Vers une police à la Minority Report ? Prédire crimes et délits, c’est déjà possible… mais pas prêt d’arriver en France<!-- --> | Atlantico.fr
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Image extraite du film "Minority Report".
Image extraite du film "Minority Report".
©unrealitytv.co.uk

Big brother is watching you

Caméras, écoutes téléphoniques... il existe de nombreuses méthodes de détection d'actes de délinquance. Aujourd'hui, la science permet d'aller jusqu'à déceler les zones d'agressivité du cerveau et la présence du "gène combattant". Les Américains exploitent pleinement les nouvelles technologies en matière de prévention policière. Les Français sont plus réservés, un choix assumé et politique.

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Mégret

Jean-Paul Megret est secrétaire national du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP).

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Carol  Jonas

Carol Jonas

Dr Carol Jonas, Psychiatre des Hôpitaux, Chef de Service à Tours, Docteur en Droit, Expert judiciaire près la Cour d’Appel d'Orléans. Auteur de "Le psychiatre face aux juges " ainsi que  de "Psychiatrie légale et criminologie clinique" en collaboration avec Jean-Louis Senon et Mélanie Voyer.

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Atlantico : Aux Etats-Unis, des outils de prévention policière se multiplient notamment à travers l'identification de personnes ou voitures par caméras via des algorithmes. En France, quels sont les nouveaux outils en termes de profilage et de prévention de criminalité ?

Jean-Paul Mégret : Toutes ces recherches sont des recherches privées. Le budget de la police est déjà serré. On a des choses très classiques, pas de dispositifs très techniques comme aux Etats-Unis. On a des présences de caméras, de grilles, de protections très passives, de choses très formelles.

C'est un choix politique qui a été fait. Il est lié au fait qu'en matière de constitution et de libertés individuelles on ne pouvait pas aller plus loin que ce qui a été fait à cette époque (de la mise en place de caméras). Les caméras ne peuvent pas filmer les lieux privés sans autorisation de magistrat indépendant...

Carol Jonas : Ces outils de prévention ont une valeur pour cibler les lieux et les moments de la journée où il convient d'être plus attentif, un risque de vol à l'arraché par exemple. La police française est capable de s'appuyer sur des algorithmes. Elle sait par exemple que durant l'été et sur certains lieux touristiques les touristes sont particulièrement visés et peut déployer ses moyens en conséquence.

Algorithme, identification des zones d'agressivité du cerveau, détection du "gène combattant" jusqu'où peut aller l'avenir de la prévention policière ? La prévention de crimes est-elle amenée à prendre le pas sur la répression ?

Jean-Paul Mégret : On n'a pas la même philosophie que les Américains ou les Britanniques. La prévention par des dispositifs techniques est très peu développée. C'est une philosophie basée sur la présence policière, la dissuasion de caméra. On ne verra pas par exemple un suivi automatique par caméra de casseur dans une manifestation mais non aura un suivi humain. En favorisant la répression on contribue à une prévention. Une police à la Minority Report on en est loin et ce n'est pas souhaitable. Je suis très dubitatif.

Carol Jonas : Les techniques d'I.R.M. fonctionnelle permettent maintenant de mieux connaître les zones du cerveau qui sont utilisés dans certains types d'actes. Pour autant les études actuelles autorisent tout au plus des corrélations entre un acte et une zone du cerveau. Ces corrélations n'ont qu'une valeur statistique et ne peuvent donc pas être utilisées pour expliquer le comportement d'une personne X. Par ailleurs il ne faut pas confondre corrélation et lien de causalité. (Il y a une corrélation entre le port d'une cravate  et l’âge chez un homme, cela ne veut pas dire que le port de la cravate entraîne le vieillissement).

On a déjà parlé de chromosomes du crime ou de gêne de la violence. Actuellement cela n'a pas de signification pour un individu donné. Certains gènes ou l'augmentation de certains neuromédiateurs favorisent l'impulsivité qui n'entraîne pas toujours ni violence ni acte répréhensible. Il ne faut pas oublier que tous les autres éléments de l'environnement peuvent avoir un impact (conditions d'éducation du sujet, mode de vie, types de lien avec la victime, consommation de toxiques etc.)

La question ne doit donc pas être traitée comme celle d'un lien entre une caractéristique neurophysiologique et un comportement social, ce qui serait laisser de côté d'une part le libre arbitre de l'individu et de l'autre tous les éléments de l'environnement qui l'ont influencé qui l'influencent à  l’heure actuelle.

En France, en 2010, une des propositions du rapport Bockel qui émettait la possibilité pour la justice de repérer dès la maternelle les enfants à être délinquants avait fait polémique. Peut-on imaginer à l'avenir des banques de données pour ce type d'informations du même type que les empreintes digitales ?

Carol Jonas : Le problème est toujours le même, ces données pourraient être intéressantes si elles sont utilisées pour aider des enfants à maîtriser leur impulsivité, à utiliser le langage plutôt que les actes ainsi qu'à améliorer leur environnement sans pour autant s'immiscer dans leur liberté et celle de leur famille. Toute autre utilisation devient du scientisme et s'oriente vers un totalitarisme

Ce type de police fondée sur la capacité à prédire reste encore de la science-fiction. Les critères de prédictivité sont statistiques et donc non n'applicables à un individu donné. (Exemple : les femmes commettent plus de tentatives de suicide que les hommes, cela ne veut pas dire que c'est toujours une femme qui fait une tentative de suicide)

Jean-Paul Mégret : L'enjeu n'est pas là. Il s'agit de détecter si on a un futur Dexter. Ce sont des choses qui sont très formelles. On n'est pas dans des dispositifs fiction. L'enjeu est de savoir comment une population identifiée comme délinquante va pouvoir être dissuadée de commettre des actes de délinquance.

