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Violence contre les musulmans : derrière le tireur de la mosquée de Bayonne, combien d’extrémistes similaires ?
©GAIZKA IROZ / AFP

Appréciation de la menace

Si l’attaque odieuse d’un militant RN ce lundi a fait deux blessés graves, dont un homme au pronostic vital engagé, la menace de reproductions d’actes identiques au niveau de la France entière paraît heureusement limitée.

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul

Gilles Clavreul est un ancien délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Il a remis au gouvernement, en février 2018, un rapport sur la laïcité. Il a cofondé en 2015 le Printemps Républicain (avec le politologue Laurent Bouvet), et lance actuellement un think tank, "L'Aurore".

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Roland Lombardi

Roland Lombardi

Roland Lombardi est consultant et Directeur général du CEMO – Centre des Études du Moyen-Orient. Docteur en Histoire, géopolitologue, il est spécialiste du Moyen-Orient, des relations internationales et des questions de sécurité et de défense.

Il est chargé de cours au DEMO – Département des Études du Moyen-Orient – d’Aix Marseille Université et enseigne la géopolitique à la Business School de La Rochelle.

Il est le rédacteur en chef du webmedia Le Dialogue. Il est régulièrement sollicité par les médias du Moyen-Orient. Il est également chroniqueur international pour Al Ain.

Il est l’auteur de nombreux articles académiques de référence notamment :

« Israël et la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient : quelles nouvelles menaces et quelles perspectives ? » in Enjeux géostratégiques au Moyen-Orient, Études Internationales, HEI - Université de Laval (Canada), VOLUME XLVII, Nos 2-3, Avril 2017, « Crise du Qatar : et si les véritables raisons étaient ailleurs ? », Les Cahiers de l'Orient, vol. 128, no. 4, 2017, « L'Égypte de Sissi : recul ou reconquête régionale ? » (p.158), in La Méditerranée stratégique – Laboratoire de la mondialisation, Revue de la Défense Nationale, Été 2019, n°822 sous la direction de Pascal Ausseur et Pierre Razoux, « Ambitions égyptiennes et israéliennes en Méditerranée orientale », Revue Conflits, N° 31, janvier-février 2021 et « Les errances de la politique de la France en Libye », Confluences Méditerranée, vol. 118, no. 3, 2021, pp. 89-104.

Il est l'auteur d'Israël au secours de l'Algérie française, l'État hébreu et la guerre d'Algérie : 1954-1962 (Éditions Prolégomènes, 2009, réédité en 2015, 146 p.).

Co-auteur de La guerre d'Algérie revisitée. Nouvelles générations, nouveaux regards. Sous la direction d'Aïssa Kadri, Moula Bouaziz et Tramor Quemeneur, aux éditions Karthala, Février 2015, Gaz naturel, la nouvelle donne, Frédéric Encel (dir.), Paris, PUF, Février 2016, Grands reporters, au cœur des conflits, avec Emmanuel Razavi, Bold, 2021 et La géopolitique au défi de l’islamisme, Éric Denécé et Alexandre Del Valle (dir.), Ellipses, Février 2022.

Il a dirigé, pour la revue Orients Stratégiques, l’ouvrage collectif : Le Golfe persique, Nœud gordien d’une zone en conflictualité permanente, aux éditions L’Harmattan, janvier 2020. 

Ses derniers ouvrages : Les Trente Honteuses, la fin de l'influence française dans le monde arabo-musulman (VA Éditions, Janvier 2020) - Préface d'Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité de la DGSE, Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021), Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)

Vous pouvez suivre Roland Lombardi sur les réseaux sociaux :  FacebookTwitter et LinkedIn

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Atlantico.fr : Des coups de feu ont été tirés, ce lundi, à la mosquée de Bayonne. Un homme de 84 ans, Claude Sinké, suspecté d'être le tireur, a été arrêté. En 2015, ce-dernier était candidat aux élections départementales du canton de Seignanx sous étiquette Front National.

Certains estiment que ce drame rappelle l'existence d'un risque d'un terrorisme venant de l'extrême droite. Ce risque existe-t-il ? Quelle est sa mesure ? 

