sous le signe d’un concept d’islamophobie dont on connait le caractère pour le moins contestable, frappé de surenchère dans le mot qui sert lui-même à désigner ces actes, en les identifiant à une phobie de l’islam qui tend à la paranoïa. Il s’agit surtout d’un instrument de propagande qui est une parade à toute remise en question d’une logique communautaire qui tourne de plus en plus au communautarisme et au rejet par certains de toute composition de l’islam avec la modernité, lorsque ce n’est pas une façon de défendre le pouvoir d’une institution et de ses représentants.

Si on compare avec les actes antisémites, on mesure encore mieux la disproportion mise en scène ici. A la même époque l’année passée, on faisait le bilan que les actes antisémites (actions et menaces) avaient plus que doublé en 2014 par rapport à 2013, passant de 423 à 851. Une hausse dont il ressortait une tendance forte concernant la violence aux personnes comprenant assassinats, prises d’otage, passages à tabac, dont ce couple séquestré à Créteil, la jeune femme violée et leur appartement cambriolé, par des agresseurs partant de l’idée, selon le parquet, « qu’être juif signifierait que l’on a de l’argent », jusqu'à l’attentat contre l’hypermarché cachère. Les actes avec violences physiques étaient respectivement de 241 en 2014, contre 105 en 2013. Et cela pour une population de 500.000 concitoyens de confession juive, dix fois moins que nos compatriotes musulmans, avec il y a un an plus du double d’actes antisémites au regard des actes anti-musulmans d'aujourd'hui, et ce, avec une tendance lourdes de violences aux personnes allant jusqu'à la torture et l’assassinat, que les musulmans de France ne connaissent heureusement pas.

Il ne s’agit en aucune façon de la moindre banalisation ici concernant les actes relevés comme anti-musulmans, aucun ne devant rester sans réponse, mais de rappeler tout de même à la raison ceux qui se livrent à cette débauche de surenchère dans la victimisation.

Pourquoi alors sommes-nous plus vigilants face à ces violences comparées à d’autres ? 

Il y a une volonté des pouvoirs publics de porter l’attention sur ces faits, peut-on penser tout d’abord, en raison du climat de tension qui existe autour de l’islam, lié aux attentats, que relaient les médias sans trop de distance. Mais il ne faut pas sous-estimer un contexte qui a aussi à voir avec la confusion qui règne aujourd'hui dans les relations entre islam et République, qui relève de la responsabilité des différents gouvernements qui se sont succédés. On a voulu mettre en place une politique de contrôle de ce culte à travers la création d’un Conseil français du culte musulman, qui est aujourd'hui largement discrédité, en assignant tous les musulmans à une voix unique non représentative de leur diversité, qui a donné l’initiative à des organisations rétrogrades comme l’Union des organisations islamiques de France sous influence des Frères musulmans.

Le problème, c’est que l’on ne veut pas sortir côté pouvoirs publics de cette logique, malgré les derniers réaménagement, et ainsi, on surenchérit du côté de la victimisation, ce qui participe de maintenir une espèce de statut quo, donnant des gages à une représentation des musulmans de France très largement artificielle. Cela est même dangereux d’une certaine façon, car c’est empêcher par cette officialité que puisse s’exprimer un autre islam ou d’autres islams, plus enclins à voir d’abord en celui qui croit d’abord un citoyen. Par exemple, ce que l’on appelle la communauté musulmane dans les faits n’existe pas, au regard des cinq à six millions de citoyens de confession musulmane que compte la France. Cette appellation de « communauté » qui fait beaucoup de mal par assignation, ne concerne qu’une partie des musulmans, minoritaire, la plus visible, qui d’ailleurs est fréquemment synonyme pour ceux qui s’y reconnaissent de faire prévaloir les convictions religieuses sur les valeurs communes à travers un affichage ostensible (56% d’entre eux selon une enquête de l’institut Sociovision de décembre 2014), montrant à quel point le projet des pouvoirs publics ici a loupé totalement sa cible. Si véritablement il y avait volonté de favoriser une intégration d’individus de droit et non, des musulmans sur un mode prioritairement communautaire, on ne pourrait parler de cette façon des actes anti-musulmans ou d’islamophobie. Cette exagération décalée résonne d’un échec cuisant d’une politique de reconnaissance par la religion d’une partie de nos concitoyens en rompant en réalité avec nos principes et valeurs.

D’où vient cette victimisation ? Où prend-t-elle racine ? Qui l’a nourrie ?

Cette victimisation est un procédé qui élude par où elle grossit le trait, les interrogations nécessaires qui préludent à un processus d’intégration réussie dans notre République, de nos concitoyens de confession musulmane. Lorsque le CFCM fait une convention citoyenne des musulmans de France en mai 2014, et qu’il y écrit que le coran affirme l’égalité entre hommes et femmes, en contradiction totale avec le caractère discriminatoire envers les femmes de la sourate 4 qui leurs est consacrées, que celle-ci est saluée par l’actuel Premier ministre, on se demande qui on cherche à tromper. On est là aussi dans une sorte de surenchère qui agit en trompe l’œil sous une logique politique qui ne dit pas son nom. Lorsqu'on explique que la radicalisation n’a rien à voir avec la religion, alors qu’on trouve dans le coran en bonne place des appels au meurtre dans une série de versets (sourate 4.91 ; 5.35 ; 9.5.14 ; 61.11-12), qui constitue une progression dans l’appel à la violence militaire en faveur du djihad (guerre sainte), là encore on agit en donnant le sentiment à travers nombre de dénis que l’on entend interdire toute critique de l’islam, d’en faire une religion intouchable, à quoi le climat de dramatisation autour des actes anti-musulmans participe, poussant dans le sens d’un ressentiment de nombreux Français qui met en risque les musulmans eux-mêmes, jusqu'à la cohésion de notre société.

La conception de la place donnée au culte musulman en France a été dans le sens d’assimiler intégration des immigrés et assignation à une religion, en donnant la prévalence au religieux sur la citoyenneté, ce qui nous amène là où nous en sommes. On a  d’une part créé une institution religieuse en lui donnant un caractère politique de représentation de citoyens selon leur religion, ainsi privés de la possibilité de leur libre expression. Cela en contradiction totale avec nos institutions, le sens qui était jusque là celui de la citoyenneté, créant en quelque sorte des citoyens de seconde zone. Si on regarde les choses de plus près, on s’aperçoit que c’est ainsi que l’on a aussi traité les colonisés à l’époque coloniale. On est dans la justification de cela derrière la théâtralisation de « l’islamophobie » et l’idée que dans le pays de la laïcité on ne pourrait pas exercer sa religion, ou seulement sous le signe de la peur, ce qui est proprement infondé et ridicule.

On a créé toutes les conditions d’une communautarisation d’une partie, tout au moins, des musulmans, en les traitant de cette façon. On les a détournés de la République qui a mis entre elle et ces citoyens, une religion. On a ainsi donné le feu vert à des pratiques de clientélisation politico-religieuses des élus, mettant en œuvre le même principe à l’échelle locale, jouant sur la logique communautaire, certains allant jusqu'à créer des conseils locaux des cultes, mettant à disposition des terrains pour la construction de lieux de culte, organisant dans des bâtiments publics des fêtes religieuses, finançant des activités cultuelles... Le Conseil d’Etat devait suivre ce mouvement en entérinant toute une série de dérogations ou tempéraments à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, au nom par exemple de « l’intérêt public local », permettant le financement de certaines activités cultuelles ou encore, la pratique des concessions de terrains à destination de la construction de lieux de culte pour « l’euro symbolique ».

C’est tout un système qui est finalement défendu derrière cette exagération manifeste et affligeante de crier au loup, qui produit de plus en plus de troubles de tous côtés, dont la responsabilité revient à ceux qui nous gouvernent depuis le début de la montée des affirmations identitaires, que l’on peut situer au moment de la première affaire du voile dans une école à Creil, en juin 1989. On a mis quinze années à résoudre cette situation pour en arriver à la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’école publique, quinze années pendant lesquelles s’est mise en place en France, à la faveur de cette confusion, une politique des accommodements dits raisonnables, qui a posé le cadre à la situation de crise actuelle. Elle est largement ressentie à travers un rapport litigieux qui se fait jour entre la France et l’islam, derrière ce qui est rajouté de degrés de température à la réalité des faits en référence, sous couvert de dénonciation de « la multiplication » des actes anti-musulmans. Il est urgent de revenir aux grands principes de notre République, dont la citoyenneté pour tous demeure la seule vraie garantie.

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