Vague de froid, inflation et surmortalité : ces millions de Français que la crise des prix de l’énergie a fragilisés<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Société
La surmortalité durant les hivers doux en France est de l’ordre de 8%. Elle grimpe à 20% lors des hivers rigoureux, soit un excès de mortalité de 30 000 personnes.
La surmortalité durant les hivers doux en France est de l’ordre de 8%. Elle grimpe à 20% lors des hivers rigoureux, soit un excès de mortalité de 30 000 personnes.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Alerte rouge ?

Une vague de grand froid s’abat sur la France et pour bon nombre de Français, ce sera un mauvais moment à passer, notamment pour se chauffer.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

Voir la bio »
Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

Voir la bio »

Atlantico : Une vague de grand froid s’abat sur la France et pour bon nombre de Français, ce sera un mauvais moment à passer, notamment pour se chauffer. Mais comment la situation a évolué depuis 2022 avec la crise inflationniste liée aux prix de l’énergie ?

Damien Ernst : Nous avons observé depuis 2022 une forte diminution des prix du gaz. En 2022, le prix du gaz était en moyenne de plus de 100 euros par mégawattheures (MWh). Aujourd’hui, nous avons un prix de 32,00 euros par MWh. Nous sommes donc sur des prix qui ont fortement baissé. Cependant, ils restent supérieurs aux prix que l'on observait avant la crise du Covid, qui avoisinaient les 18 euros le MWh pour le gaz. En matière de gaz, il y a trois parties qui déterminent le prix payé par le consommateur : la partie réseau, la partie taxe et la partie commodité. Nous sommes à moins du tiers du prix moyen observé en 2022 concernant la commodité gaz. C'est quand même 80% plus élevé qu’en 2018. Quant à ceux qui se chauffent à l'électricité, le prix régulé d’électricité n’est pas exposé au prix du marché. De tous les pays européens, la France est le pays qui a le plus protégé les ménages. 

La précarité énergétique, quel impact sur la santé ? Combien de Français sont concernés ?

Antoine Flahault : La définition officielle de la précarité énergétique correspond à une part supérieure à 10% des revenus d’un ménage consacrés au chauffage. Dans la littérature scientifique internationale, la précarité énergétique est définie par la température trop froide du logement pendant l’hiver et trop chaude l’été. La Fondation Abbé Pierre considère la précarité énergétique lorsque l’on fait appel à l’aide sociale pour régler les impayés des factures de chauffage. Dans tous les cas, la précarité énergétique est une forme de pauvreté. Elle concerne entre 12 et 14% des Français selon les définitions retenues. L’impact sur la santé de la précarité énergétique recouvre celui de la pauvreté, lorsque s’y associent un logement insalubre, humide et froid, favorisant les moisissures, et mal ventilé. Les problèmes de santé mentale y sont plus fréquents, notamment l’anxiété, la dépression, et aussi des maladies chroniques comme l’asthme, la bronchite chronique, la migraine et l’arthrose, avec un renoncement aux soins plus fréquent. Le tabagisme y est aussi plus élevé.

Damien Ernst : Tout dépend de la manière dont on définit la précarité énergétique. Est-ce que c'est à partir d'un certain pourcentage d'énergie dans les revenus du ménage moyen, est-ce que c'est une difficulté pour payer les factures ? Les factures d’énergie pèsent toujours beaucoup par rapport à des pays comme les Etats Unis.

Des millions de Français sont toujours menacés de précarité énergétique. Au cœur de la crise du gaz, c'était la moitié des Français qui pouvaient se retrouver en difficulté pour payer leurs factures de gaz. 

En clair, pour revenir sur les difficultés économiques liées au chauffage, les Français considèrent que leurs factures ne sont plus aussi importantes aujourd'hui qu'en 2022 ?

Damien Ernst : En effet. Un ménage qui se chauffe au gaz consomme environ 17 MWh de gaz. Par rapport au prix normal qu'ils payaient avant la crise de 2022, il paiera environ 200 ou 300 euros de plus par an, tandis que l'année dernière, le prix du gaz tel qu'il était sur les marchés était de l'ordre de 2 000 euros supérieur à 2022, pour un foyer sans aide. Dans ces conditions, nous ne pouvons considérer, en ce moment, être vraiment dans une crise énergétique forte, surtout si on compare le prix du gaz à ce qu’on a observé en 2014. Vers 2016 et 2017, le prix du gaz a très fortement baissé, mais en 2014, nous n'avions pas encore pleinement profité de cette révolution du gaz de schiste aux États-Unis, qui a tiré les prix vers le bas. En 2014, en tenant compte de l'inflation, la fourchette de prix était de 26 euros par mégawattheure.