Gilles Clavreul : C’est le propre des extrêmes que de légitimer, voire de glorifier, le recours à la violence. Violence accoucheuse de l’histoire pour les mouvements terroristes d’extrême-gauche, elle est, pour la droite de la droite, réflexe de survie, manifestation de la supériorité de la race ou tout simplement légitime défense. Bien d’autres mouvements, qu’on ne peut pas nécessairement classer politiquement parce que cela ne fait pas grand sens, revendiquent également l’usage de la violence ; c’est évidemment le cas de l’islamisme djihadiste. Pour revenir à l’extrême-droite, son rapport à la violence varie selon les courants et les circonstances historiques, mais celle-ci reste toujours une option politique disponible. Depuis son émergence comme acteur politique de premier plan au milieu des années 1980, le Front National n’a eu de cesse que de rompre avec un héritage devenu encombrant, qui allait de la justification du terrorisme de l’OAS à la culture de la castagne dont les skinheads en marge des cortèges de la fête de Jeanne d’Arc étaient les représentants compromettants. Dans les années 1990, ce folklore de brutes alcoolisées tuait : Brahim Bouarram en est mort, le 1er mai 1995. A l’époque, le FN cherchait déjà à se dissocier de cette ultra-droite violente, faite de petits groupes hétéroclites, dans une sorte de préfiguration inversée du « pas d’amalgame ! ». Après vingt ans d’une laborieuse « dédiabolisation », le FN rebaptisé « Rassemblement National » a certes rompu formellement avec les groupuscules situés à sa droite, mais cela n’empêche ni le recyclage d’anciens crânes rasés parmi ses cadres dirigeants, ni un cousinage idéologique sur fond de « Grand remplacement », de « remigration » et d’admiration pour les régimes autoritaires. L’attaque de Bayonne, dont la qualification pénale, terroriste ou non, n’est pas connue à l’heure où je vous parle, rattrape en quelque sorte la formation de Marine Le Pen, puisque l’auteur présumé est un ancien candidat du RN dans les Landes.

Roland Lombardi : Bien sûr que la menace terroriste d’extrême droite est à prendre en compte. De ce côté là aussi, le risque zéro n’existe pas. Patrick Calvar, l’ancien patron de la DGSI, avait d’ailleurs fait part de ses craintes quant au spectre d’un choc communautaire excité par l’ultra-droite à la faveur des attentats de Daesh et d’al-Qaïda à partir de janvier 2015. Et en effet, je rappelle que c’était le rêve voire même la stratégie d’Abou Moussab al-Souri, le théoricien djihadiste de la guerre civile en Europe. Dans son Appel à la résistance islamique mondiale, ce dernier espérait, avec la multiplication des attaques qui toucheraient l’Europe, exactement la réalisation de ce scénario de « l’engrenage de la violence ».

Toutefois, permettez-moi juste de rappeler que la plus grande menace terroriste actuellement en France, comme le souligne chaque jour les rapports des services de sécurité français, reste encore et toujours le terrorisme islamiste ! Je sais que la plupart des médias français aiment jouer avec le sensationnel du « danger de l’extrême droite ». L’intelligentsia de gauche semble d’ailleurs bien plus indulgente avec, par exemple, la violence de l’extrême gauche (dont les groupes sont pourtant beaucoup plus agressifs et dangereux) ou encore aime à trouver toutes sortes d’excuses et de circonstances atténuantes, tout aussi ubuesques les unes que les autres, aux terroristes djihadistes !

Pour en revenir au risque d’attentat de l’ultra-droite, il faudrait là aussi se demander quelle en est la cause. J’attends déjà ici ou là, que ce qui nourrit le passage à de tels actes absurdes et condamnables, comme hier, celui de l’attaque abjecte de la mosquée de Bayonne, serait certains discours « nauséabonds » à propos du voile, de l’islam, etc... Pour ma part, je pense que le problème est beaucoup plus profond et que les responsables politiques français aux commandes en sont les premiers responsables. Je m’explique. Dans des pays comme Israël ou la Russie, Etats éminemment sécuritaires mais qui connaissent régulièrement des attaques islamistes, il n’y a pas ou très peu de « représailles » de ce genre, c'est-à-dire des actes isolés visant les communautés musulmanes pourtant nombreuses dans ces pays. Ceci pour la bonne et simple raison que la majorité des Israéliens et des Russes savent que leurs dirigeants, malgré les inévitables failles dans ce type de lutte, font tout de même « le job », ou du moins, font le maximum pour combattre ce fléau du terrorisme islamiste.

