Dans le sillage des flux de migrants, une nouvelle vague d'ultra-violence néo-nazie déferle sur l'Allemagne<!-- --> | Atlantico.fr
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Les actes de violence anti-migrants ont une nouvelle fois secoué l'Allemagne cette semaine.
Les actes de violence anti-migrants ont une nouvelle fois secoué l'Allemagne cette semaine.
©Reuters

"Allemagne obscure"

"Abjects" selon Merkel, perpétrés par une "Allemagne obscure" ("Dunkeldeutschland") selon les mots prononcés aujourd'hui par le Président de la République Joachim Gauck. Les actes de violence anti-migrants ont une nouvelle fois secoué l'Allemagne cette semaine. Analyse d'un phénomène politique marginal mais ultra-violent, qui veut en découdre avec la démocratie et n'en finit pas d'amocher sérieusement l'image du pays.

Hans Stark

Hans Stark

Hans Stark est chercheur à l'IFRI (Cerfa) et professeur à la Sorbonne.

 

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Atlantico : Le week-end du 22 août, des violences xénophobes suivies d'affrontements avec la police ont éclaté à Heidenau, dans la Saxe, pour protester contre l'ouverture d'un foyer destiné à des réfugiés. Dans la nuit de lundi à mardi, un stade proche de Berlin et devant servir de local d'accueil a été incendié. Ces actes de violence ont beau venir d'une minorité, ils sont récurrents et frappent l'opinion publique allemande et internationale. Qui sont ces activistes, et répondent-ils à des consignes de partis comme Pegida (les "Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident") ou le NPD (le parti d'extrême-droite néo-nazi) ? Quel est leur poids politique réel ?

Hans Stark : Les violences ont eu lieu à Heidenau, donc pas dans toute l'Allemagne, mais dans un endroit bien localisé qui se trouve à 20km de la ville de Dresde. Il faut être très précis sur ce point. Ce n'est pas pour dédouaner la politique allemande ou les responsables politiques mais nous avons en Allemagne un phénomène d'extrême-droite minoritaire, cela dit assez violent, localisé en Saxe. Ce n'est pas un phénomène allemand, c'est un phénomène saxon. Il faut savoir que la ville de Dresde est aussi la ville de Pegida. Ce mouvement est né à Dresde l'année dernière, mais il n'a jamais réussi à s'imposer en-dehors de cette ville. Dans toutes les autres villes allemandes où il y a eu des tentatives d'imiter Pegida, les manifestations étaient finalement peu nourries et les contre-manifestations étaient plus importantes. Ce mouvement Pegida, qui s'est d'ailleurs essouflé, est aussi lié à la spécificité locale de la ville de Dresde. Pourquoi Dresde ? Même la presse allemande s'interroge là-dessus : pourquoi est-ce que nous avons un phénomène de cette nature en Allemagne de l'est, notamment à et autour de Dresde.

La réponse est multiple. Depuis une vingtaine d'années, le parti d'extrême-droite allemand, le NPD, qui est beaucoup plus extrémiste que le Front National -il est ouvertement néo-nazi- s'est implanté en Saxe. Il y a créé des réseaux, notamment en incorporant de jeunes désœuvrés, le taux de chômage en Allemagne de l'est étant plus important que dans le reste de l'Allemagne, avec beaucoup de jeunes en échec scolaire. S'ajoute à cela le fait que beaucoup de jeunes femmes ont délaissé la région et migré vers l'Allemagne de l'ouest ou dans le nord pour travailler. Donc nous avons en Saxe, notamment autour de Dresde, une surpopulation masculine entre 20 et 30 ans, souvent en marge de la société, vivant chichement d'aides sociales, c'est-à-dire les clients par excellence du parti nationaliste néo-nazi NPD.

Les Saxons sont une population fière, qui a toujours cherché à se différencier du reste de l'Allemagne. Dans l'histoire allemande, c'était déjà le cas contre la Prusse, puis pendant la période de la RDA, la Saxe a fait bande à part pour se différencier du régime communiste est-allemand et donc de Berlin, et aujourd'hui il y a un rejet du système politique allemand qui se manifeste aussi à travers le phénomène politique de Pegida. Il revendique sa propre spécificité en rejetant le reste. Sécessionniste, c'est un mouvement qui rejette aussi la démocratie, le vivre en commun, le fait que pratiquement un quart de la population allemande a aujourd'hui des origines étrangères. La société allemande change beaucoup, parce que d'un côté il y a une immigration très importante, que ce soient les 800 000 demandeurs d'asile attendus, mais également des migrants qui viennent de partout depuis de nombreuses années en raison de la crise économique. Donc la société allemande se "dégermanise" en quelque sorte, et ces gens-là n'aiment pas ça. Ils n'aiment pas cette dimensionn symbolisée par le mot allemand à la mode : "multi-kulti" (multiculturel).

  1. Ces violences se sont multipliées en 2014 et 2015. Après avoir dû faire face à plus de 200 000 demandes d’asile en 2014, un record depuis 1993, l’Allemagne évalue maintenant à 800 000 le nombre de migrants qui pourraient demander l'asile cette année. Mardi 25 août, Angela Merkel a annoncé un assouplissement des accords de Dublin, assurant que l'Allemagne cesserait de renvoyer automatiquement les demandeurs d’asile vers le pays par lequel ils sont entrés dans l’Union européenne. Est-ce que la gestion politique de la question migratoire par Merkel attise les violences contre les réfugiés ? Ou est-ce la création de Pegida qui a renforcé ces surgissements de violence?

