Une nouvelle loi s’attaque à la liberté d’expression en privé<!-- --> | Atlantico.fr
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Les débats à l’Assemblée nationale ont fait apparaître une dangereuse extension du délit d’opinion à la sphère privée, admise par les députés avec le caractère de l’évidence.
Les débats à l’Assemblée nationale ont fait apparaître une dangereuse extension du délit d’opinion à la sphère privée, admise par les députés avec le caractère de l’évidence.
©ARUN SANKAR / AFP

Dans l'indifférence générale

Dans l’indifférence générale et avec le soutien de la majorité des partis politiques, une loi restreignant considérablement la liberté d’expression vient d’être votée par les députés français.

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun

Hélène de Lauzun a étudié à l'École Normale Supérieure de Paris. Elle a enseigné la littérature et la civilisation françaises à Harvard et a obtenu un doctorat en Histoire à la Sorbonne. Elle est l'auteur de l'Histoire de l'Autriche (Perrin, 2021).

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Dans l’indifférence générale et avec le soutien de la majorité des partis politiques, une loi restreignant considérablement la liberté d’expression vient d’être votée par les députés français. Une forme de police de la pensée est instituée visant à contrôler des propos pouvant être tenus dans des cercles privés informels.

La proposition de loi, déposée à l’initiative de députés de Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron, se donnait pour objectif de « renforcer la réponse pénale contre les infractions à caractère raciste ou antisémite », qui doivent désormais être soumises « à une sanction pénale, garantie et systématique. »

Le contexte de hausse des actes antisémites depuis les attaques du 7 octobre a fourni aux députés le prétexte rêvé d’une intervention : dans le contexte du conflit israélo-palestinien, il s’agissait de redoubler de vigilance contre l’antisémitisme à l’œuvre dans nos sociétés européennes. Mais sous couvert de lutte contre l’antisémitisme, c’est l’ensemble des propos jugés discriminatoires par le système dominant qui est susceptible de rentrer dans le champ d’application de la loi.

Les débats à l’Assemblée nationale ont fait apparaître une dangereuse extension du délit d’opinion à la sphère privée, admise par les députés avec le caractère de l’évidence. Si l’on considère que l’abolition de la frontière entre public et privé est l’une des caractéristiques les plus évidentes des régimes totalitaires, alors il apparaît clairement que cette loi fait entrer encore un peu plus la République française dans le champ du « totalitarisme sans le goulag », pour reprendre les termes de l’essayiste québécois Matthieu Bock-Côté dans son dernier ouvrage du même nom.

La tendance n’est pas nouvelle : les dernières évolutions législatives prévoyaient déjà de condamner non plus seulement les actes mais les propos, voire les intentions. L’essayiste Anne-Sophie Chazaud, auteur d’un ouvrage sur la liberté d’expression, rappelle aussi que déjà en août 2017 un décret pris au début du premier mandat d’Emmanuel Macron prévoyait de criminaliser les conversations privées, en encourageant, de fait, la délation. Aujourd’hui, on passe du décret à la loi, et l’insistance sur le caractère « non public » des propos incriminés ouvre la voie à tous les excès.

En termes de droit, il existe encore une différence ténue entre des propos « non publics » et des propos privés. Les propos non publics englobent, par exemple, des discussions sur un groupe WhatsApp ou un canal Telegram, ou des emails collectifs. La dimension « non publique » implique un caractère collectif et l’existence d’une « communauté d’intérêts », mais aussi l’absence de confidentialité explicitement demandée. Un dîner en famille, par exemple, ne devrait pas être concerné. Mais la loi est délibérément peu claire et offre donc la possibilité de toutes les interprétations. Ajoutez aux participants d’un dîner en famille un groupe d’amis plus ou moins proches, ou des membres d’un même club de sport, et on frise la « communauté d’intérêts » qui autorisera le législateur à toutes les censures.

Les développements contenus en germe dans cette loi ne sont donc malheureusement que trop faciles à deviner.

A partir du moment où tout type de propos discriminatoire est susceptible d’être dénoncé, les questions de droits des minorités sexuelles, qui touchent par essence à la sphère privée et à l’intime, offrent un champ infini de possibilités de criminalisation. On peut imaginer toutes sortes de situation devenir potentiellement dangereuses, avec la division portée jusqu’au cœur des familles : une mère voulant aider sa fille à garder son enfant plutôt qu’à avorter argumentant dans ce sens ou un père s’inquiétant des velléités de changement de genre de son fils pourront être bientôt passibles de poursuites.

L’habitude prise de la criminalisation offre également, à termes, la possibilité d’élargir toujours plus le spectre des propos interdits, comme s’en inquiète Xavier Van Lierde, journaliste sur Radio Courtoisie : quid des politiques sanitaires, des questions climatiques ou géopolitiques ?

Mais le plus inquiétant dans cette séquence n’est peut-être pas le contenu du projet de loi, qui n’est que la énième reprise de dispositions déjà plus ou moins contenues dans des textes précédents. Le plus grave est l’habitude désormais bien installée, de la part des parlementaires, de considérer que l’encadrement toujours plus strict de la pensée et de l’expression est une chose bonne et évidente et qu’il n’y a aucun intérêt à s’y opposer. La discussion semble avoir déserté le terrain au profit d’un unanimisme absolument étouffant que nul ne semble vouloir remettre en cause.

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