En France, au contraire, comme le démontrent toujours les enquêtes d’opinion, les Français ne se sentent toujours pas protégés.

Et effectivement, nous avons la funeste impression que face au terrorisme islamiste et à l’islam politique en général, il semblerait, en paraphrasant un intellectuel français qui écrivait, lors des premières heures de la Seconde guerre mondiale, que « cette guerre beaucoup souhaitent la gagner mais peu en définitive veulent véritablement la faire » !

Ainsi, alors que « nous sommes en guerre », comme nous l’ont maintes fois répété certains ministres, nos chefs n’ont toujours pas compris qu’on ne fait pas la guerre avec les lois de la paix, même pour nos sociétés démocratiques. Ce fléau du terrorisme djihadiste, qui depuis janvier 2015, rappelons-le encore, a coûté la vie à plus de 250 de nos compatriotes et en a blessé plus d’un millier, devrait pourtant être combattu avec les moyens de la guerre, de manière implacable et impitoyable.

Certes, cette lutte doit être globale et faite, au-delà de l’aspect strictement sécuritaire, en amont, sur les plans sociétaux, économiques, éducatifs et religieux. Mais tout de même, combien de drames et de morts faudra-t-il encore endurer pour enfin prendre, par exemple, des mesures de détention préventive voire de véritables mesures d’exception ? Est-il vraiment raisonnable que plus d’un millier de « fichés S », hautement dangereux, soient encore en toute liberté sur notre territoire ? Ou que des centaines de mosquées salafistes ne soient pas encore fermées et que des imams et des prédicateurs, souvent étrangers et prêchant la haine contre nos concitoyens, ne soient toujours pas expulsés manu militari ?

Car même si notre législation dans le domaine de l’antiterrorisme a depuis été durcie, il semblerait que ce ne soit toujours pas assez suffisant, au regard de la répétition des attentats. Comme d’ailleurs l’atteste le dernier massacre, au sein même de la Préfecture de police de Paris, bastion de l’ordre public de l’Hexagone, où un de ses membres, habilité « secret défense » (!!!) mais converti et radicalisé, a égorgé quatre de ses collègues il y a quelques jours. Cet épisode est un exceptionnel mais tragique symbole de notre vulnérabilité.

Nous ne pouvons pas laisser éternellement tout le poids de ce combat sur les épaules de nos services de police et de renseignements qui, malgré leur efficacité (59 attentats déjoués en 6 ans), sont submergés et débordés notamment à cause des incompétences et des défaillances de nos politiques et de notre système judiciaire. Une réponse politique forte est fondamentale. Or, depuis janvier 2015, celle-ci tarde à venir et tous les gouvernements ont jusqu’ici pitoyablement fait preuve d’une incapacité notoire à gérer ce phénomène. Après le Bataclan, l’Etat français, profitant de la sidération générale, aurait dû frapper vite et fort. Il ne l’a pas fait et l’occasion a été manquée. A présent, nous sommes bien loin du « il faut terroriser les terroristes » de l’ancien ministre de l’Intérieur, le réaliste Charles Pasqua. On ne combat pas des hyènes avec des caniches ! Et il est inadmissible que le chef de l’État et le premier « flic de France », beaucoup plus préoccupés par leur com’ et le « pas d’amalgame », ne se saisissent pas de ce problème à bras le corps. Il en va de la confiance que les citoyens ont dans leurs représentants et de ceux qui doivent assurer leur sécurité. Danton avait prévenu : « soyons terribles pour dispenser le peuple de l’être »...

Car la politique de l’autruche ne mènera qu’à la prolifération djihadiste et le risque d’embrasement du pays.

L’histoire et les spécialistes des guerres asymétriques, comme David Galula, l’ont pourtant démontré : Pour lutter efficacement contre le terrorisme et éventuellement le vaincre, il faut impérativement « vider l’eau du bocal » afin que l’activiste, tel que le conseillait Mao, ne se sente pas comme un poisson dans l’eau. C’est exactement ce qu’avait fait la France en Algérie, dans les années 1950-1960 avec le FLN (vaincu militairement rappelons-le) puis plus tard, le général de Gaulle avec l’OAS. Malheureusement, comme nous l’avons vu plus haut, en laissant des lieux de culte et des quartiers entiers, touchés par la pauvreté et un chômage endémique, aux mains des islamistes et surtout, en dédouanant et banalisant certains discours, rien n’est sérieusement fait pour empêcher les kamikazes potentiels à vivre comme des requins dans l’eau... Rien n’est également entrepris pour détruire cet « écosystème «salafo-frériste» de rupture avec la société française (qui) s’est mis en place au gré des sermons, des prêches, des réseaux associatifs et Internet (et qui) produit les conditions culturelles qui font qu’un individu instable, pour telle ou telle raison, va être convaincu de passer à l’acte » (Gilles Kepel).

