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Vidéo : la technologie nous permet de visiter Pompéi en 3D mais personne n’est capable de résoudre le plus grand mystère qui continue de peser sur le destin de la cité antique
©capture écran / Instagram de privategg

THE DAILY BEAST

La technologie moderne nous permet de visiter les anciennes rues de Pompéi. Mais cela n’a pas résolu la grande controverse qui entoure cette ville.

Candida Moss

Candida Moss

Candida Moss est professeure, enseignant à l'Université de Notre-Dame dans les matières "Nouveau Testament" et "Christianisme des débuts".

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Candida Moss - The Daily Beast

En l’an 79 après J.C., l’éruption du Vésuve enfouit les villes voisines de Pompéi et d’Herculanum sous d’épaisses couches de cendres volcaniques. Les habitants n’ont pas eu le temps de suffoquer ; la plupart ne sont  pas morts à cause des gaz toxiques mais ont plutôt été figés par la chaleur incandescente dans une rigor mortis.

L’éruption a pétrifié à jamais les derniers moments d’agonie des habitants de Pompéi, préservant non seulement leurs douleurs mais également leurs maisons, leurs animaux domestiques et les blagues obscènes gravées sur les murs de la ville. Depuis la redécouverte des anciennes cités en 1599, le destin de leurs habitants est devenu une source de fascination. Jamais encore les traces d’une tragédie n’avaient été aussi remarquablement préservées. Et en même temps que se figeaient les rictus de douleur de ceux qui mouraient, des objets courants de la vie quotidienne ont été conservés comme des ustensiles de cuisine et des œuvres d’art.

Désormais, grâce à la technologie moderne, nous pouvons voir la façon dont vivaient les habitants de Pompéi. Le Projet Pompéi suédois a utilisé une technique de numérisation 3D pour recréer l’intégralité d’un quartier de la ville (Insula V.1). Les bâtiments numériques incluent une boulangerie, une brasserie, trois grandes maisons et leurs jardins ainsi qu’une laverie. L'une des villas du projet comporte une fontaine. Nous ne sommes pas les premiers à vouloir faire renaître la vie de l’ancien monde.

Au 18ème siècle, Pompéi fait partie du "Grand Tour" des lieux historiques et culturels. L’intérêt porté à ce lieu est alimenté par des romans comme celui de Fairfield, La dernière Nuit de Pompéi (1832) et Les Derniers Jours de Pompéi (1834) de Bulwer-Lytton, mais c’était la cité elle-même qui fascinait. Dans l’ère précédant la télévision, quand le passé était accessible seulement à travers l’art et la littérature, les gens voulaient voir la ville pétrifiée par eux-mêmes. Presque aussi intéressant que le site lui-même est la raison pour laquelle les Européens, pré-modernes et modernes, s'y intéressent tant.

Depuis la redécouverte de la ville, les écrivains et théologiens chrétiens ont systématiquement considéré la destruction de Pompéi comme un exemple du châtiment divin. Ils estiment que les Romains licencieux et immoraux persécutaient les chrétiens, en conséquence de quoi Dieu les anéantit dans une pluie de feu comparable à la destruction des villes bibliques de Sodome et Gomorrhe. En d’autres termes, la destruction de Pompéi est un testament archéologique de la vengeance divine.

Cette interprétation semble pour certains être confirmée par la découverte précoce d’art érotique dans une maison close de Pompéi. A la fin du 19ème siècle, une fresque illustrant Priapus, le dieu de la fertilité, doté d’un phallus disproportionné, a été déterrée d’un vestibule d’une villa appartenant à deux affranchis. Il est aisé de comprendre les raisons pour lesquelles les auteurs du 19ème siècle considéraient la vie à Pompéi comme choquante et débauchée. C’est un argument intéressant car nous ne savons pas si des chrétiens étaient effectivement présents dans l’ancienne Pompéi.