On fait très attention à prévoir les intentions criminelles. La France applique très peu le profilage. Une argumentation, ce n'est pas une preuve et en France on ne condamne que si on a une preuve. Le profilage est très peu réglementé en France. Beaucoup de gens par le passé se sont autoproclamés profileurs. Ce n'est pas parce qu'on a quelques diplômes qu'on peut savoir ce qu'il y a dans la tête d'un criminel.

Des ingénieurs ont mis au point des algorithmes pour identifier des suspects, il y a un système nommé Predpol aux E.U. En juin 2014, 103 membres de gangs ont été arrêtés préventivement toujours sur la base de "suspicions raisonnables" récoltées par filtrage d'information (Facebook, appels, caméras). Ce type d'arrestations existe-t-il, est-il envisageable en France ? Quel cadre légal existe-t-il pour des arrestations préventives ?

Jean-Paul Mégret : Le cadre légal en France est extrêmement serré. Vous ne pouvez pas avoir de système de reconnaissance faciale avec les systèmes de caméras. C'est très différent du cadre britannique par exemple par rapport aux caméras à Londres installées depuis les attentats de l'IRA. Le suivi d'un individu quasiment image par image, ce type de système de reconnaissance, d'identification à partir d'une photo sont expressément interdit. En France c'est trop attentatoire, déduire des choses qui ne sont pas des faits avérés est proscrit. Il y a des opérateurs en temps réels derrière les caméras mais on ne peut pas avoir de système assisté qui permette un traitement de masse. Le traitement se fait à postériori, il n'y a pas de prévention si ce n'est pas la présence des caméras.

Il faut des actes matériels préparatoires, un certains nombre d'éléments préalables "coups de fil, individus qui font du repérage". Quand la police interpelle préventivement un terroriste sur le point de commettre un attentat, c'est parce qu'au préalable elle a des preuves matérielles  (films, écoutes téléphoniques).

En France il y a deux phénomènes : association de malfaiteur classique et association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste.La police, la gendarmerie surveillent les individus, les contacts entre plusieurs personnes, les échanges de mails, rencontres physiques et repérages. Tous ces éléments sont regroupés dans la procédure d'association de malfaiteur. L'arrestation préventive intervient alors mais chacun des actes avant étaient des actes délictuels. On peut caractériser le déroulement d'un plan mais si ce n'est pas suffisant, ce ne sera pas retenu. La loi explique même que si des individus à un moment décident d'abandonner leur projet, ça doit être pris en compte. Tout ça il faut l'acter, le montrer, le voir.

L'augmentation de la menace djihadiste va juste contribuer à modifier à la marge le l'arsenal juridique lié à l'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste puisque dorénavant l'auto radicalisation, par exemple via internet, pourrait être un élément relevé. Il faut cependant attendre de voir ce que comportera le projet de loi et voir ce que le le conseil constitutionnel tolèrera en la matière.

Carol Jonas : Les arrestations préventives sont également totalitarisme. Ce serait donc ensuite aux individus de prouver qu'ils n'allaient pas commettre le crime qu'on veut leur imputer.

Microsoft a créé un outil pour la police de New York en 2012, il permet d'identifier et de suivre des voitures sur caméras. Ce type de données pourrait permettre de stopper des crimes avant leur arrivée d'après des "suspicions raisonnables" (rodeurs autour d'enfants). Existe-t-il ce type de système en France ? Est-ce imaginable?

Jean-Paul Jonas : Aux E.U, les juges sont très pointilleux, c'est le pays des avocats. On raconte que les arrestations sont préventives pour ne pas divulguer d'éléments d'enquêtes (par souci de discrétion). Dans un Etat de droit comme en France, on ne vous juge que pour ce que vous avez fait. On est plus légitime à réprimer un acte illégal qu'à prouver quelque chose qui n'a pas eu lieux. Il n'y a pas de suspicion sinon c'est le règne de la lettre anonyme. A chaque fois qu'on a ce type d'éléments ça peut commencer une enquête mais si on n'a pas de preuve on ne va pas loin. Un magistrat refusera d'aller vers des mesures coercitives.

Quels sont les risques et les limites de ces nouveaux outils ? 

Carol Jonas : Les neurosciences progressent à très grands pas grâce aux nouvelles techniques d'investigation. Elles peuvent  permettre de mieux comprendre les mécanismes chimiques et les gènes qui sont à l'origine de comportements simples : violence, méconnaissance de l'intérêt d'autrui, manque d'empathie, pulsions sexuelles. En revanche, elles ne peuvent pas encore s'appliquer à un individu donné ni à un acte précis. L'utilité des détecteurs de mensonges n'a jamais été démontrée en France. Il y a bien longtemps qu'ils ne sont plus utilisés. En revanche les enquêteurs sont maintenant formés à des techniques d'entretien leur permettant de prendre en compte regard, gestuelle ou posture. Ces éléments parmi d'autres peuvent leur permettre de dépister l’insincérité.

En ce sens il faut se méfier de donner à un examen Neuro scientifique plus de valeur qu'il n'en a en réalité et ne l'utiliser qu'en gardant à l'esprit qu’il autorise à faire des corrélations pour des populations et non d'affirmer des certitudes pour un seul individu.

En conclusion il est important de se servir actuellement des neurosciences, des techniques spécifiques d'entretien ou encore des échelles d'évaluation de la violence prévisible mais ensuite de confronter ces éléments à la réalité plutôt que de penser qu'ils sont une vérité

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