En ne prenant pas au sérieux certaines questions comme le danger du communautarisme ou de l’islam politique, en considérant, comme notre président, que le voile islamiste n’est pas leur affaire, nos élites dirigeantes entretiennent les frustrations et la colère d’une grande partie de nos compatriotes.

Alors, au-delà de la ritournelle des belles paroles habituelle, pourquoi cette passivité sur le terrain ? Est-ce de la naïveté, du laxisme ou un cynique calcul politique ? Peut-être un peu des trois. D’abord, Emmanuel Macron, pourtant conscient des dangers (il est très bien informé par nos services et surtout, il est loin d’être stupide !), ne veut pas choquer les gourous médiatiques de la « bien-pensance », du politiquement correct et surtout sa majorité politique fragile et le cœur de sa base électorale, comme ses conseillers, composés de bobos citadins et de centristes de gauche comme de droite, complètement déconnectés du monde réel. Ensuite, laisser par exemple la question du voile en suspend et sur la place publique, permet de ne pas parler des réformes socio-économiques douloureuses, d’entretenir et cristalliser les divisions et surtout maintenir un Rassemblement National très haut dans les intentions de vote, ce qui, bien évidemment, lui assurera sa réélection en 2022.

Mais voilà, n’oublions pas que c’est souvent un grain de sable qui fait capoter une stratégie militaire ou politique aussi brillante et machiavélique qu’elle soit !     

En 2017, un jeune homme avait attaqué plusieurs personnes en se réclamant d'un groupe nommé "Commando de défense du peuple et de la patrie française", qui s'est avéré être restreint puisqu'il ne contenait que lui. Les risques de terrorisme d'extrême-droite sont-ils des risques de réseau ou des risques d'actes comme celui commis hier, qui semble a priori isolé ?

Gilles Clavreul : La tentation est grande de comparer avec le terrorisme islamiste, mais je crois qu’il faut, dans le temps de l’analyse, y résister : nous avons affaire à des visions du monde et à des écosystèmes culturels très différents. Sinon, il faudrait conclure, en paraphrasant Olivier Roy, qu’il n’y a pas de radicalisation du nationalisme, mais seulement une « nationalisation » de la radicalité : on voit tout de suite que cela n’a aucun sens. Il faut donc s’attacher à comprendre d’où les acteurs parlent et comment ils construisent leurs représentations politiques, de quoi se nourrit leur discours de justification de la violence. Dans le cas de l’extrême-droite, il y a une parenté idéologique certaine entre tous ceux qui partagent une vision pessimiste et manichéenne d’une immigration-submersion de l’Europe par des peuples aux cultures allochtones, cherchant à imposer par la ruse ou par la force un modèle socio-politique et religieux foncièrement étranger au nôtre.

Pour autant, et en dépit des ressemblances idéologiques certaines, l’ultra-droite n’attend rien du Rassemblement National, considéré comme un parti bourgeois plus ou moins intégré au système. S’inspirant des formations nationalistes des ex-pays de l’est, les groupuscules apparus au début du siècle ont réinvesti l’action directe. Et la violence a immédiatement refait surface, dès 2002, avec l’attentat contre Jacques Chirac, perpétré contre Maxime Brunerie. Unité radicale a été dissoute et n’a pas eu de successeurs directs, avant que la montée en puissance des forums internet, puis des réseaux sociaux, ne favorise l’émergence de nouveaux acteurs. Parmi ceux-là, de petits noyaux, parfois de quelques individus seulement, sont particulièrement suivis par les services  car la menace qu’ils représentent n’est pas prise à la légère. Peu avant de quitter ses fonctions, Patrick Calvar, l’ancien Directeur Général de la Sécurité Intérieure (DGSI), avait alerté, en juillet 2016 sur les risques d’une attaque terroriste anti-musulmane issue de l’ultra-droite. Ces deux dernières années, quatre groupes d’ultra-droite ont été démantelés : ils envisageaient des actions contre des intérêts juifs et musulmans, ainsi que contre des personnalités politiques (outre le Président Emmanuel Macron, Christophe Castaner et Jean-Luc Mélenchon étaient notamment visés). Le côté « artisanal » et le profil des protagonistes ne doivent pas induire en erreur : un passage à l’acte était tout à fait possible. Reste une autre hypothèse, celle d’un passage à l’acte individuel, à l’image de Breivik ou du tueur de Christchurch. Cette dernière éventualité amène forcément à s’interroger sur le rôle joué par la propagande sur internet et l’effet de radicalisation provoqué par les réseaux sociaux. On peut toujours dire que le passage à l’acte d’un individu est de l’ordre de la contingence ; mais cette contingence s’inscrit dans un contexte idéologique. Et le résultat humain est lourd quoi qu’il arrive.

Roland Lombardi : Il y a peut-être une vingtaine de groupuscules de l’ultra-droite. Le nombre de personnes qui y gravitent atteint sûrement le millier de « militants ». Or, cette mouvance et ses réseaux sont étroitement surveillés (et souvent infiltrés) depuis des années par les services français.  

Concernant la plupart de ces autres groupes « clandestins » qui se forment, comme vous dites, ce ne sont souvent que des coquilles vides. Beaucoup de ces petits groupuscules naissent et disparaissent aussitôt. Il n’y pas de profil type des personnes qui les composent mais souvent ce sont des gens marqués par les échecs et les rejets. Attirés au début par l’action politique et militante, ils sont souvent déçus par les partis traditionnels.

De plus, nous avons souvent affaire à des pieds nickelés. Ce sont surtout des « révolutionnaires du clavier » plus qu’autre chose. D’ailleurs, c’est la plupart du temps comme cela qu’ils se font tous interpeller : à cause de leurs profils sur les réseaux sociaux et surtout, leur activisme et leur violence… mais sur les écrans !

Même si certains se préparent au « Grand soir » (pour eux, la guerre civile), nous sommes encore très loin de la dangerosité et du sérieux de groupes comme La Cagoule, l’OAS, ou l’IRA irlandaise, ou encore l’ETA basque.

Pour l’instant, le vrai danger viendrait plutôt d’un illuminé ou d’un déséquilibré plus ou moins isolé, une sorte d’Anders Breivik ou d’un Brenton Tarrant version locale. Ou pire des petites cellules complètement déconnectées et indépendantes les unes des autres, composées seulement de 2 à 3 personnes vraiment déterminées (pas plus, pour éviter ainsi les fuites et les infiltrations, comme en son temps les meilleures cellules de l’IRA que j’ai évoquée plus haut) et bien sûr totalement « low tech » (sans portables, internet ou réseaux sociaux…). Là ce serait une toute autre histoire et le rêve d’Al-Souri pourrait malheureusement finir par se réaliser…

De l'attentat commis par Brenton Tarrant en mars en Nouvelle-Zélande, aux attaques des suprémacistes aux Etats-Unis, notre vision du risque est aussi modifiée par ce qui se passe à l'étranger. Peut-on distinguer une réalité européenne ou française du contexte mondial ? 

Gilles Clavreul : Jusqu’à présent, la dimension suprémaciste, qui fait du sang et de la race la matrice de compréhension du monde, n’a jamais été très présente en France. C’est ce qui m’avait fait écrire, dans L’Aurore, que l’auteur de la tuerie de Christchurch n’avait certainement pas lu Renaud Camus, même s’il faisait référence au concept de « Grand remplacement ». En revanche l’extrême-droite française est obnubilée par la dimension culturelle des conflits. A priori, son ennemi est donc l’islam…ou du moins un certain islam, car ses connexions avec le régime iranien, par exemple, ne sont plus à démontrer. Mais j’insiste, en guise de remarque terminale, sur le « jusqu’à présent » : nous sommes toujours plus ou moins prisonniers de représentations historiques relativement ordonnées qui associent logiquement une idéologie à un chef, des cadres, une organisation et des exécutants, le tout devant former un continuum des idées aux actes. Or les modèles politiques traditionnels ont volé en éclat, et cela a commencé, comme bien souvent, par les marges : les acteurs individuels n’obéissent plus à des chefs et à des organisations, mais plutôt à l’idée personnelle qu’ils se font d’idées et de modes d’action disponibles sur étagère. Au risque de me contredire, cette fois-ci le rapprochement avec l’évolution du djihadisme me parait pertinent, dans la mesure où celui-ci est devenu, comme l’explique Gilles Kepel, « réticulaire » : à partir d’un corpus doctrinal largement disponible, des idéologues passent des commandes virtuelles, que des acteurs individuels, seuls ou au sein d’un maillage relationnel plus ou moins lâche, s’efforcent d’exécuter. Le paysage de l’ultra-droite commence petit à petit à ressembler à cela, ce qui rend très imprévisible le passage à l’acte. Raison de plus pour lutter, en amont, contre les systèmes idéologiques qui font de la violence un principe politique constitutif et une nécessité indépassable.