En l’an 197, l’auteur chrétien Tertullian écrivit qu’aucun chrétien n’était présent dans la ville lors de l’éruption. Mais il a écrit ceci 120 ans après l’éruption avec une évidente vision théologique, il ne peut donc pas être considéré comme une source fiable. Comme la classiciste Mary Beard l’a écrit, la plupart des discussions sur la présence supposée des chrétiens à Pompéi se concentre autour d’un ensemble de mots trouvés sur le site. L’inscription se lit "Sator/Arepo/Tenet/Opera/Rotas/ ", ce qui se traduit par "Arepo tient la roue à son travail".

Cependant le mot tenet (il /elle tient) est disposé en forme de croix et les lettres peuvent être re-disposées en deux Pater Noster (nos pères) en forme de croix. Il resterait une paire d’alpha et d’oméga, mais, comme le souligne Mary Bread, cela peut être un rappel du principe chrétien selon lequel le Christ est le premier et le dernier (les lettres alpha et oméga sont les premières et dernières lettres de l’alphabet grec).

Le problème est que la plupart des chercheurs pensent que le palindrome, qui apparaît dans plusieurs emplacements autour de la Méditerranée, est en réalité d’origine juive. Il existe d’autres preuves de la présence des chrétiens à Pompéi, dont des graffitis assez obscènes dans une salle de bain à propos d’une femme nommée Marie, mais rien de concluant.

En l’an 79, ce nom que nous associons aujourd’hui à la chrétienté l’était tout autant à la communauté juive. La présence de Chrétiens serait une découverte remarquable car cela prouverait l’existence du christianisme comme une religion distincte du judaïsme à la fin des années 1970. Mais pour le moment cette idée est juste "un phantasme" selon Mary Bread. L’origine de ce phantasme peut être trouvé au 19ème siècle. Dans son excellent livre Les cendres de Pompéi, Eric Moorman reprend l’idée de Bulwer-Lytton dans ses Derniers Jours, qui présente les chrétiens comme une petite minorité morale qui survécut au désastre précisément parce qu’ils étaient très pieux.

Bien que ses personnages chrétiens ne soient pas morts en martyrs, leur survie place très bien son livre dans la tradition du Ben-Hur de Wallace (1880) et du Quo Vadis ? de Sienkiewicz (1896). Mais même s’il n’y avait pas eu de chrétiens à Pompéi, il y aurait bien pu y avoir des juifs. Et les juifs ont été associés à la catastrophe voulue par la justice divine depuis près de deux millénaires.

Seulement neuf ans avant l’éruption du Vésuve, les Romains ont saccagé Jérusalem et détruit le Temple. Pour certains juifs, le Vésuve était une zone de déserts. Les oracles sibyllins, une compilation de prophéties juives, chrétiennes et grecques écrites et assemblées après les événements prédit que "une tempête guerrière diabolique en provenance d’Italie s’abattra aussi sur Jérusalem, et elle saccagera le grand Temple de Dieu" et elle ajoute que ''quand une torche, échappée d’une fissure de la terre (Vésuve) d’Italie, atteint le vaste ciel elle brûlera beaucoup de villes et détruira des hommes. Beaucoup de cendres fumantes rempliront le grand ciel et des averses de terre rouge descendront des cieux. Alors vous connaitrez le courroux du Dieu céleste''.

Il y a quelques débats sur la présence ou non de juifs à Pompéi lors de sa destruction. La présence de ce qui peut être du garum casher (une sauce de poisson) suggère que des juifs vivaient dans la ville. Et au moins une personne arrivée sur les lieux après l’éruption a gravé "Sodome et Gomorrhe" sur le mur d’une maison. Le graffiti est une indication claire, pour certains, que la destruction des deux villes romaines était un rappel de la destruction par Dieu de celles de Sodome et Gomorrhe, comme il est écrit dans la Genèse.

L’interprétation de catastrophes naturelles comme punition divine ne commence ni ne finit certainement pas à Pompéi. Mais Pompéi est intéressante parce que le voyeurisme de la vengeance a en partie alimenté ici l’industrie du tourisme depuis des centaines d’années. Peut-être qu’un jour nous ferons des voyages identiques pour visiter les reconstructions de ces villes et sites détruits par l’homme. Nous ferons alors face non pas à la vengeance de Dieu, mais au côté obscur de l’humanité.

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