  2. Je ne pense pas que la politique de Merkel compte pour eux ou que ce soit un facteur. Ils ne veulent pas d'immigrés, tout simplement.

  1. En visite aujourd'hui à Berlin dans un foyer de réfugiés, le président Gauck a parlé d'une "Dunkeldeutschland", une "Allemagne obscure", en référence à ces actes de violence, également qualifiés d'"abjects" par Angela Merkel. Comment réagit l'opinion publique allemande à ces événements? Quelle est la position des Allemands dans leur ensemble?

  2. Les dirigeants allemands sont évidemment choqués et cherchent des mots très durs pour se différencier de ce mouvement. Merkel l'a qualifié "d'abject", parce que certains bons citoyens de Dresde participent à leurs manifestations, gentiment en marge, mais leur présence légitime ce mouvement. Le président Gauck, parlant de "l'Allemagne sombre", rappelle le poids de l'histoire. Car il faut savoir que dans les années trente, le parti de Hitler était plus fort en Saxe qu'ailleurs. Hitler avait des soutiens plus ou moins forts selon les régions, il n'était pas unaniment soutenu. Autour de Dresde, le soutien était fort. Gauck l'a rappelé à travers cette expression, dénonçant cette forme d'obscurantisme qui ne veut pas admettre le monde tel qu'il est, les réalités d'un monde qui abrite des guerres en Syrie et en Irak et qui nécessite donc un engagement politique et surtout humanitaire.

  3. Est-ce qu'il y a des mesures à prendre, de type économiques par exemple, ou est-ce une composante structurelle de la société allemande ? Ce courant sera-t-il toujours là ?

  4. Je pense que c'est un courant qui sera hélas toujours là. Car la ville de Dresde et son économie ne vont pas si mal que ça. Dans l'ensemble, l'Allemagne de l'est est encore à la traîne du point de vue économique. Certes les jeunes qui suivent le mouvement d'extrême-droite sont pour l'essentiel des "cas sociaux", donc sont en marge de la société économique, mais dans l'ensemble la Saxe ne s'en tire pas trop mal. Donc il n'y a pas de raison de dire que c'est parce que la Saxe est pauvre. Le chômage en Saxe est autour de 12%, on serait heureux en Espagne d'avoir ce taux-là.

  5. Comment réagit l'opinion publique allemande à ces événements ? Quelle est la position des Allemands dans leur ensemble ?

  6. Il faut reconnaître que ce type de violence a eu lieu dans d'autres villes d'Allemagne, beaucoup en Allemagne de l'est mais aussi ponctuellement dans d'autres régions. Ce n'est pas un mouvement 100% saxon, mais majoritairement saxon. Les Allemands de Bavière ou de Rhénanie ne se reconnaissent pas du tout dans ce phénomène. On a aussi le clivage Allemand de l'est versus Allemand de l'ouest. Même si les jeunes générations d'aujourd'hui n'ont pas connu le régime communiste, leurs parents oui, ils ont donc eu une socialisation différente des Allemands de l'ouest, plus axée sur la discipline, la soumission, l'obéissance. Enfin, il y a un phénomène spécifique aux sociétés post-communistes : dans tous les pays de l'est, ex-communistes, on retrouve des proportions de la population beaucoup plus proches de l'extrême-droite qu'à l'ouest. On peut l'observer particulièrement en Hongrie, à la marge en Pologne, en Russie, en Ukraine. L'Allemagne de l'est n'est pas en reste de ce point de vue là.

  7. Y a-t-il toujours un complexe d'infériorité des Allemands de l'est vis-à-vis des Allemands de l'ouest ?

  8. Bien sûr. Un complexe d'infériorité qui se traduit par un rejet. Ce complexe se comble mais c'est long, et il se comble là où les jeunes reçoivent une éducation, vont à l'université, quand ils découvrent d'autres villes et ont une socialisation allemande "normale". Les jeunes qui profitent d'Erasmus ne tombent pas dans ces catégories-là. Mais les jeunes en échec scolaire, qui vivent d'aides sociales, ou vont d'un petit boulot à l'autre, sont mal payés et finalement rejetés par l'économie de marché, réagissent à travers un rejet et une radicalisation. Cependant, il faut rester mesuré : dans un pays où il arrive en un an 800 000 demandeurs d'asiles, face à cette ampleur-là, je trouve que les réactions abjectes de cette nature restent réellement minoritaires.

  9. Quels sont les Etats-régions les plus concernés par l'accueil des migrants ?

  10. Davantage ceux de l'ouest, mais on essaie aussi d'en répartir à l'est, où le nombre d'étrangers est peu important. Les responsables politiques allemands considèrent qu'il faut aussi en installer en Saxe, qu'il ne faut pas en faire une région à part en raison de son extrêmisme. Elle doit aussi fournir un effort pour l'accueil des réfugiés.

  11. Quelle différence faire entre le NPD et Pegida?

  12. Il y a des filiations. Le NPD est beaucoup plus radical. Il rejette ouvertement le système démocratique et voue une admiration pour le régime hitlérien. Pegida ne va pas aussi loin. Pegida est plus proche d'un autre parti de droite extrême, le parti AFD, qui correspond un peu au Front National. Pegida a été créé en 2014, c'est leur façon de réagir à la présence de l'islam sur le sol allemand. C'est plutôt un mouvement citoyen que politique, de ras-le-bol généralisé. Un mouvement populiste.

Propos recueillis par Catherine Laurent

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