Mais ce qui devra le plus mobiliser l’attention des responsables politiques, et notamment du chef de l’Etat et du gouvernement, c’est de réprimer sans faiblesse toute velléité de représailles ou contre-représailles, car c’est exactement ce que les identitaires recherchent ; mais aussi de sanctionner comme elles doivent l’être les prises de position irresponsables de ceux qui soufflent délibérément sur les braises, espérant profiter du brasier qu’ils auront eux-mêmes attisé. Ceux qui commencent à rejeter sur les républicains, de droite ou de gauche, ne serait-ce qu’un peu de la responsabilité morale et politique de l’attaque de Bayonne ne valent pas mieux que l’extrême-droite qui tentait, la veille ou l’avant-veille, de profiter des attentats djihadistes.

Roland Lombardi : Vous savez, toutes les sociétés modernes et particulièrement les sociétés occidentales sont actuellement traversées par une multitude de crises. Crises identitaires, crises économiques et sociales, rejets du politiquement correct, rejets des élites, rejets de la mondialisation, etc... Il n’y a plus d’idéologie, plus de grandes aventures, de grandes épopées, plus de grands projets... C’est un malaise général et existentiel qui touche le monde occidental. Tous les pays connaissent leurs « territoires périphériques » (en référence à la « France périphérique » du géographe Christophe Guilluy) confrontés à la « mondialisation malheureuse ». Alors, que cela nous plaise ou non, à tort ou à raison, la seule alternative politique est alors représentée par les divers « populistes ». Avec certains succès, comme aux Etats-Unis, avec Trump, ou en Italie avec Salvini. En France, c’est plus compliqué. On l’a vu avec le fiasco de Marine Le Pen en 2017 et les Gilets jaunes plus récemment... 

Mais le malaise est beaucoup plus profond que certains ne le pensent. Il ne s'est pas évaporé comme le croient naïvement certains. Loin de là. Au contraire, les frustrations, la déception, la rancœur et le désespoir s'enkystent de plus en plus dans les esprits et les cœurs. Face à une classe dirigeante totalement discréditée, perçue comme hors-sol, forte avec les faibles mais faible avec les forts et sans aucune alternative politique sérieuse, nul ne peut prévoir la réaction de certains de nos concitoyens désespérés et exaspérés qui, ne se sentant plus représentés, écoutés, protégés, sont habités par une colère qui n'attend malheureusement plus qu'une étincelle pour exploser. Pour l’instant, les réseaux sociaux et notamment Facebook, où une véritable guerre civile a déjà commencé, reste le principal défouloir. 

L’information c’est le pouvoir mais à présent, avec justement l’omniprésence des réseaux sociaux, où l’on trouve le meilleur comme le pire, les gouvernements n’ont plus le monopole de l’information et ne maîtrisent plus grand-chose de ce côté là.

D’autant plus que depuis Gustave Le Bon ou l’expérience de Milgram dans les années 1960, nous savons que le degré d’obéissance d’un individu ou d’une société devant une autorité, dépend de la légitimité de cette dernière. L’histoire des révolutions le prouve et tout bon manager le sait pertinemment : lorsqu’il n’y a plus de confiance et de respect envers cette même autorité, la cohésion du groupe ou d’une nation ne fonctionne plus et les choses peuvent alors tourner très mal... Aujourd’hui, la « fabrique du consentement » d’Edward Barnays, le père de la propagande et du merchandising modernes, trouve ses limites : le consommateur, surtout lorsqu’il ne peut pas ou plus consommer, redevient très vite un citoyen, et souvent un citoyen violent...

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