Un hiver plus rigoureux est-il synonyme de plus de décès ?

Antoine Flahault : La surmortalité durant les hivers doux en France est de l’ordre de 8%. Elle grimpe à 20% lors des hivers rigoureux, soit un excès de mortalité de 30 000 personnes. Des chercheurs britanniques ont clairement établi un lien entre surmortalité et logement insalubre. Étant mal logées, mal ventilées et mal chauffées, les personnes souffrant de précarité énergétique, plus souvent atteintes de maladies chroniques et recourant moins souvent et plus tardivement aux soins, sont donc plus à risque de contracter des maladies virales et bactériennes respiratoires durant l’hiver, et plus à risque de développer des formes graves ou de décompenser des maladies préexistantes, surtout aux âges extrêmes de la vie (bronchiolites et diarrhées aiguës du nourrisson et grippe compliquées pour les personnes âgées). Les maladies plus bénignes, comme les rhumes ou les angines sont également plus fréquents tant chez les adultes que les enfants.

Et aujourd'hui, dans ce contexte, quelle décision le gouvernement devrait-il prendre pour améliorer la situation des Français ?

Damien Ernst : Je pense qu'il y a des mesures très claires. Ils doivent essayer d'augmenter l'efficacité énergétique des logements, afin de dépenser moins d'énergie primaire pour les chauffer. Cela passe par des programmes de rénovation thermique avec l'isolation thermique. Cela passe aussi par des programmes d'installation de pompes à chaleur. Elles nécessitent trois fois moins d'énergie primaire qu’une chaudière au gaz pour générer la même quantité de chaleur. Il convient aussi de sécuriser les contrats à long terme pour le gaz, afin de ne pas avoir que des contrats majoritairement court terme, comme auparavant. Cela exposait les Français à la volatilité du marché du gaz, qui plane encore. Les marchés sont très tendus et nous sommes vulnérables en cas d’événement géopolitique majeur : une fermeture des canaux américains ou encore des attaques sur des installations gazières au Qatar.

Il convient également de favoriser tous les contrats d'électricité à long terme, entre les Français et l'industrie électrique. Cela concerne notamment les contrats de rachat long-terme à prix fixe de production d'énergie renouvelable ou de nucléaire entre les entreprises françaises et les producteurs d'électricité. Les personnes signent un approvisionnement d'électricité  provenant d'une source identifiée sur le territoire français. Cela permet, en cas de flambée des prix sur, ce que nous appelons les marchés de court terme, d'avoir un volume important qui est protégé de la flambée des prix par des contrats long-termes.

Antoine Flahault : Adresser la question de la précarité énergétique, c’est d’abord chercher à lutter contre la pauvreté. C’est se préoccuper avec solidarité et équité des segments les plus vulnérables de notre société. Les aides sociales contribuent à redistribuer les ressources de la nation plus équitablement. Mais elles sont aussi un marqueur de précarité énergétique, et servent d’éléments d’alerte et de repérage des poches de cette précarité. La rénovation de l’habitat, en commençant par cibler les “passoires thermiques” serait de nature à améliorer la situation de ces ménages. Seul un investissement collectif financé par la redistribution peut espérer venir à bout de ces passoires thermiques qui concernent 600 000 ménages en France vivant sous le seuil de pauvreté et donc non solvables. Mais un tel investissement deviendrait rapidement profitable pour les comptes sociaux, puisque, selon une étude récente conduite par EDF, les gains sanitaires engrangés seraient tels qu’en moins de dix ans, les économies réalisées sur les dépenses de santé financeraient entièrement les travaux de rénovation de l’ensemble de ce bâti insalubre en France. Une fois de plus, on peut constater que si les objectifs de la prévention sont sanitaires, elle relève des secteurs économique, social et politique plus que de celui de la médecine. 

Que peut-on dire pour la suite de l'hiver en France ?

Damien Ernst : Le prix du gaz a perdu plusieurs pourcentages sur les marchés de gros, aujourd’hui, alors que nous étions dans cette vague de froid. C'est dû au fait que nous avons eu une première moitié d'hiver relativement douce et que nous n'avons pas du tout entamé nos réserves de gaz. Je ne pense pas que cette vague de froid puisse accélérer la précarité énergétique. Je suis rassuré à ce niveau.

Mais je le répète, il suffit d'avoir des évènements géopolitiques avec une signification plus ou moins majeure pour que les prix repassent à la hausse. C'est calme pour l'instant, mais cela pourrait cacher une furieuse tempête qui pourrait se déclencher en cas d’évènement météorologique ou géopolitique majeur.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !